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LES TÉMOIGNAGES DE DIDEROT ET DES CONTEMPORAINS

Publié le 16/06/2011

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diderot

 

Sans cesse les confidences et remarques de Diderot sur lui-même et les impressions de ceux qui l'ont connu viennent confirmer ce que nous révèle le spectacle de sa vie. Avidité intellectuelle : c'est cette « fureur d'étude « qu'il éprouvait, nous dit-il, à trente ans et qu'il retrouve vers la soixantaine. « Cette médiocrité dans tous les genres, dira-t-il dans son Essai sur les règnes de Claude et de Néron, est la suite d'une curiosité effrénée et d'une fortune si modique qu'il ne m'a jamais été permis de me livrer tout entier à une seule branche de la connaissance. « Nous avons vu qu'il avait exagéré la modicité de sa fortune ; le labeur de l'Encyclopédie est à peu près terminé vers  1766 ; et c'est sans doute la curiosité effrénée qui serait surtout responsable. Rappelons pour n'y plus revenir, la prodigieuse variété d'études dont témoigne ce qu'il a publié. Il s'occupe de médecine, de chirurgie, de chimie, de botanique pour traduire le Dictionnaire universel de médecine, de chirurgie, etc..., de James. Il ne cessera guère de s'en occuper et d'en écrire jusqu'aux Principes de physiologie et au delà. Il étudie la musique et l'acoustique dans les Mémoires sur différents sujets de mathématiques, dans la Lettre sur les sourds et muets et ailleurs. Il lit, bien entendu, non pas tous les philosophes (il en parle trop souvent de seconde main) mais beaucoup. Il a la passion du théâtre.

 

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« Ici Dorval est le Diderot qui pense, qui compose ou tout simplement qui parle.

Ceux qui le connaissaient l'ont vu ainsiembrasé, haletant, consumé.

« Quand, à la Chevrette, ses amis entraient dans la chambre où il travaillait, ils letrouvaient plongé dans la douleur et le visage inondé de pleurs.

» Garat va le voir.

Diderot « se lève, ses yeux sefixent sur moi et il est très clair qu'il ne me voit plus du tout » dans l'enthousiasme d'une improvisasion illuminée.C'est du même Diderot que Dupont de Nemours, vers vingt ans, devient « amoureux » : « dans son cabinet, devantson bureau, en robe de chambre, il se levait tout à coup, ôtait son bonnet et, se livrant à son enthousiasmepoétique ou philosophique, il déployait sa faculté que je n'ai jamais vue qu'à lui de remuer les oreilles et de dresserles cheveux ».Suivons ce Diderot, dans ses transports, à travers quelques-unes des aventures de ses lectures, de sesconversations, de ses promenades.

Lit-il Clarisse Harlowe ? a Je ne pouvais plus lire, je me levai et me pris à medésoler, à apostropher le frère, la soeur, le père, la mère et les oncles.

» Ecoute-t-il un concert ? La musique leplonge dans a l'ivresse ».

Elle le fait passer « de la fureur à la joie, de la joie à la fureur...

Je n'exagère point quandje vous dis que je me suis senti frémir et changer de visage ».

Est-il importuné par ses amis ? « l'impatience meprend ; et, rendu éloquent par l'injustice de tous ces gens-là, je fais une sortie abominable contre l'amitié ; je lapeins comme la plus insupportable des tyrannies.

» Cette tyrannie est pourtant de celles qui font les délices de soncoeur.

Grimm est de retour, après une longue absence : "Avec quelle chaleur nous nous sommes serrés ! Mon coeurnageait.

Je ne pouvais lui parler, ni lui non plus.

Nous nous baisions sans mot dire, et je pleurais..." C'est M.

Grimm "- C'est M.

Grimm ! repris je avec un cri ; et je me levai, et je courus à lui, et je sautai à son col ! » Il se jette aussibien au cou de Sedaine dans la ferveur que lui inspire la représentation du Philosophe sans le savoir.

Il lui suffit delire ou d'entendre le récit d'un acte d'injustice ou de vertu pour être jeté hors de lui : « le spectacle de l'injustice metransporte quelquefois d'une telle indignation que j'en perds le jugement et que, dans ce délire, je tuerais,j'anéantirais ; aussi celui de l'équité me remplit d'une douceur, m'enflamme d'une chaleur et d'un enthousiasme où lavie, s'il fallait la perdre, ne me tiendrait à rien ».A travers ces témoignages apparaît un aspect de son tempérament sur lequel il n'est.

pas inutile d'insister.

Diderotest sans doute un des rares « philosophes » qui ait médité aussi tumultueusement.

Par contre les écrivains,romanciers, poètes, essayistes ne sont pas rares qui aient composé dans la ferveur, l'extase et l'emportement.

Maisil y en a sans doute fort peu, s'il y en a, dont la machine physique ait été aussi violemment et aussi curieusementébranlée.

Je ne sais si vraiment, comme le dit Dupont de Nemours, ses oreilles remuaient.

Mais c'est Diderot lui-même qui avoue le frémissement des cheveux et de tout l'être : e Il me semble que mon coeur s'étend au dedans demoi, qu'il nage...

J'ai peine à respirer ; il s'excite à toute la surface de mon corps comme un frémissement ; c'estsurtout au haut du front, à l'origine des cheveux qu'il se fait sentir ; et puis les symptômes de l'admiration et duplaisir viennent se mêler sur mon visage avec ceux de la joie et mes yeux se remplissent de pleurs.

» « Il m'estcependant arrivé à moi-même, dans les agitations d'une passion violente, d'éprouver un frisson dans toute une main.» C'est là ce qui rend vraisemblable l'anecdote contée par Bourlet de Vauxcelles, fort suspect par ailleurs parce qu'iln'aimait pas Diderot.

Un jour que Mme Diderot e insistait un peu trop pour l'amener à ses volontés, il s'élance de sonsiège et va se frapper la tête si violemment contre la muraille qu'il tomba presque sans connaissance.

Revenu de sonétourdissement, il regarde la pauvre Mme Diderot qui était indignée, mais consternée, et lui dit, d'un ton de prophète: "Femme, j'aime mieux mourir que d'être subjugué !"Un pareil tempérament entraîne, presque inévitablement, de constantes et profondes sautes d'humeur.

C'est lui, etnon pas sans doute les Langrois, dont la tête est sur les épaules comme un coq au haut d'un clocher.

Sans cesse ilpasse du pessimisme à l'optimisme, de l'espérance au découragement, de l'allégresse aux idées noires ouinversement.

C'est lui-même qui le reconnaît : "J'avais, en une journée, cent physionomies diverses, selon la chosedont j'étais affecté.

J'étais serein, triste, rêveur, tendre, violent, passionné, enthousiaste..." Et son jugementlucide, sa a tête froide » de philosophe subissent les vicissitudes de sa sensibilité : « La moindre variation quisurvient dans mon thermomètre physique ou moral, le souris de celle que j'aime, un mot froid de mon ami, une petitebêtise de ma fille, un léger travers de sa mère, suffisent pour hausser ou baisser à mes yeux le prix d'un ouvrage.

rEt c'est la même véhémence, la même inconstance qui expliquent que Diderot ait été tour à tour avide d'amitié, decamaraderie, de conversation et rebuté par tout ce qui gênait, heurtait ses élans et ses sautes d'humeur dans la viesociale.

Il n'a jamais été homme de salon, mais il a été tout de même l'homme de deux salons, celui de la Chevrettechez Mme d'Epinay, et celui du baron d'Holbach, à Paris ou au Grandval.

Parfois aussi il n'a plus voulu de salons, nimême d'amitiés et de conversations.

Incapable de s'assouplir et de s'adapter il a préféré (surtout après 1766) vivreen ours, en tête à tête avec lui-même, le bonnet renfoncé sur les yeux.

« Grimm m'a dit plusieurs fois que j'avaisété fait pour un autre monde.

» C'est cet autre monde que nous allons retrouver dans son oeuvre.Nous ne devrons jamais oublier ce singulier Diderot eu étudiant cette oeuvre.

Il est évidemment impossible de lacomprendre, de l'expliquer comme on peut le faire pour celle d'un Montesquieu, enfermé dans ses lectures et sesméditations raisonneuses au château de la Brède, d'un Buffon dont la vie tient tout entière dans ses étudesd'histoire naturelle et l'administration de ses terres de Montbard, d'un Voltaire pour qui il n'y a point d'autre dieu quela « divine raison », d'un Rousseau qui la méprise et n'obéit jamais qu'aux « penchants de son coeur ».

L'oeuvre deDiderot est bien plus semblable à un torrent qui, sans doute, suit une pente mais dont on ne peut jamais prévoir lesdétours, les chutes écumeuses, les apaisements soudains au hasard d'un plateau.. »

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