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La métamorphose, Franz Kafka

Publié le 24/09/2010

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Franz Kafka est un écrivain issu d'une famille juive germanophone installée à Prague à la charnière du XIXème siècle et du XXème siècle. La Métamorphose est une nouvelle écrite par Kafka en 1912 qui est également une année très sombre pour l'auteur : il hait son métier, sa famille et l'atmosphère pesante qui en découle se retrouve dans ses écrits. La Métamorphose, qui compte une centaine de pages, raconte la vie de Gregor Samsa qui s'est réveillé un matin transformé en insecte géant. Étant, dans sa famille, le seul à travailler, Gregor doit alors affronter le rejet de sa famille et de la société en général. Il est enfermé et isolé dans sa chambre car les membres de sa famille ne supportent pas sa vue. La nouvelle s'achève par la mort du personnage, avec cet épitaphe : « Venez donc voir, il est crevé, il est là, il est couché par terre, il est crevé comme un rat « Pourquoi métamorphoser ? Si la métamorphose est un sujet traditionnel, Kafka ne lui donne t-il pas également un aspect original et unique. Faut-il noter également, en tant que caractéristique récurrente de l'auteur, le thème de l'exclusion et la dimension tragicomique-comique de l'œuvre ?

 

La Métamorphose, comme l'indique son titre, traite de métamorphose. Ce thème n'est pas neuf, il est présent dans la mythologie, les contes et un grand nombre de récits fantastiques. Cependant, on note chez Kafka une volonté de se démarquer de ses modèles grâce à de nombreuses innovations. Tout d'abord, le récit ne laisse aucune place aux sentiments de doute et d'hésitation qui constituent la trame même des écrits fantastiques. Le début du récit, « [l]orsque Gregor Samsa s'éveilla un matin au sortir de rêves agités, il se trouva métamorphosé en un monstrueux insecte «, fait pénétrer le lecteur in medias res et entame aussitôt une description de l'insecte, ne laissant ainsi aucune place au doute et à l'imagination, et enlevant toute possibilité de retour à la normale pour le personnage.

On remarque également que, contrairement aux œuvres rencontrées auparavant, le sujet central de la nouvelle n'est pas la métamorphose de Samsa en cafard mais plutôt les réactions de sa famille face à l'évènement et même la transformation, la métamorphose de cette famille. Le père, la mère et la sœur passent du sentiment d'amour à son antithèse, la haine tandis que le fils autrefois modèle devient peu à peu à leurs yeux un nuisible, un parasite. En effet, quand ils découvrent sa transformation, la mère pousse de grands cris et s'évanouit et le père donne au derrière de Gregor un violent coup de pied. La transformation et la mort du fils entraîne le passage de la fille de la famille à l'âge adulte puisqu'il est question de son futur mariage :« il allait être temps de lui chercher quelque brave garçon pour mari «. La mort de Gregor permet aussi à la famille, une sorte de renaissance : eux qui vivait autrefois sur le salaire du jeune homme et ne sortait jamais de leur appartement font, quelques heures seulement après la disparition du corps de leur fils, une promenade à la campagne qui marque leur libération et annonce des temps nouveaux et heureux. Cette émancipation, au contraire de la métamorphose soudaine de Gregor, se fait progressivement par l'obligation pour les trois membres de la famille, de se trouver un travail.

 

Présent dès le début de l'œuvre, avec les réactions horrifiées des parents et du fondé de pouvoir - venu vérifier la raison de l'absence de Gregor à son travail -, le thème de l'exclusion augmente en intensité au fil de l'œuvre. Le premier chapitre où la famille découvre la transformation s'achève par l'agression physique du père sur le fils. Dans le deuxième ensuite, l'ostracisme continue et s'accentue : si Grete, la sœur de Gregor, se charge de le nourrir, sûrement par curiosité et un peu de culpabilité - mais pas de pitié -, elle s'occupe également de vider sa chambre, comme s'il n'existait plus, tandis que les parents ignorent totalement leur fils et refusent d'entrer dans sa chambre - bien que la mère, encouragée par ses sentiments maternels, fait une brève tentative mais s'évanouit à nouveau en voyant son fils-insecte. Comme le premier chapitre, le deuxième s'achève également par un nouvel acte de violence : le père bombarde le fils avec des pommes. Le dernier chapitre pousse jusqu'au out la dynamique de l'exclusion et de l'isolement : les facultés physiques et sensorielles du héros déclinent - il ne parle plus, ne voit plus, ne mange plus et ne bouge plus - et ses parents lèvent totalement le voile sur leurs véritables intentions. A leurs yeux, le héros n'est plus seulement un étranger avec qui on ne se mêle pas, un malade qu'on met en quarantaine; c'est un monstre qui doit disparaître pour permettre à sa famille de revivre. De plus Gregor choisit lui-même de s'isoler : il éprouve un sentiment intense de culpabilité et refuse d'imposer sa vision repoussante à sa famille. En effet, il se cache sous un canapé qu'il a même recouvert d'un drap dès que sa sœur vient le nourrir. Enfin la mort de Gregor, à la fin du récit n'affecte pas outre mesure les Samsa et entraîne plutôt leur libération.

 

Une autre hypothèse d'analyse concernant La Métamorphose consisterait à relier la nouvelle à un récit autobiographique. En effet, beaucoup d'éléments semblent rapprocher Franz Kafka et Gregor Samsa : leurs seuls noms de famille présentent la même assonance en « -a- «. Le personnage et son créateur subissent tous deux un métier qu'ils considèrent contraignant et ennuyeux. Enfin leurs traits de caractère paraissent proches.  Placé sous la double autorité d'un père et d'un patron autoritaires et arbitraires, Gregor apparaît introverti, solitaire et soumis : autant de caractéristiques qui ont souvent été assimilées à la personnalité tourmentée de Kafka. Sans totalement s'identifier à son personnage, Kafka suggère peut-être qu'il est lui-même le pathétique héros de La Métamorphose.

Dans ce cas, on peut également noter la ressemblance entre les personnages qui gravitent autour de Gregor et l'entourage de l'auteur : un père impulsif, une mère maladive et émotive et une sœur, en apparence plus sombre, mais en réalité plus cruelle encore que les parents. Cette analyse autobiographique, si elle semble attirante, ne suffit pas à comprendre l'œuvre. Contre toute attente, le personnage principal ne nourrit aucun sentiment de haine ou de dégoût pour sa famille. Il éprouve un fort sentiment de culpabilité face à la situation financière dans laquelle se trouve sa famille par sa faute. Même son père, désagréable à bien des égards, Gregor l'aime. Avec sa petite taille d'insecte, son père lui paraît être un géant. Il admire sa force et son énergie. Le dernier chapitre, alors que Gregor se sent mourir, prend des allures d'appel à l'amour et à la réconciliation familiale : Gregor meurt « paisiblement et réconcilié avec tous «.

Autre interprétation possible : le cancrelat peut également être un portrait de l'artiste exclu de la société et incompris par ses semblables. Incapable de travailler et donc inutile à la société, vivant dans un milieu bourgeois et étriqué, Gregor est en constante opposition avec sa famille. Ses parents semblent uniquement préoccupés par le besoin d'argent tandis qu'il préfère écouter sa sœur  jouer du violon et nourrit le projet de l'envoyer au conservatoire.

 

Enfin, les œuvres de Kafka présentent toutes un décor très sombre et tragique. La Métamorphose n'y échappe pas et va plus loin que les romans postérieurs de Kafka : le récit met en scène  un homme qui, réduit à l'état de parasite, finit sa vie dans une poubelle! La Métamorphose ressemble en réalité à une pièce de théâtre tragique en trois actes. Elle se déroule en effet dans un espace clos - l'appartement et, plus précisément, la chambre - et on assiste à la catabase du personnage qui perd peu à peu ses facultés physiques et sensorielles qui lui permettaient de s'exprimer. Comme dans une tragédie classique, le héros, de qui dépendait toute la famille avant sa transformation est relégué au second plan et à un rôle figuratif à mesure que la famille passe au premier plan. Cette analyse d'une représentation tragique est cependant nuancée par le fait que Gregor, à la différence des héros tragiques, ne cherche pas à lutter contre son destin et n'est pas non plus victime d'hybris. De plus, on remarque plusieurs procédés comiques, comme la scène qui clôt le chapitre I où la famille et le fondé de pouvoir découvrent la métamorphose : la mère s'évanouit, le fondé de pouvoir dévale les escaliers, les fenêtres s'ouvrent toutes seules et le père repousse Gregor avec « un coup de pied violent et vraiment libérateur «.

 

Nous pouvons donc en conclure que La Métamorphose comporte une grande quantité de niveaux de lecture. Il est possible d'être interpellé par la tension entre les éléments fantastiques et le quotidien du réel. Œuvre originale utilisant la tradition de la métamorphose pour mieux s'en démarquer, la nouvelle peut en fait se lire comme une fable moderne sur l'exclusion. Comme dans l'Âne d'or, où Lucius garde la faculté de penser, Gregor conserve son esprit et ses souvenirs – ce sont d'ailleurs les seules choses qu'il lui reste. De même, Gregor, Lucius ou encore le Dr. Jekyll possèdent des caractéristiques animales et/ou mauvaises qui sont seulement révélées par la métamorphose.

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