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MONTESQUIEU: L'HISTORIEN

Publié le 24/06/2011

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Montesquieu aima d'abord l'histoire pour elle-même, ensuite pour la solidité qu'elle donnait à ses études juridiques. On trouve, parmi ses ouvrages inachevés, des plans très curieux et assez largement conçus pour permettre de croire que le Président avait nourri l'ambition de les développer et d'écrire plusieurs volumes. Ainsi les remarquables fragments qu'il a laissés d'une Histoire de France, qu'il commençait aux premiers temps de la monarchie française et conduisit jusqu'au règne de Louis XV. Déjà apparaît en ces pages ce qui sera l'originale manière de Montesquieu historien l'histoire n'est pas le récit pittoresque d'événements passés. Elle n'est pas davantage une leçon morale que l'on appuie sur des exemples réels, et que l'on offre à la méditation de ceux qui croient forger l'avenir en se servant du passé. L'histoire est déjà pour Montesquieu un thème à considérations générales, qui sont parfois d'un moraliste, parfois d'un psychologue et plus souvent d'un politique. Les faits sont supposés connus ; l'auteur en dégage l'esprit.

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« vie.

Elles lui ont révélé l'instabilité des institutions humaines.

La féodalité est une incessante transformation decoutumes, de lois, de principes politiques.

La monarchie de Charlemagne fut suivie de changements si profonds quele régime féodal s'en trouva bouleversé et chancelant.

Montesquieu a même reconnu la génération de nos lois civilesdepuis les invasions des barbares jusqu'au règne de saint Louis.L'esprit des lois, n'est-ce pas le rapport qui existe entre un texte législatif et une forme de la civilisation qui l'a rendunécessaire, et d'où peut-être elle procède elle-même ? Si ce rapport varie, la loi varie et aussi la civilisation, car lesactions et réactions de ces deux éléments se conditionnent et s'appellent.Si cela est ainsi, le jurisconsulte qui voudra connaître l'esprit des lois d'une nation devra en rechercher les conditionshistoriques.

Et lui, Montesquieu, qui a l'ambition de connaître l'esprit de toutes les lois, se voit ainsi contraintd'appuyer sa science juridique sur des recherches historiques infinies.

Le problème qu'il poursuit est d'histoire autantque de jurisprudence. * * * Mais l'histoire des lois est une science sévère.

Il y faut certaines qualités d'esprit et de méthode, sans lesquellesl'érudition la plus riche n'est que source d'erreurs.

L'histoire est, en effet, l'interprétation du passé, où nousmettons, par un mouvement désordonné mais inconscient de notre sensibilité, nos passions, nos haines, nospréférences, et que nous jugeons d'après nos préventions.

C'est de lui-même que l'historien doit d'abord se garder.Il apportera dans la lecture des textes les scrupules d'un " grammairien ", nous dirions aujourd'hui d'un philologue,C'est pour avoir mal compris certains mots, usités dans les codes des barbares, que l'abbé Dubos est tombé dans de" monstrueuses " erreurs : " Il n'y a point de grammairien qui ne pâlisse en voyant comment ce passage a étéinterprété par M.

l'abbé Dubos.

Il remarque que, dans ces temps-là, les affranchis étaient aussi appelés ingénus.

Surcela, il interprète le mot latin ingenus par ces mots, affranchis de tributs ; expression dont on peut se servir dans lalangue française, comme on dit affranchis de soins, affranchis de peines ; mais, dans la langue latine, ingenui atributis, libertini a tributis, manumissi tributorum seraient des expressions monstrueuses.

" L'historien aura donc uneconnaissance précise des termes et de leur signification au moment même où ils furent employés dans un textelégislatif.

Montesquieu sait que la rigueur des lois du langage est la condition fondamentale d'une interprétationcorrecte des civilisations disparues.

Les mots évoluent comme les moeurs et les institutions ; l'historien connaîtracette évolution des langues anciennes, afin d'éviter d'attribuer à une époque ce qui ne convenait qu'à une autreépoque différente.

" M.

l'abbé Dubos abuse des capitulaires, comme de l'histoire et comme des lois des peuplesbarbares.

Quand il veut que les Francs aient payé des tributs, il applique à des hommes libres ce qui ne peut êtreentendu que des serfs ; quand il veut parler de leur milice, il applique à des serfs ce qui ne pouvait concerner quedes hommes libres.

"Il convient de ne point juger le passé avec les idées du présent, et de distinguer les époques, chacune ayant unesprit particulier, qu'il ne faut point attribuer à une autre.

" Quand j'ai été rappelé à l'antiquité, j'ai cherché à en "rendre l'esprit pour ne pas regarder comme semblables des cas réellement différents, et ne pas manquer lesdifférences de ceux qui paraissent semblables.

" C'est ce que l'abbé Dubos a surtout méconnu.De ce que les bénéfices militaires étaient, chez les Romains, sujets aux tributs, il conclut qu'il en était de même desfiefs ou bénéfices chez les Francs, confondant ainsi deux époques et deux institutions en réalité très différentes.Cette coutume n'existe, en effet, qu'au temps de Justinien ; et, d'autre part, les fiefs francs ne sauraient êtreassimilés aux bénéfices romains.

" Ce sont des choses qu'il ne faut point confondre.

" Montesquieu possédait à undegré incroyable ce discernement des époques et ce sens des différences.

N'a-t-il pas conçu le dessein d'écrire " unouvrage particulier " afin de montrer les différences des monarchies que les barbares fondèrent sur les ruines desprovinces romaines, d'où il ressortirait " qu'une chose pratiquée chez les Ostrogoths ne se pratiquait pas chez lesFrancs ", ainsi que l'a faussement supposé l'abbé Dubos ? Il ne cesse de recommander l'esprit de prudence, qui est l'esprit critique même.

o Distinguons, écrit-il, le procédédes Bourguignons et des Wisigoths dans la Gaule, celui de ces mêmes Wisigoths en Espagne, des soldats auxiliairessous Augustule et Odoacre en Italie, d'avec celui des Francs dans les Gaules, et des Vandales en Afrique.

e (LivreXXX, 7 et 12.) — Le véritable historien se révèle par l'intelligence qu'il a de la diversité des temps et des moeurs.Les peuples de l'Europe du xviiie siècle ayant à peu près les mêmes arts, les mêmes armes, la même discipline et lamême manière de faire la guerre, la prodigieuse fortune des Romains paraît inconcevable.

Aussi faut-il oublier lesconditions de l'Europe actuelle, pour ne se souvenir que de l'état du monde, au temps des conquêtes de Rome, "sans quoi nous verrions des événements sans les comprendre ; et ne sentant pas bien la différence des situations,nous croirions, en lisant l'histoire ancienne, voir d'autres hommes que nous "(Considérations, chap.

3.)Cette soumission absolue de l'esprit aux faits scrupuleusement contrôlés, rétablis dans leur milieu exactementdélimité, grâce à la critique des textes dont l'historien se garde d'exagérer la portée ou de transformer le sens, estpour Montesquieu la loi fondamentale de l'histoire.

Guerre aux préjugés, guerre à l'esprit de système, et sincéritéabsolue dans l'interprétation des faits.

C'est ce que l'abbé Dubos ne sut pas obtenir de son caractère passionné etsystématique : " M.

l'abbé Dubos, qui avait besoin que les Wisigoths payassent des tributs, quitte le sens littéral etspirituel de la loi, et imagine, uniquement parce qu'il imagine, qu'il y avait eu entre l'établissement des Goths etcette loi, une augmentation de tributs qui ne concernait que les Romains.

Mais il n'est permis qu'au P.

Hardouind'exercer ainsi sur les faits un pouvoir arbitraire.

" (Livre XXX, 12.)Ce n'étaient point là principes inconsistants.

Montesquieu les avait conclus de son expérience personnelle.

Il avaitconnu de terribles difficultés à comprendre la féodalité, ses lois et ses institutions, parce que jusqu'à lui leshistoriens avaient donné à certaines expressions, comme aux mots census, tributum, fredum, fiefs, alleux, ingénu,tributs, leudes, biens fiscaux, immunités, un sens et une portée qui, ne répondant à aucune réalité, les avaiententraînés à imaginer une féodalité, différente de celle qui fut véritablement.

Il dut d'abord rétablir le sens exact de. »

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