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Marivaux, voulant donner son sentiment sur la querelle des aneiens et des modernes, écrivait en 1755 (commentaire)

Publié le 17/02/2012

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marivaux

Une grande quantité d'idées et une grande disette de goût dans les ouvrages de l'esprit, peuvent fort bien se rencontrer ensemble et ne sont point du tout incompatibles. L'augmentation des idées est une suite infaillible de la durée du monde; la suite de cette augmentation ne tarit point, tant qu'il y a des hommes qui se succèdent... Mais l'art d'employer les idées pour les ouvrages de l'esprit peut se perdre : les lettres tombent, la critique et le goût disparaissent, les auteurs deviennent ridicules ou grossiers, pendant que le fond de l'esprit humain va toujours croissant parmi les hommes.

Expliquez, par des exemples, cette opinion. — Qu'en pensez-vous ?

marivaux

« a la nature : « Il y a dans l'art un point de perfection, comme de bonte et de maturite dans la nature.

Celui qui le sent et qui l'aime a le goat parfait; celui qui ne le sent pas et qui aime en delta ou au dela, a le goutdefectueux.

Il y a done un bon et un mauvais gout, et Pon dispute des goats avec fondement.

Si tous nos « classiques » admirent les maitres de l'antiquite et profes- sent le dogme de Pimitation, ce n'est pas idolatrie, respect superstitieux de Pautorite en matiere litteraire, c'est parce qu'ils ont discerne en eux ce gout parfait, parce qu'ils ont reconnu en eux cette « nature » dont les Anciens etaient encore tout proches.

Its leur empruntent aussi bien les idees (Horace l'a dit avant vous - Qu'importe, si je le dis comme mien! - La Bruyere) que la forme (La Fontaine, Epitre a Huet).

Le souci de produire des oeuvres ou l'eternel bon gout - bon sens appliqué aux arts - et ce gout particulier qui est une maniere speciale de sentir a un moment donne, ne va pas, chez les 'rands ecrivains du xvna siècle, jusqu'a faire negliger les idees.

Non, le siecle de Descartes, de Pascal, de Malebranche, de Leibniz, de Bossuet n'a pas manqué d'idees.

II s'est seulement cantonne dans un cercle d'idees : theologie et metaphysique, psychologie et morale, plus soucieux de creuser que de s'etendre, de mar- cher dans le sens des traditions que d'innover.

Les « philosophes » du siecle suivant ont manifestement exagere en concedant les seuls « mots » a leers devanciers et en s'attribuant les « idees ».

Celles qui preoccupaient le xvue siecle sont point a dedaigner.

Quoi? accorderons-nous done moires d'importance aux choses suprasensibles, a ce qui se passe dans notre ame, a notre perfectionnement interieur, a « Part de vivre en paix avec les hommes » qu'a la reforme des gouvernements et des institutions? Non, ce mepris que professent les hommes du « siècle des lumieres » pour tout ce qui &passe les sens ne les grandit pas; leur philosophie mutilee s'en va a la derive, dans le courant sensualiste de Locke, pour aboutir au plus has materialisme.

Pareilles idees n'ont rien d'exaltant etl'on se demande comment Pinfortune Chenier qui revait de les chanter en vers efit pu realiser un chef-d'oeuvre avec d'aussi pietres elements! Au contraire, les hommes qui se passionnerent pour le cartesianisme, le jansenisme, le quietisme, qui etaient capables d'entendre Bossuet et Bourdaloue, ont prouve que les idees ne nuisaient pas necessairement au goat. * * Marivaux (1683-1763) deplore, cela ressort clairement du texte que nous expliquons, la decadence du gout qui s'accentue des in Regence, et qui semble bien coincider, en effet, avec une preoccupation excessive de re- muer des idees.

Rappelons-nous le café Procope, ou it se fait une con- sommation d'idees plus considerable encore que du liquide magique auquel Michelet attribue ce bouillonnement intellectuel qui l'emerveille.

L'auteur de la Vie de Marianne et du Jeu de l'Amour et du Hasard ne semble pas partager l'engouement general, et ses contemporains n'ont pas manqué de le lui reprocher.

Ses preferences vont au goilt, plus qu'aux idees. Est-ce a dire que son goat fut parfait? Pas a ses debuts, a coup sun II se pose d'abord en emule de Scarron, c'est-A-dire qu'il bafoue les Anciens en composant une iliade travestie.

Il recidive en parodiant Telemaque.

Parodie encore, ce Pharsamon qui se moque de l'amour chevaleresque.

Une tra- gedie, Annibal, tombe a plat.

Il trouve sa voie, en 1720, avec Arlequin poll par l'Amour.

Pendant plus de vingt ans it y marche, estime des uns, denigre par les autres.

« A ses pieces, disait La Harpe, on sourit, mais on y baille.

» Ce mot, posterieur a in mort de Marivaux, coincide avec celui de Grimm (1763) : « Le souffle vigoureux de la philosophic a renverse depuis une quinzaine d'annees toutes ces reputations etayees sur des ro- seaux.

» De fait, apres vingt ans de succes discutes, Marivaux connut vingt annees d'injuste dedain : « un printemps brillant, dit le meme Grimm, un automne et un hiver des plus durs et des plus tristes ».

De nos jours it a etc rehabilite, et meme parfois porte un peu trop haut. Chretien passable, en un temps ou cela n'etait plus de mode dans le monde des lettres; pere d'une religieuse; decent, ninon d'une moralite irrepro- chable en ses ecrits - « Comedie sensuelle avec subtilite », dit Villemain; e indefinissable parfum de sensualite », souligne Lanson; « immoralite naive », specifie Brunetiere - it ne pouvait plaire aux philosophes.

Mais à la nature : « Il y a dans l'art un point de perfection, comme de bonté et de maturité dans la nature.

Celui qui le sent et qui l'aime a le goût parfait; celui qui ne le sent pas et qui aime en deçà ou au delà, a le goût défectueux.

Il y a donc un bon et un mauvais goût, et l'on dispute des goûts avec fondement. » Si tous nos « classiques » admirent les maîtres de l'antiquité et profes­ sent le dogme de l'imitation, ce n'est pas idolâtrie, respect superstitieux de l'autorité en matière littéraire, c'est parce qu'ils ont discerné en eux ce goût parfait, parce qu'ils ont reconnu en eux cette « nature » dont les Anciens étaient encore tout proches. Ils leur empruntent aussi bien les idées (Horace l'a dit avant vous — Qu'importe, si je le dis comme mien! — La Bruyère) que la forme (La Fontaine, Epitre à Huet).

Le souci de produire des œuvres où l'éternel bon goût — bon sens appliqué aux arts — et ce goût particulier qui est une manière spéciale de sentir à un moment donné, ne va pas, chez les grands écrivains du xvn e siècle, jusqu'à faire négliger les idées.

Non, le siècle de Descartes, de Pascal, de Malebranche, de Leibniz, de Bossuet n'a pas manqué d'idées.

II s'est sëulement cantonné dans un cercle d'idées : théologie et métaphysique, psychologie et morale, plus soucieux de creuser que de s'étendre, de mar­ cher dans le sens des traditions que d'innover. Les « philosophes » du siècle suivant ont manifestement exagéré en concédant les seuls «mots» à leurs devanciers et en s'attribuant les « idées ». Celles qui préoccupaient le xvii e siècle ne sont point à dédaigner. Quoi? accorderons-nous donc moins d'importance aux choses suprasensibles, à ce qui se passe dans notre âme, à notre perfectionnement intérieur,' à « l'art de vivre en paix avec les hommes » qu'à la réforme des gouvernements et des institutions? Non, ce mépris que professent les hommes du « siècle des lumières » pour tout ce qui dépasse les sens ne les grandit pas; leur philosophie mutilée s'en va à la dérive, dans le courant sensualiste de Locke, pour aboutir au plus bas matérialisme. Pareilles idées n'ont rien d'exaltant et l'on se demande comment l'infortuné Chénier qui rêvait de les chanter en vers eût pu réaliser un chef-d'œuvre avec d'aussi piètres éléments! Au contraire, les hommes gui se passionnèrent pour le cartésianisme, le jansénisme, le quiétisme, qui étaient capables d'entendre Bossuet et Bourdaloue, ont prouvé que les idées ne nuisaient pas nécessairement au goût.

Marivaux (1683-1763) déplore, cela ressort clairement du texte que nous expliquons, la décadence du goût qui s'accentue dès la Régence, et qui semble bien coïncider, en effet, avec une préoccupation excessive de re­ muer des idées. Rappelons-nous le café Procope, où il se fait une con­ sommation d'idées plus considérable encore que du liquide magique auquel Michelet attribue ce bouillonnement intellectuel qui l'émerveille. L'auteur de la Vie de Marianne et du Jeu de l'Amour et du Hasard ne semble pas partager l'engouement général, et ses contemporains n'ont pas manqué de le lui reprocher. Ses préférences vont au goût, plus qu'aux idées.

Est-ce à dire que son goût fut parfait? Pas à ses débuts, à coup sûr.

Il se pose d'abord en émule de Scarron, c'est-à-dire qu'il bafoue les Anciens en composant une Iliade travestie. Il récidive en parodiant Télémaque. Parodie encore, ce Pharsamon qui se moque de l'amour chevaleresque. Une tra­ gédie, Annibal, tombe à plat. Il trouve sa voie, en 1720, avec Arlequin poli par l'Amour. Pendant plus de vingt ans il y marche, estimé des uns, dénigré par les autres. «A ses pièces, disait La Harpe, on sourit, mais on y bâille.

» Ce mot, postérieur à la mort de Marivaux, coïncide avec celui de Grimm (1763) : « Le souffle vigoureux de la philosophie a renversé depuis une quinzaine d'années toutes ces réputations étayées sur des ro­ seaux. » De fait, après vingt ans de succès discutés, Marivaux connut vingt années d'injuste dédain : « un printemps brillant, dit le même Grimm, un automne et un hiver des plus durs et des plus tristes ».

De nos jours il a été réhabilité, et même parfois porté un peu trop haut.

Chrétien passable, en un temps où cela n'était plus de mode dans le monde des lettres; père d'une religieuse; décent, sinon d'une moralité irrépro­ chable en ses écrits — «Comédie sensuelle avec subtilité», dit Villemain; « indéfinissable parfum de sensualité », souligne Lanson; « immoralité naïve », spécifie Brunetière — il ne pouvait plaire aux philosophes.

Mais. »

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