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Une machine peut-elle penser?

Publié le 24/02/2005

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L'acte par lequel l'esprit se dédouble et s'éloigne à la fois de lui-même et des choses est un acte si important qu'il a fini par donner son nom à la vie psychique tout entière ; ou plutôt « la prise de conscience » ne désigne pas un acte distinct, mais une fonction où l'âme totale figure à quelque degré et qui est propre à l'attitude philosophique. Dans sa mobilité infinie la conscience peut se prendre elle-même pour objet : entre le spectateur et le spectacle un va-et-vient s'établit alors, une transfusion réciproque de substance : la conscience-de-soi, en s'aiguisant, recrée et transforme son objet puisqu'elle est elle-même quelque chose de cet objet, à savoir un phénomène de l'esprit ; mais l'esprit à son tour déteint sur la conscience, puisqu'en somme c'est l'esprit qui prend conscience. Il y a en nous comme un principe d'agilité et d'universelle inquiétude qui permet à notre esprit de ne jamais coïncider avec soi, de se réfléchir sur lui-même indéfiniment ; de toute chose nous pouvons faire notre objet et il n'est pas d'objet auquel notre pensée ne puisse devenir transcendante : l'idea ideae [l'idée de l'idée] existe donc à des « puissances » variées, sous d'innombrables exposants. Cette délicatesse d'une conscience capable de se multiplier à l'infini par elle-même, ces raffinements qui permettent à notre esprit, si nous le voulons, de n'adhérer jamais à soi, cette subtilité enfin ne sont-ils pas la marque distinctive de l'intelligence humaine ? La conscience veut n'être dupe de rien, pas même de soi. C'est une infatigable ironie. Tout de même que l'artiste possède, par nature, une certaine finesse de regard qui lui permet de percevoir dans tous les paysages possibles l'ordre du désordre, ainsi la conscience se divise extrêmement, se fait toute ténue, aiguë et abstraite, afin de n'être pas surprise par le donné. Elle est clairvoyance et liberté. JANKÉLÉVITCH   3)      La tendance actuelle à identifier les processus de calculs propres à l'ordinateur à la pensée humaine en employant notamment le terme « d'intelligence artificielle » est peut-être révélateur d'un certain danger. Ce dernier résiderait dans un anthropomorphisme révélant en réalité une conception réductrice de la pensée, voire négatrice de ce qui en elle fait justement l' humanité de notre espèce.

« qu'il est moralement impossible qu'il y en ait assez de divers en une machine pour la faire agir en toutes les occurrences de la vie, de même façonque notre raison nous fait agir.

Descartes Au contraire, dans une société humaine, la fabrication et l'action sont de forme variable, et, de plus, chaque individu doit apprendre son rôle, n'yétant pas prédestiné par sa structure.

Il faut donc un langage qui permette, à tout instant, de passer de ce qu'on sait à ce qu'on ignore.

Il faut unlangage dont les signes - qui ne peuvent pas être en nombre infini - soient extensibles à une infinité de choses.

Cette tendance du signe à setransporter d'un objet à un autre est caractéristique du langage humain.

On l'observe chez le petit enfant, du jour où il commence à parler.

Tout desuite, et naturellement, il étend le sens des mots qu'il apprend, profitant du rapprochement le plus accidentel ou de la plus lointaine analogie pourdétacher et transporter ailleurs le signe qu'on avait attaché devant lui à un objet.

" N'importe quoi peut désigner n'importe quoi ", tel est le principelatent du langage enfantin.

On a eu tort de confondre cette tendance avec la faculté de généraliser.

Les animaux eux-mêmes généralisent, etd'ailleurs un signe, fût-il instinctif, représente toujours, plus ou moins, un genre.

Ce qui caractérise les signes du langage humain, ce n'est pas tantleur généralité que leur mobilité.

Le signe instinctif est un signe adhérent, le signe intelligent est un signe mobile.

Bergson 2) Au-delà de cet aspect, la pensée apparaît comme sous-tendue par la conscience, comme capacité de l'esprit de se représenter, demanière réflexive, ses propres opérations et d'en opérer une synthèse où le « je » se constitue.

L'identité, comme puissance de dire je,est en cela un élément essentiel de la pensée, qui n'est pas présent dans le calcul de la machine. "Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l'homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre.

Par là, il estune personne; et grâce à l'unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c'est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer à sa guise ; etceci, même lorsqu'il ne peut pas encore dire le Je, car il l'a cependant dans sa pensée.

Il faut remarquer que l'enfant, qui sait déjà parler assezcorrectement, ne commence qu'assez tard (peut-être un an après), à dire Je; avant, il parle de soi à la troisième personne (Charles veut manger,marcher, etc.) ; et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l'autremanière de parler.

Auparavant il ne faisait que se sentir; maintenant il se pense." Kant Dès le moment où l'enfant commence à parler de lui à la première personne, il se saisit lui-même comme sujetpensant et conscient.

Cette faculté de la conscience à se prendre elle-même pour objet, qu'on appelle la"reflexivité" de la conscience, fait de l'être humain une personne (et non une simple machine), cad , chez Kant, unsujet moral responsable constituant une fin en soi. La conscience n'est autre chose que l'esprit.

L'acte par lequel l'esprit se dédouble et s'éloigne à la fois de lui-même et des choses est un acte siimportant qu'il a fini par donner son nom à la vie psychique tout entière ; ou plutôt « la prise de conscience » ne désigne pas un acte distinct, maisune fonction où l'âme totale figure à quelque degré et qui est propre à l'attitude philosophique.

Dans sa mobilité infinie la conscience peut seprendre elle-même pour objet : entre le spectateur et le spectacle un va-et-vient s'établit alors, une transfusion réciproque de substance : laconscience-de-soi, en s'aiguisant, recrée et transforme son objet puisqu'elle est elle-même quelque chose de cet objet, à savoir un phénomène del'esprit ; mais l'esprit à son tour déteint sur la conscience, puisqu'en somme c'est l'esprit qui prend conscience.

Il y a en nous comme un principed'agilité et d'universelle inquiétude qui permet à notre esprit de ne jamais coïncider avec soi, de se réfléchir sur lui-même indéfiniment ; de toutechose nous pouvons faire notre objet et il n'est pas d'objet auquel notre pensée ne puisse devenir transcendante : l'idea ideae [l'idée de l'idée]existe donc à des « puissances » variées, sous d'innombrables exposants.

Cette délicatesse d'une conscience capable de se multiplier à l'infini parelle-même, ces raffinements qui permettent à notre esprit, si nous le voulons, de n'adhérer jamais à soi, cette subtilité enfin ne sont-ils pas lamarque distinctive de l'intelligence humaine ? La conscience veut n'être dupe de rien, pas même de soi.

C'est une infatigable ironie.

Tout de mêmeque l'artiste possède, par nature, une certaine finesse de regard qui lui permet de percevoir dans tous les paysages possibles l'ordre du désordre,ainsi la conscience se divise extrêmement, se fait toute ténue, aiguë et abstraite, afin de n'être pas surprise par le donné.

Elle est clairvoyance etliberté.

JANKÉLÉVITCH 3) La tendance actuelle à identifier les processus de calculs propres à l'ordinateur à la pensée humaine en employant notamment leterme « d'intelligence artificielle » est peut-être révélateur d'un certain danger.

Ce dernier résiderait dans un anthropomorphismerévélant en réalité une conception réductrice de la pensée, voire négatrice de ce qui en elle fait justement l' humanité de notre espèce.Si les machines sont utiles aux hommes, il s'agirait dès lors de prendre garde à ne pas nous identifier à elles, au risque de nier ce quifait de nous des êtres particuliers entre tous les étants. Il serait urgent de défendre l'homme contre la technologie de notre siècle.

L'homme y aurait perdu son identité pour entrer comme un rouage dansune immense machinerie où tournent choses et êtres.

Désormais, exister équivaudrait à exploiter la nature ; mais dans le tourbillon de cetteentreprise qui se dévore elle-même, ne se maintiendrait aucun point fixe.

Le promeneur solitaire qui flâne à la campagne avec la certitude des'appartenir, ne serait en fait, que le client d'une industrie hôtelière et touristique livré, à son insu, aux calculs, aux statistiques, aux planifications.Personne n'existerait pour soi.

Il y a du vrai dans cette déclamation.

La technique est dangereuse.

Elle ne menace pas seulement l'identité despersonnes.

Elle risque de faire éclater la planète.

LEVINAS.. »

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