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« À mademoiselle *** », Poésies nouvelles, Alfred de MUSSET

Publié le 06/09/2006

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Oui, femmes, quoi qu'on puisse dire,  Vous avez le fatal pouvoir  De nous jeter par un sourire  Dans l'ivresse ou le désespoir.  Oui, deux mots, le silence même,  Un regard distrait ou moqueur,  Peuvent donner à qui vous aime  Un coup de poignard dans le coeur.  Oui, votre orgueil doit être immense,  Car, grâce à notre lâcheté,  Rien n'égale votre puissance,  Sinon votre fragilité.  Mais toute puissance sur terre  Meurt quand l'abus en est trop grand,  Et qui sait souffrir et se taire  S'éloigne de vous en pleurant.  Quel que soit le mal qu'il endure,  Son triste rôle est le plus beau.  J'aime encor mieux notre torture  Que votre métier de bourreau.  Mars 1839.  « À mademoiselle *** «, Poésies nouvelles, Alfred de MUSSET

Le poème proposé pour cette étude littéraire ne pose guère de problèmes. Puisqu'il n'y a pas de chapeau introducteur les précisant, il n'est pas du tout nécessaire de connaître les circonstances exactes qui ont présidé à sa rédaction. Il s'agit effectivement d'une petite vengeance personnelle de Musset, dépité d'avoir été éconduit en janvier 1839 par Pauline Garcia, la soeur de la Malibran, une célèbre mezzo-soprano, et chanteuse d'opéra elle-même. Les questions, en particulier dans la seconde partie, mettent l'accent sur l'implication personnelle du poète et amènent à la saisir. La principale difficulté tient en réalité à l'humour du poème, grinçant et mordant ici, qu'il convient de discerner derrière la virtuosité et l'apparente facilité du style de Musset Soyez donc bien attentifs aux figures de style (l'anaphore et les antithèses, surtout) qui permettent de dégager le sens du poème. Ne vous contentez d'ailleurs jamais d'un simple repérage, ni même d'un relevé, qui ne sont validés que par une interprétation approfondie et argumentée.

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« Déjà mise précédemment en évidence, c'est bien l'anaphore de « Oui », au début des trois premiers quatrains, quistructure fortement le poème et prépare le basculement observé dans les deux dernières strophes (« Mais...

»).Nous sommes en présence d'un procédé bien connu de la rhétoriqde : « Oui...

mais », que l'on trouve fréquemmentdans les textes à visée argumentative.

Le début du poème constitue une triple concession accordée au pouvoir desfemmes, vigoureusement interpellées dans leur rôle de tyrans, puis remises en question après l'abolition de leursprivilèges et réduites à la basse besogne de « bourreau[x] ».

De fait, il s'agit d'un poème à visée argumentative, quisouligne la « fragilité » de la puissance féminine (troisième quatrain), mais aussi sa cruauté (on peut relever unesérie de termes évoquant les souffrances endurées par les hommes : « désespoir », v.

4 ; « coup de poignard », v.8 ; « souffrir », v.

15 ; « pleurant », v.

16 ; « triste », v.

18 et « torture », v.

19).

Le poète veut montrer que lesfemmes, sûres de pouvoir gouverner et martyriser leurs soupirants à leur guise, oublient que leur puissance n'existeque par l'amour qui transit les amoureux éperdus.

L'antithèse qui clôt le troisième quatrain (« puissance/fragilité »)annonce non pas la prise de la citadelle féminine, mais le désintérêt des amants éconduits et lassés de trop souffrir.Le mordant de cette épigramme tient à sa subtilité : tout ne repose-t-il pas sur le fameux « Oui » que la femme nes'est pas décidée à prononcer et qui finit par décourager l'amant déçu ? Si le locuteur est facile à identifier (le « je » du dernier quatrain montre clairement l'implication personnelle du poètedans cette épigramme), il ne faudrait pas se laisser abuser par l'apostrophe du premier vers ; le poète ne s'adressepas aux « femmes » en général, mais à celle qui est désignée sans être nommée dans le titre « À mademoiselle ».Cette mystérieuse jeune personne est bien la cible visée par le poète, et la présence des trois astérisques indiqueune volonté de préserver l'anonymat de la jeune fille, donc garantit l'authenticité de l'épisode à l'origine de cepoème.

En effet, la deuxième strophe laisse entendre que le poète, déclarant sa flamme à mademoiselle *** (v.

6),s'est heurté à son « silence » et à son « regard distrait ou moqueur » et a essuyé par conséquent un refushumiliant, voire douloureux (cf.

« Un coup de poignard dans le coeur »).

On saisit dès lors que le but de cetteépigramme, qui renverse la souveraineté féminine et en souligne la « fragilité » (v.

11), est de venger cet affront.Bâtissant sa réplique sur l'anaphore de ce consentement qu'elle n'a pas daigné lui accorder, le poète emploie toutesa verve à rabattre la morgue des femmes trop hautaines.

Il rappelle au passage que seul l'amour donne aux femmesquelque ascendant sur les hommes, mais que ceux-ci, et lui le premier, se lassent de trop souffrir.

L'efficacité decette vengeance tient finalement au vilain « rôle » qu'il fait endosser aux femmes, « bourreau[x] des coeurs »,despotes cruels aimant faire souffrir les malheureux amants, ceux-ci reprenant le beau rôle (cf.

v.

18) et se drapantdans leur dignité de martyrs.

L'acrimonie de cette punition est au fond destinée à piquer l'amour-propre de cettejeune fille et à l'accabler définitivement de son indifférence à l'égard du poète.. »

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