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MARCEL PAGNOL: Topaze (Analyse et résumé)

Publié le 22/02/2012

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Il serait dommage de ne voir dans Topaze que la satire des moeurs d'une époque. Dommage aussi de se restreindre à l'idée que Topaze est ridicule parce qu'il découvre que la bonté n'est pas toujours récompensée, et les mauvaises actions toujours punies, enfin que la pièce est drôle parce qu'elle ruine les maximes auxquelles Topaze croit, qui sont celles de l'école primaire la plus désuète et la plus caricaturale. La pièce est amère et cruelle pour des raisons inverses : le triomphe final du « héros » est fondé sur la destruction mutuelle des deux adversaires. En battant les rusés sur leur terrain, le héros ne ruine pas que ses convictions ; il disqualifie aussi les leurs. Il ne faut vraiment pas un surhomme pour battre à leurs pauvres jeux ceux qui «gagnent ».

« l'aisance avec laquelle on peut y régner.

Le suicide de la morale n'assure pas le triomphe de la corruption, mais ildéclenche sa disqualification.

On ne peut plus croire à la valeur de la morale, mais pas plus à celle de ceux quil'achètent : tout cela ne vaut plus très cher.Le monde, dit au fond Topaze, vaut si peu que même moi, je suis capable de vous en remontrer sur les motifsprincipaux de votre fierté : l'affairisme est non seulement misérable moralement, mais si nul dans sa bassesse qu'unprof de dernière ( catégorie peut en remontrer aux prétendus roués.La pièce dit : « Si c'est à ça que vous jouez, je sais y jouer aussi, mais je vous préviens que rien de votre jeu n'estdigne d'estime.

» C'est une pièce sur la déception sensible d'un homme qui se sent berné par les prestiges qu'on lui afait admirer envers le savoir, alors que personne n'y croit et ne s'en sert.

Topaze est la vengeance d'un déçu.

Elleatteste que si le monde est fait des triomphes du genre de ceux de Castel-Bénac, il n'est à peu près rien qui dansce monde vaille la peine d'être estimé.

Elle se borne à regretter que ce soit là tout ce à quoi les hommes ont trouvéle moyen de s'occuper.La pièce trace ainsi une frontière rarement dessinée, non pas tant entre la morale et l'immoralité, qu'entre deuxordres de fonctionnement humain, l'intelligence et la ruse.

La ruse est ce qu'il y a de plus simple pour quelqu'und'entraîné à l'intelligence, car ce n'est pas un prolongement de l'intelligence, c'est ce qui commence là oùl'intelligence s 'arrête.

Et Topaze, tout candide qu'il soit, dispose de cent fois l'intelligence nécessaire pour faireintelligemment des affaires douteuses, ou pour user des règles douteuses du jeu pour faire des affaires intelligentes.Il ne suffisait que d'une chose : qu'on lui dise de cesser de faire l'âne au nom de l'esprit.La pièce signale que l'impératif de l'éducation, qui est toujours celui de la recherche et de l'enseignement d'unemorale, d'une série de valeurs, et celui de règles de la vie entre les hommes, les jeux de la puissance et de l'argent,se nient toujours l'un l'autre.

Ce n'est pas tant que les affaires n'obéissent pas toujours à la « morale», ou qu'ils latrahissent quelquefois; c'est bien plutôt qu'elles supposent continuellement que l'on doit passer outre — que lesmots ne coïncident pas avec les notions et les actes.

En somme, la pièce pose deux questions à la fois : pourquoiles hommes sont-ils forcés de se conduire en affaires comme si tout ce qui se dit était sans valeur ni sens? Etpourquoi les hommes alors s'estiment-ils obligés d'entretenir un système de transmission du sens, avec lesenseignants, sinon pour opérer un tri entre faibles et naïfs (ceux qui y croient) et forts (ceux qui savent bien quetout cela n'est que mensonge)? Y A-T-IL UNE MORALE LAÏQUE? Topaze est la pièce d'un homme de foi, un prêtre du savoir, qui s'aperçoit que le monde est organisé de telle sorteque, hors de sa profession, lui, ses pareils et ses dogmes y font figure de dupes, que les seuls à ne pas pouvoir s'endouter sont les victimes, et que son credo sert aux incrédules.

Les curés de la morale, qui se croyaient à l'abri des «croyances superstitieuses » des religions, sont ainsi, tant qu'ils restent dans leur enseignement, les seuls à croire àce qu'ils enseignent (même les élèves de Topaze semblent mieux renseignés que lui sur la violence naturelle dumonde et la toute-puissance de l'argent), et pire, ils y sont aussi niais et dévots que les prêtres le sont aux yeuxdes libres penseurs.Topaze découvre que le monde des idées, qu'il croyait être l'affaire de tous, n'est que son affaire ; que la grandeaffaire des autres sont « les affaires », et que leur monde est complètement dépourvu d'idées, de croyances, mêmenon religieuses.

C'est en somme une pièce sur la perte de la foi, et presque, a contrario, sur la nécessité d'une foi,sous peine de ne vivre que dans un monde sans foi ni loi.Les pièces et les films de Pagnol fourmillent de sermons (de vrais modèles de sermons de curés) : il y en a assezpour qu'on en ait fait un volume ; il est fils de libre penseur; à la fois amusé et tenaillé par les escarmouches entreprêtres et instituteurs, et le profond problème qu'elles recouvrent (ces deux adversaires ne seraient-ils pas lesmeilleurs ennemis du monde, et surtout tout deux alliés contre l'absence totale de principes ?).

Il détaille au fonddans Topaze la version laïque d'un problème littéralement religieux : ce qu'une société se dit et donne à enseignerpar ses professeurs et à apprendre à ses élèves est-il bien ce qu'elle fait, et les principes exposés sont-ils bien ceuxpartagés par tous'? Si ce n'est pas le cas, ils deviennent, exacte-ment comme les libres penseurs le reprochent auxgens d'Église, les principes utilisés par quelques-uns pour en duper le plus possible, ou à tout le moins, si personnen'est dupe, les moyens d'apprendre à dissimuler derrière des paroles présentables des actes qui ne le sont pas(Castel-Bénac : « Pas de vilains mots, ça nous fera la bouche fraîche »). QUOI SERT LA PAROLE? Pour cela aussi, Topaze est un modèle des questions que le théâtre peut se faire poser : à quoi sert la parole ? Laparole « sacrée » de l'Église n'est peut-être, si les agnostiques ont raison, qu'une duperie pour les crédules.

Mais laparole laïque, la « parole donnée », les valeurs morales de confiance, d'honnêteté, de probité, ne sont-elles paselles aussi l'opium du peuple ?Sur scène, non seulement la parole commente l'action, mais encore elle la crée.

Mais il faut que, comme une parolesacrée, religieuse ou pas, elle garantisse l'action et les conduites.

Si les actes des personnages ne sont pas à la foisfonction de ce qu'ils disent, de ce qu'ils sont, et de ce qu'on leur répond, comment s'y retrouver ?La parole, alors, n'est peut-être toujours présente dans la vie qu'en décalage par rapport à l'action, pour lacostumer et rendre présentable ce dont on ne peut faire un sujet décent de conversation.

Et, en effet, le comiquedans Topaze vient en grande partie du décalage entre celui qui ne vit pas de décalage entre les mots et les actes(scènes de présentation entre Topaze et Castel-Bénac, scène entre Topaze et le prête-nom professionnel, scène. »

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