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La mémoire est-elle la faculté d'oublier ?

Publié le 11/03/2004

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L'oubli est d'abord rapide, puis il continue à croître d'une façon plus lente. Au bout d'un temps très long, il subsiste encore quelque chose du souvenir, quelque chose de vague et de sommaire. La mémoire a donc pour fonction de résister, c'est-à-dire de s'opposer au fait biologique de la dégradation de nos représentations au cours du temps. Mais c'est précisément sur la base de l'oubli que la mémoire s'institue Se souvenir, c'est évoquer une image, un savoir, une idée qui, il y a un instant, était absente de la conscience. Il n'y avait pas souvenir, et brusquement, il va y avoir présence à notre conscience d'un événement, d'une circonstance passée. Ainsi, voilà que je me souviens soudain de cette excursion en montagne, faite il y a quelques années. Je pose ma plume, et il me semble retourner vers les lieux, il me semble que je revois le paysage, le lac loin au-dessous de nous, teinté d'une brume bleutée. M'en étais-je déjà souvenu ? Je ne le crois pas, et je serais incapable de dire comment et pourquoi j'en ai actuellement le souvenir. Au vrai, j'avais oublié cette promenade.

La mémoire, du latin "memoria", évoque le souvenir concret, incarné clans un mémorial. La mémoire est constituée de souvenirs accumulés au cours de l'existence. Elle n'est pas seulement comme un magnétophone qui enregistrerait les souvenirs au fur et à mesure des événements : elle est une faculté active qui structure l'information. Fonction de remémoration, elle est aussi la faculté d'oublier, d'effacer des souvenirs dont l'expérience prouve cependant qu 'on peut toujours les retrouver.

« SUPPLEMENT: NIETZSCHE : la nécessité de l'oubli Si l'animal jouit d'un bonheur que l'homme jalouse, c'est parce qu'il n'a pas de mémoire supérieure.

Seul l'homme dit «je me souviens » et pour cela il lui est impossible de vivre heureux et pleinement.

En effet :1) C'est par la mémoire, conscience du passé, que l'homme acquiert la conscience du temps et donc celle de lafugitivité et de l'inconsistance de toutes choses, y compris de son être propre.

Il sait que ce qui a été n'est plus, etque ce qui est est destiné à avoir été, à n'être plus.

Cette présence du passé l'empêche de goûter l'instant pur, etpar conséquent le vrai bonheur.2) Le passé apparaît à l'homme comme l'irréversible et l'irrémédiable.

Il marque la limite de sa volonté de puissance.L'instant présent, ouvert sur l'avenir, est le lieu du possible où peut s'exercer sa volonté de puissance.

Le passé, aucontraire, change et fige la contingence du présent en la nécessité du « cela a été ».

Dès lors la volonté ne peutque se briser sur cette pétrification du passé qui se donne comme le contre-vouloir de cette volonté.

C'est pourquoi« l'homme s'arc-boute contre le poids de plus en plus lourd du passé qui l'écrase ou le dévie, qui alourdit sadémarche comme un invisible fardeau de ténèbres ».3) Sans l'oubli l'homme ne peut pleinement vouloir ni agir : il est un être malade, il est l'homme du ressentiment.

La «santé » psychique dépend de la faculté de l'oubli, faculté active et positive dont le rôle est d'empêcherl'envahissement de la conscience par les traces mnésiques (les souvenirs).

Car alors l'homme réagit à ces traces etcette réaction entrave l'action.

Par elles l'homme re-sent, et tant qu'elles sont présentes à la conscience, l'hommen'en finit pas de ressentir, « il n'en finit avec rien ».

Englué dans sa mémoire, l'homme s'en prend à l'objet de cestraces dont il subit l'effet avec un retard infini et veut en tirer vengeance': « On n'arrive à se débarrasser de rien,on n'arrive à rien rejeter.

Tout blesse.

Les hommes et les choses s'approchent indiscrètement de trop près, tous lesévénements laissent des traces; le souvenir est une plaie purulente.

» Mémoire et oubli - La mémoire, c'est aussi l'expérience douloureuse de l'oubli, si l'on entend par oubli le fait que des souvenirs ne puissent être rappelés.

On considère généralement l'oubli comme une défaillance pathologique de la mémoire(amnésie).

Or, oublier est parfois salutaire, voire réconfortant.

Il s'agit donc de s'interroger sur la fonction et lavaleur de l'oubli, et voir ce que l'expérience de l'oubli nous révèle sur la mémoire elle-même.

L'oubli, unepathologie ou une vertu ? Peut-on véritablement vivre sans oublier ? - Une mémoire exhaustive n'est pas souhaitable dans la mesure où retenir l'intégralité absolue des informations reçues constitue une forme de folie.

La mémoire ne peut vivre que de sélection .

Exemple de Funes (Borges, in Fictions , « Funes ou la mémoire ») pour qui le passé peut revenir intégralement dans le présent (il souffre " d'hypermnésie ") : il perçoit tout, se souvient de tout ; il se souvient de chaque chose perçue, mais aussi dechacune des fois où il a perçu la chose : « J'ai à moi seul plus de souvenirs que n'en peuvent avoir eu tous leshommes depuis que le monde est monde », déclare Funes. - Une telle mémoire est une mémoire délirante parce que trop concrète, incapable d'abstraire, de négliger, d'abréger, de sélectionner, de penser vraiment : « Il avait appris sans effort l'anglais, le français, le portugais, lelatin.

Je soupçonne cependant qu'il n'était pas très capable de penser.

Penser, c'est oublier des différences, c'est généraliser, abstraire .

Dans le monde surchargé de Funes, il n'y avait que des détails, presque immédiats » (Borgès, ibid.).

Une mémoire parfaite est une mémoire morte .

La mémoire vivante est imparfaite et oublie.

D'où la valeur inestimable de l'oubli . - Il y a une vertu de l'oubli qui est nécessaire à la vie mentale (vertu = puissance, excellence, perfection d'un acte), même si certains oublis sont fâcheux (oublier, par exemple, de fermer le gaz et faire sauter l'immeuble) oupathologiques (ceux qui rendent la vie impossible: exemple de l'obsession).

L'oubli est souvent qualifié denégligence, de frivolité, d'insouciance et avoir une bonne mémoire rend incontestablement service.

L'oubli peutalors être une faiblesse (exemple de l 'Odyssée d'Homère, chant IX) : les lotophages offrent des aliments aux compagnons d'Ulysse ; ces aliments apportent l'oubli du pays natal et du retour ; Ulysse n'en mange pas etapparaît comme l'homme rusé qui se souvient. - Certes, l'oubli nous arrange, sert nos intérêts : « Nous oublions aisément nos fautes lorsqu'elles ne sont sues que de nous » (La rochefoucauld, Maximes ).

Il constitue une force de résistance et de défense : « Je l'ai fait », dit ma mémoire, «Je ne puis l'avoir fait », dit mon amour-propre, et il n'en démord pas.

En fin de compte,c'est ma mémoire qui cède » (Nietzsche, Par-delà le Bien et le Mal, par.

68).

L'oubli permet de vivre, de penser sans avoir constamment sous les yeux l'insupportable . - Pourtant, il y a des devoirs de mémoire : nos origines, les horreurs de la guerre et de l'histoire, notre mortalité.

La mémoire, sur le plan moral, est une condition du jugement moral et de la responsabilité.

La mémoireest de l'ordre de la volonté : c'est l'esprit humain qui décide ce qu'il ne faut pas oublier.

L'oubli, au contraire, estinvolontaire et, en cela, il semble exclu du champ de la morale : il est impossible de devenir innocent, spontanési on nous dit de l'être ; impossible d‘oublier si on nous dit de l'être, si on décide d'oublier (décider, c'est penser,penser à oublier, c'est conserver dans sa pensée ce que l'on doit oublier).. »

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