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MOLIÈRE: Le Malade imaginaire

Publié le 02/03/2011

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Ce qui est certain, c'est que Molière a peint très fidèlement la médecine de son temps : le traitement prescrit par M. Purgon est exactement celui qu'on eût donné, en 1673, à un hypocondriaque (cf. J.-M. Pelous, Argan et sa maladie imaginaire, «Marseille«, n° 95, 1973); la cérémonie finale est exactement calquée sur le cérémonial authentique du doctorat (cf. M. Raynaud, Les Médecins au temps de Molière, chap. i) ; la querelle de la circulation du sang venait de rebondir, etc. Tout cela est d'un homme qui a connu de près la médecine de son temps et qui a pris le parti de la ridiculiser à la fois par des allusions très précises et par le grossissement d'un « sabbat « (Sainte-Beuve) délirant, et de la condamner par le truchement d'un porte-parole, Béralde.

« unique obsession, sa santé ; Toinette doit le soigner, et Angélique doit épouser un médecin.

Mais, très vite, lespersonnages se cabrent et prennent, malgré lui, leur autonomie ; chacun à sa manière se met à développer descontre-projets : Toinette, et Béralde qui la relaiera, veulent l'arracher à sa lubie, puis l'y jettent, mais à leur profit,non à sa convenance ; Angélique aime qui elle veut ; Béline s'apprête à le gruger ; Louison lui ment — chacun,ouvertement ou secrètement, poursuit ses fins propres, incompatibles avec celles d'Argan.

Et le héros, loin d'êtrecomme il le veut le centre d'où rayonnent autorité et séduction, devient la cible de diverses intrigues, la victime dedivers coups, pire : l'objet que les uns et les autres manient, un malade pour ses médecins, une dupe pour safemme, un obstacle pour les amants et leur parti.

Triplement abusé par conséquent, Argan ne peut que laisserautour de lui les rivalités se manifester.

Le groupe de pression le plus actif et le plus sympathique ayant réussi àévincer les autres personnages, Argan, enfin débarrassé de ses médecins et de son épouse, ne recouvre pas pourautant ses esprits, mais entre fièrement dans le monde de la pure fiction, où il s'égare.

Ainsi se devine un itinéraire :faux malade, traité par un faux médecin, il devient lui-même, après avoir dû jouer le mort, un faux médecin ; et, lorsdu finale, quand il croit quitter la maladie, la dépendance, sa condition bourgeoise et la langue française, pourconquérir la santé, l'autorité, le statut de médecin et le latin, il n'est plus entouré que de comédiens : la comédied'intrigue, de mœurs et de caractère est devenue une fête carnavalesque.

Tout est donc bien mené crescendo,comme dans Le Bourgeois gentilhomme, et Sainte-Beuve a raison, qui dit que la pièce « monte au délire ». Les personnages 1.

Des personnages volubiles Les personnages, dans ce spectacle, sont tous volubiles et agiles : très typés moralement, socialement etpsychologiquement, ils ressembleraient à de simples caricatures si Molière ne leur avait pas donné, sans doute parceque ce sujet excitait son imagination créatrice, une étonnante aptitude à par-ter : beaux menteurs, comme Bélineet son notaire, grands diseurs de jolis sentiments comme les bergers, les Mores ou les amants, orateurs inspiréscomme Béralde, sempiternels discoureurs comme les Diafoirus ou les médecins du finale, bavards intempestifs commeToinette, tous, jusqu'à Louison, ont leur part de cette verve qu'Argan, évidemment, porte au plus haut point : d'où,chez tous, des mots, plaisants ou graves, des répliques promptes, des tirades, larges et pleines.

Il est trèsremarquable que cette pièce, qui exige décors, accessoires, costumes, figuration, qui traite, ô combien ! du corpset de sa matérialité (ce qui révoltait tant les femmes savantes), qui procure, par la musique, les danses et lesgrimaces, les effets les plus spectaculaires et qui ne boude pas, parfois, un comique très gros, offre néanmoins untexte, dont on a montré ailleurs le raffinement littéraire.

Grâce à quoi nos personnages appartiennent bien au mondede la comédie, alors qu'ils eussent pu n'être que les sèches silhouettes d'une revue satirique ou d'un divertissementfarcesque ; satire et farce existent ici, certes, mais sublimées et comme exaltées, grâce à ces fous que sont,chacun à sa façon, ces personnages vifs et volubiles, prompts à se quereller, à se mentir, à se vanter ou à seplaindre. 2.

Une « approche » de la mort par le divertissement Une pièce comme Le Malade imaginaire pourrait infirmer les thèses d'Antonin Artaud : nulle opposition, ici, entre lesdialogues d'un côté, et, de l'autre, le « langage concret » que tout vrai théâtre adresse aux sens du public, car ledialogue, par sa cocasserie, se donne lui-même en spectacle, indépendamment des significations qu'il porte et quiintéressent l'intrigue, les caractères et les thèmes en jeu.

On en aura pour preuve ce fait, que chaque rôle offre aumoins un morceau de bravoure, un grand air qu'il faut pousser, une « scène à faire ».

C'est dire que cette piècesupporte mal d'être jugée seulement comme une comédie de mœurs, d'intrigue, de caractère, etc., mais qu'elle exiged'être lue, et surtout représentée, comme le jeu que Carnaval autorise avec ces graves choses que sont la maladie,la mort, le mariage, etc. 3.

Le style de récrivain 1.

Les langages Dans un tel théâtre, il est autant de styles que de personnages.

Il sied d'apprécier la puissance de l'invention deMolière, capable, même pour une simple comédie-ballet, de constituer pour chaque personnage des langages nonseulement appropriés, mais encore prodigieusement expressifs : babil amoureux des bergers et des amants,vertigineuse construction d'un scénario de pastorale par Cléante (II, 5), éloquence anachronique et pédante deThomas Diafoirus, jargon médical et jargon juridique, latin de cuisine et italien de bel canto, éloquence inspirée chezBéralde, etc., autant de styles dont il faudrait démonter la rhétorique. 2.

Une organisation rythmique Plus remarquables encore, les échanges verbaux entre les personnages.

Heurts violents ou feutrés de paroles, ilsont si peu de rapport avec notre prosaïque langage quotidien que la moindre analyse fait tout de suite apparaîtrequ'ils sont rythmés, et souvent suivant des schémas géométriques : duos, trios, cacophonies à l'unisson,interrogatoires et querelles, cris et soupirs, tout s'organise musicalement (cf.

G.

Co-nesa, Le Dialogue moliéresque).Argan domine tous les autres personnages.

Prolixe quand il s'agit de sa santé (I, 1), violent et geignard, grossier etpuéril, importun et obstiné, il oblige tous les autres à venir défiler autour de son fauteuil de malade et à se soucierde lui, et ne perd aucune occasion de dire son mot.

Cette voix royale d'Argan, qui à elle seule crée toutel'atmosphère de la pièce (I, 1) et qui résonne, superbe, lors du finale (« Juro »), Molière a voulu qu'elle rencontrât. »

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