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MONTESQUIEU: père de la sociologie

Publié le 24/06/2011

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montesquieu

" L'ouvrage sur les Romains ", comme l'appelait familièrement Montesquieu, n'était en effet qu'une étape dans l'immense labeur qui, depuis 1727 environ, absorbait toutes les forces du Président. Du chaos des lois, il veut comprendre les causes, " l'esprit ". Il n'y parviendra que par une recherche méthodique. C'est donc à découvrir la méthode d'investigation des lois qu'il faut d'abord s'attacher. Autour de lui, bien des systèmes sont en honneur, qui prétendent expliquer les lois. Montesquieu les connaît, et s'en détourne. Voici les juristes qui veulent perpétuer les méthodes du passé. Tel le président d'Aguesseau, que l'on appelle " le dernier de l'ancienne école ". Les lois, dit-il, dérivent d'une certaine notion de l'autorité suprême. Pour un Français, celle-ci ne saurait être que l'expression de la volonté divine, car le Souverain est l'élu de Dieu, qui lui a confié le sort d'une société, dont il doit assurer le bonheur. Il le fait par les lois qui lui semblent les meilleures, et dont il est responsable devant Dieu seul. S'il faut voir là une méthode, ce ne peut être qu'un aspect de la méthode théologique, et Montesquieu est en quête d'une méthode scientifique. Voici les juristes qui rattachent les lois à la morale, la loi n'étant que le reflet d'un ordre de la conscience. Tels Grotius, Pufendorf, Barbeyrac, dont nous avons déjà dit l'action sur Montesquieu. Pour eux, l'idée de justice est antérieure à toute loi positive. Il y a un exemplaire idéal de l'équité, auquel se réfèrent les législateurs. Ce prototype éternel ne vient pas de l'homme, mais est imposé à l'homme. On en retrouve les traces dans ces mystérieux privilèges que l'homme détient naturellement, et qui forment le droit naturel. De celui-ci dérivent toutes les lois qui concernent l'individu, et toutes celles qui concernent les rapports entre les sociétés, et qui forment le droit des gens.

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« A ces constructions idéologiques, il nourrit l'ambition de substituer une méthode scientifique, celle qu'il a pu,pendant de longues années, voir appliquée aux sciences naturelles.On y recherche d'abord les caractères principaux et les caractères secondaires des êtres ; on obtient ainsi desclassifications naturelles ; on voit se former les générations des espèces, et dans celles-ci se perpétuer lescaractères primitifs, apparaître des singularités plus ou moins profondes, plus ou moins durables, qui formeront lesfamilles d'une même espèce, d'où s'élimineront les cas monstrueux, tératologiques.Montesquieu tenta hardiment d'appliquer aux lois la méthode que l'on appliquait aux êtres vivants." Il y a, disait-il, des lois principales et des lois accessoires, et il se forme, dans chaque pays, une espèce degénération des lois.

Les peuples, comme chaque individu, ont une suite d'idées, et leur manière de penser totale,comme celle de chaque particulier, a un commencement, un milieu et une fin.

Cette matière n'aurait point de bornes,si je n'y en mettais.

J'ai pris un exemple qui est de l'origine et de la génération des lois des Romains sur lessuccessions, et cet exemple servira ici de méthode.

" (Esprit des lois, livre XXVII).Quand il fut en possession de ce principe, Montesquieu poursuivit l'analogie entre les lois et les êtres vivants.

Deceux-ci le naturaliste observe les transformations successives, dans l'individu et dans l'espèce, et cherche à endéterminer les causes, les conditions, les conséquences.

De même le juriste suivra les transformations de la loi, qu'ilexpliquera par le jeu de conditions particulières.

Dans une note écrite vraisemblablement vers 1747, avant larédaction du XXVIIe livre de l'Esprit des lois, Montesquieu a fortement indiqué que telles furent les idéesfondamentales de sa méthode scientifique : " On a vu, dit-il, que les lois ont des rapports sans nombre avec deschoses sans nombre.

Etudier la jurisprudence, c'est chercher ces rapports.

Les lois suivent ces rapports, et commeils varient sans cesse, elles se modifient continuellement.

Je crois ne pouvoir mieux finir cet ouvrage qu'en donnantun exemple.

J'ai choisi les lois romaines, et j'ai cherché celles qu'ils firent sur les successions.

On verra par combiende volontés et de hasards elles ont passé.

Ce que j'en dirai sera une espèce de méthode pour ceux qui voudrontétudier la jurisprudence.

"Ainsi se précise l'attitude de Montesquieu, au moment où il construit son Esprit des lois.

Sollicité par l'exemple denombreux précurseurs, dont beaucoup furent, dit-il, " de grands hommes ", il a finalement renoncé à suivre lessentiers battus.

Il s'est frayé lui-même sa voie.

Il a traité les lois à la manière d'un savant, plus qu'à la manière d'unphilosophe ou d'un jurisconsulte.

La science des lois aura désormais sa méthode propre, qui sera purementd'observation, expérimentale, scientifique.

Nous ne saurions dire, d'ailleurs, en l'état actuel de nos connaissancessur la manière dont fut élaboré l'Esprit des lois, à quel moment précis Montesquieu prit conscience de tout ce quil'opposait à ses devanciers.

Quoiqu'ils aient été écrits assez tard, les textes que nous venons de rappeler ne fontqu'appliquer à un cas concret — les lois romaines sur les successions —une méthode que Montesquieu avait mûriedepuis déjà de longues années.

" Si j'ai bien donné la théorie des lois romaines sur les successions, ajoutait-il, onpourra, par la même méthode, voir la naissance des lois de la plupart des peuples.

" Quant à lui, depuis longtempsdéjà, il utilise cette méthode génétique : depuis le jour où il a compris que si les lois existent et se transforment,c'est sous la pression de forces naturelles, soit physiques, soit morales, auxquelles a cédé le législateur.Il ne suffisait pas en effet de considérer les législations comme un enchaînement de conséquences, naturellementliées les unes aux autres.

D'où venait cette liaison nécessaire ? Quelle force cachée faisait sortir d'une loi d'autreslois différentes ? D'origine en origine, Montesquieu voyait bien qu'il lui fallait expliquer l'apparition de la loi primitive.Cela, c'était connaître par la cause première.

Son génie s'y heurta longtemps.

Non seulement, il se débat au milieud'un nombre infini de lois, mais encore il se perd parmi l'infinie complexité de tout ce qui peut être regardé commecauses de ces lois.

Autant dire que la science des lois 'postule la science de l'universalité des choses.

Il fallait, dansce chaos, trouver un fil conducteur.

Montesquieu ne le trouva qu'après bien des efforts et bien des déboires.L'explication scientifique est en effet la réduction à l'unité de causes qui semblaient diverses, et entre lesquellesl'esprit découvre — ou suppose — des affinités étroites.

Montesquieu s'est assurément efforcé de mettre dans lechaos des lois et de leurs origines une certaine unité, d'où l'intelligence verrait découler les législations des diverspeuples.

Il le fit, en expliquant la genèse des lois par le principe qu'il avait formulé depuis 1721 avec une nettetéparfaite.

Etudiant dans les Lettres persanes le problème de la dépopulation de l'Europe, il écrit : " Indépendammentdes causes physiques, il y en a de morales qui ont produit cet effet.

" (Lettre 84.) Voilà trouvé le cadre desrecherches à entreprendre ! Montesquieu relève, parmi les causes physiques, les pestes, et parmi les causesmorales, la polygamie, l'interdiction du divorce et le célibat.

Simples lieux communs aventureux, mais il n'importe.L'essentiel est que Montesquieu sait désormais que les phénomènes sociaux sont soumis à deux sortes de forces :les unes physiques, les autres morales.

Cette conviction ira chez lui toujours grandissant.

Nous la retrouverions entout ce qu'il étudie et observe après cette date, véritablement essentielle, dans l'histoire de sa pensée.

Mais aussigrandira la conviction que les causes morales exercent une action supérieure à celle des causes physiques.

" Lescauses morales, dit-il, forment plus le caractère général d'une nation et décident plus de la qualité de son esprit queles causes physiques.

" (Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits.) " L'institution, l'habitude, les moeursfont aisément vaincre la force du climat ", affirme-t-il en 1732.

Et vers 1734, quand il recherche les causes de lagrandeur et de la décadence des Romains, il démontre que ce furent leurs maximes qui d'abord entraînèrent lagrandeur, — et des maximes contraires qui accélérèrent la chute.

Nous avons cité cette page véritablementrévélatrice : " Ce n'est pas la fortune qui domine le monde...

Il y a des causes générales, soit morales, soitphysiques, qui agissent dans chaque monarchie...

" Cette insistance à répéter une même formule, que l'on diraitstéréotypée, révèle une conviction fortement cristallisée.

Montesquieu ne modifiera plus le cadre où il a prisl'habitude d'insérer sa pensée.

L'étude des lois sera conduite selon les mêmes principes qui ont conduit lesrecherches sur l'histoire de Rome.

Ils sont les fondements immuables de la méthode scientifique que Montesquieus'est enfin créée et dont il ne s'écartera plus Jamais.Les lois ont des causes, soit physiques, soit morales, qui expliquent leur formation ; mais leur développement etleurs transformations, tout ce que Montesquieu appelle " la génération des lois ", s'expliquent encore par ces deuxsortes de causes, et aussi leur corruption, puisque aussi bien les lois, comme toutes choses ici-bas, n'échappent. »

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