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mouvement coopératif et la querelle entre paul leroy beaulieu et charles gides

Publié le 21/09/2012

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94-97_16 18/06/03 15:17 Page 94 RÉFLEXION o Théorie La grande que r A la fin du XIXe siècle, la question de la réforme du système social oppose Paul Leroy-Beaulieu à Charles Gide. L'initiative des hommes peut-elle avoir un autre but que le gain ? Un débat aux résonnances très actuelles. C bien que encore très connu dans les milieux de l'économie sociale, n'évoque plus grand-chose pour la grande majorité des économistes contemporains, malgré une oeuvre fort riche (voir encadré). L'objet de leurs querelles : fallait-il réformer le système social de l'époque ? Non, répondait avec assurance Paul Leroy-Beaulieu, citant l'économiste Archives Larousse-Giraudon - Bridgeman Archives Larousse-Giraudon - Bridgeman 'était dans les années 18901900, il y a un peu plus d'un siècle. Sur la scène intellectuelle française, deux économistes se querellaient. Le nom de l'un, Paul Leroy-Beaulieu, est presque tombé dans l'oubli, alors qu'il occupait, avec autorité, la prestigieuse chaire d'économie politique du Collège de France. L'autre, Charles Gide, allemand Schulze-Delitzsch, créateur des banques de crédit populaire en 1852, dont il louait « le ferme bon sens et l'esprit scientifique « : « La libre concurrence est tout à la fois la liberté du travail et la liberté de l'échange. Or, sur le terrain de l'économie politique, comme partout ailleurs, c'est la liberté qui, seule et exclusivement, rend possibles les progrès de toute nature. Réclamer une protection contre cette liberté, c'est renoncer à la faculté innée, en vertu de laquelle doit s'opérer notre développement « (1). A quoi Charles Gide répondait que, « à la différence de M. Leroy-Beaulieu, nous ne professons pour l'organisation économique actuelle qu'un très médiocre enthousiasme ; nous trouvons la société toute remplie de défauts, et si l'on nous posait la question qu'il est d'usage de poser devant le jury anglais Pour Charles Gide, la réforme sociale a un nom : les coopératives. 94 ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES nº 216 q juillet-août 2003 Paul Leroy-Beaulieu croit aux seuls bienfaits de la libre concurrence. Théorie o RÉFLEXION à l'avocat de l'inculpé : "Plaidez-vous coupable ou non coupable, guilty or not guilty ?", nous répondrions volontiers : "coupable" « (2). Opposition intellectuelle, bien sûr, attisée par un conflit personnel. Gide n'appréciait pas l'enthousiasme libéral de Leroy-Beaulieu. Dans une recension consacrée au livre de ce dernier sur Le collectivisme, publiée en 1884 dans Le Journal des économistes, organe officieux du courant libéral au sein duquel Leroy-Beaulieu disposait d'une influence connue, Gide se permit d'envoyer quelques piques à son collègue dont il louait l'« esprit lucide et précis comme l'objectif d'un photographe qui place toute chose à son vrai point de vue, mais qui projette sur les questions une lumière un peu crue où s'évanouissent toutes les nuances «. Une aimable façon d'avancer que ses analyses sont caricaturales. Ce n'est pas tout : il pointe aussi « une haute et magistrale façon d'apprécier les hommes et les choses, mais où l'on voudrait sentir parfois un peu plus de sympathie pour les misères humaines «. Certains auraient usé de leur droit de réponse. Leroy-Beaulieu se borna, si l'on peut dire, à interdire Gide de publication et même de nomination dans le journal qu'il dirigeait, L'économiste français. Lorsque Gide créa la R evue d'économie politique , en 1887, consigne fut donnée de n'en jamais mentionner le nom. Gide en souffrit : parlant de « conspiration du silence «, il écrivit, en 1911, dans un article destiné à célébrer le premier quart de siècle de sa revue, « je sais un des périodiques, et non des moindres, où la consigne était de biffer le nom de la Revue quand elle était citée par un collaborateur, ne fût-ce que sous forme bibliographique « (3). Et André Gide, qui vouait à son oncle une grande admiration, écrivit en 1933 - quelques mois après la mort de Charles -, dans son Journal à propos d'une revue qui refusait de publier quoi que ce soit de lui : « Comme mon oncle a eu, bien plus encore que moi, à souffrir d'un silence encore bien plus injuste, ce n'est pas de ce silence même que je me plaindrai. « Deux parcours bien différents q Bien qu'ils aient eu presque le même âge (Paul Leroy-Beaulieu est né en 1843 et Charles Gide en 1847) et qu'ils aient tous deux commencé une carrière de juristes, la trace laissée dans l'histoire par les deux hommes est bien différente. q De Paul Leroy-Beaulieu, il ne reste rien, ou presque, alors qu'il a connu une carrière brillante. Gendre de Michel Chevalier - qui, après avoir été le porte-parole le plus connu du saint-simonisme industrialiste en France, fut nommé titulaire de la chaire d'économie politique du Collège de France -, il devient, à 34 ans, académicien (à l'Académie des sciences morales et politiques). Il succède ensuite à son beau-père au Collège de France, place que convoitait Léon Walras. A propos de l'approche mathématique de ce dernier, il écrivait : « C'est une pure chimère, une vraie duperie... Elle n'a aucun fondement scientifique ni aucune application pratique. C'est un pur jeu d'esprit (...) qui ressemble à la recherche des martingales à la roulette de Monaco. « Fondateur de la revue L'économiste français, qui diffusait la pensée libérale, il fut aussi gentleman farmer (avec, successivement, une propriété en Tunisie, puis une vigne dans le Languedoc et enfin un élevage en Normandie), professeur à Sciences Po, président de la Compagnie du chemin de fer sous-marin entre la France et l'Angleterre. Mort en 1916, il ne laisse guère de postérité intellectuelle : au point que la chaire qu'il occupait au Collège de France fut supprimée lorsqu'il en démissionna pour raisons de santé. q Charles Gide était l'oncle d'André Gide, qui reçut en 1947 le prix Nobel de littérature, avec lequel il entretint des relations quasi filiales. Il fut surtout l'un des principaux théoriciens du mouvement coopératif (il fonda en 1921 la Revue des études coopératives, mutualistes et associatives, la Recma, qui demeure, aujourd'hui encore, la revue de référence pour tout ce qui touche à l'économie sociale). En 1889, président d'honneur du Congrès du mouvement coopératif français, il déclarait : « Si l'on estime (...) que l'ordre actuel Pourquoi donc tant de hargne ? Parce que Gide croyait à la réforme sociale, alors que Leroy-Beaulieu n'y croyait pas. Pour Gide, la réforme sociale a un nom : les coopératives. qqq (1) Cette citation et l'appréciation qui la précède sont tirées du tome 2 du Traité théorique et pratique d'économie politique, par Paul Leroy-Beaulieu, éd. Guillaumin, 1896, p. 603. (2) Extrait d'une note de lecture du livre de Paul LeroyBeaulieu, « Le collectivisme «, parue dans Le journal des n'est pas suffisamment conforme à la justice, ni même à la raison, si on ne se résigne pas à l'accepter comme définitif, en ce cas, on cherchera dans la coopération un mode nouveau d'organisation sociale embrasant tous les phénomènes de la vie économique (...) « Il a profondément marqué le monde des économistes universitaires : ses Principes d'économie politique ont servi de manuel à tous les apprentis économistes entre 1883 et 1940 ; il a rédigé, avec Charles Rist, une Histoire des doctrines économiques qui a fait très longtemps autorité (jusqu'au début des années 60), et il a fondé, en 1887, la Revue d'économie politique, qui reste l'une des grandes revues économiques de langue française. Le Comité pour l'édition des oeuvres de Charles Gide édite, chez L'Harmattan, l'essentiel de ses écrits (six volumes sont déjà parus), et une très intéressante présentation d'un auteur étonnamment moderne a été publiée chez le même éditeur par Charles Pénin (Charles Gide, l'esprit critique). économistes, oct.-déc. 1884, et reproduite dans le vol. I des OEuvres de Charles Gide, éd. de l'Harmattan, 1999. (3) Il est revenu sur ce boycott à plusieurs reprises, notamment dans un article de 1931, paru dans la Revue d'économie politique où, relatant comment cette dernière est née, il écrivait : « Je sais que Paul Leroy-Beaulieu (...) avait interdit toute citation de la Revue dans son journal, L'économiste français, et, au cas de transgression de cette consigne, faisait rayer la citation. Et ce silence est devenu une tradition qui semble durer encore. (...) Ce boycottage a naturellement rendu la vie difficile à la jeune revue. Il s'en est fallu de bien peu qu'elle ne succombât. « nº 216 q ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES juillet-août 2003 95 94-97_16 18/06/03 15:19 Page 96 RÉFLEXION o Théorie Et, d'abord, les coopératives de consommation. Il s'agit avant tout de protéger le faible contre le fort, en luttant contre la vie chère, le crédit usuraire dont sont victimes les clients les plus pauvres, et les tromperies sur les marchandises qui sont, à cette époque, si fréquentes : il cite ainsi les exemples « de l'eau fuschinée [vendue] pour du vin, ou de la margarine pour du beurre, ou des tissus chargés de 80 % de colle pour de la soie «. Il s'agit surtout de concrétiser le programme d'émancipation dont, selon lui, le mouvement coopératif est potentiellement porteur. Et ceci grâce aux coopératives de consommation (« les sociétés de consommation «, comme on disait alors), écoles de démocratie où les sociétaires apprennent les rudiments de la décision collective, conquièrent du pouvoir et peuvent affecter leurs bénéfices à des usages utiles à l'ensemble du groupe social : « La véritable fonction des sociétés de consommation, écrit-il, est de conférer à la classe ouvrière les connaissances et les vertus sans lesquelles jamais elle ne réussira à occuper dans l'ordre social la place à laquelle elle aspire et elle a droit. « qqq Les coopératives, instruments d'émancipation Cela l'éloigne de la vision socialiste, souvent frottée de marxisme, pour laquelle seules la conquête du pouvoir et l'abolition de la propriété privée peuvent conduire à la fin de l'exploitation. Gide, d'ailleurs, n'a jamais revendiqué l'étiquette de « socialiste «. Comme les anarcho-syndicalistes, il croit à l'auto-organisation du prolétariat. Mais, à la différence d'eux, il suggère que les consommateurs utilisent comme levier d'émancipation les mécanismes du marché, en inversant les rapports de force, et notamment ceux qui opposent le capital au travail : « Aussi longtemps que le régime économique est organisé comme il l'est aujourd'hui, c'est le capital qui fait la loi et l'ouvrier n'est et ne saurait être qu'un instrument d'une importance après tout secondaire ; du jour, au contraire, où l'on suppose un régime économique organisé en vue de la consommation et pour les consommateurs, c'est le nombre qui fait la loi (...) Le caractère essentiel de la société coopérative, son trait original, révolutionnaire même, si vous voulez, c'est que le capital y est, non point supprimé 96 ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES nº 216 q juillet-août 2003 ou méprisé - les coopérateurs sont gens trop pratiques pour s'imaginer qu'on peut se passer du capital ou l'obtenir gratis -, mais réduit à son véritable rôle, c'est-à-dire d'instrument au service du travail et payé en tant qu'instrument. Tandis que, dans l'ordre des choses actuel, c'est le capital qui, étant propriétaire, touche les bénéfices et c'est le travail qui est salarié, dans le régime coopératif, par un renversement de la situation, c'est le travailleur ou le consommateur qui, Le premier rôle des coopératives de consommation : faire du capital un instrument au service du travail étant propriétaire, touchera les bénéfices, et c'est le capital qui sera réduit au rôle de simple salarié. « Simplicité héroïque ou mysticisme ? Voilà donc le premier rôle des coopératives de consommation : faire du capital un instrument au service du travail. Au-delà, il s'agit aussi de procéder à une sorte de grignotage des activités économiques par l'organisation coopérative. Sur le mode « rêvons un peu «, le voilà, par exemple, qui tente de stimuler les troupes des coopératives de consommation rassemblées en Congrès international à Paris en 1889 : « L'ordre social actuel est organisé en vue de la production et nullement en vue de la consommation ou, si vous aimez mieux, en vue du gain individuel et nullement en vue des besoins sociaux (...) On ne se fait pas une idée suffisante du degré de puissance auquel peuvent atteindre des consommateurs réunis ; cette puissance est irrésistible (...) Du jour où les sociétés coopératives seraient en mesure d'acheter tout le montant de la production annuelle de la France, il est évident qu'elles seraient absolument maîtresses, non seulement du commerce, cela va sans dire, mais de toutes les industries productives et qu'elles auraient désormais le choix, soit de les acheter, soit de les éliminer, soit tout au moins de les dominer. « Aussi dresse-t-il un plan de campagne (on dirait aujourd'hui une feuille de route) : « Dans une première étape, faire la conquête de l'industrie commerciale [4] ; dans une seconde, celle de l'industrie manufacturière ; dans une troisième, enfin, celle de l'industrie agricole ; tel doit être le programme de la coopération en tout pays. Il est d'une simplicité héroïque. « Leroy-Beaulieu s'en étouffe, hésitant entre colère et moquerie : « Cette simplicité héroïque est ce que, en termes plus clairs, on nomme du mysticisme « , écrit-il dans son Traité (tome 2, page 589). Prenant l'emphase du discours au premier degré, il analyse les raisons pour lesquelles il est absurde d'imaginer qu'un tel schéma puisse se concrétiser. D'abord, l'intégration par l'amont des différentes activités de production sous le contrôle des coopératives de consommation va à l'encontre des préceptes de la division du travail et de la spécialisation : « Les maisons commerciales, notamment, qui ont eu la prétention de fabriquer tout ce qu'elles vendent ont toutes échoué. « Ensuite, parce qu'un « mécanisme qui charge un ou quelques bureaux de délégués ou de directeurs de la fonction de tout prévoir « est gros d'inefficacité. Enfin, parce que seules les firmes de production sont en mesure de dynamiser le système économique en innovant et en lançant sur le marché de nouveaux produits que le commerce teste : « Une grande partie du progrès humain vient précisément de ce que des producteurs actifs et avisés ont lancé dans le commerce des objets dont les consommateurs ne prévoyaient pas l'utilité, auxquels ils ne pensaient pas. « Bien entendu, Leroy-Beaulieu tape à côté de la plaque : il suspecte Gide de vouloir abolir le marché au profit d'un système planifié et bureaucratique. Gide en est à mille lieux et ses critiques du collectivisme le montrent à l'évidence. Ce qu'il veut, bien plus prosaïquement, c'est parvenir à piloter le système social en partie par l'aval, et non plus seulement par l'amont. Par les besoins, pas seulement par les profits. Par le travail, pas seulement par le capital. Sans doute se fait-il des illusions quant à la capacité d'y parvenir facilement. Mais là n'est pas le problème. Si Leroy-Beaulieu dénature le plaidoyer gidien en faveur du « coopératisme «, s'il traite les disciples de Gide d' « apôtres exaltés de la coopération « ou de « coopérateurs doctrinaires d'aujourd'hui «, c'est parce qu'il croit aux bienfaits de la « main invisible du mar- 94-97_16 18/06/03 15:21 Page 97 Théorie o RÉFLEXION est capable de créer des institutions « par lesquelles les hommes cherchent à s'aider les uns les autres «. Et Gide, lucide, d'ajouter : « Nous connaissons, par des expériences personnelles, ce qu'il y a de misères et d'infirmités dans ces oeuvres [les coopératives], mais nous savons aussi qu'il s'y trouve, et qu'elles ont contribué à susciter dans leur propre sein et autour d'elles, beaucoup d'âmes simples et de bonne foi. « A ses yeux, l'essor des coopératives prouvera qu'une autre société est possible... et suscitera un désir accru de changement social. Pourtant, soit en leur sein, soit au travers de nouvelles institutions nées de la mobilisation militante face à la détresse sociale (des systèmes d'échange locaux aux entreprises d'insertion, en passant par le commerce équitable, et ce qui se rassemble sous la dénomination d'économie solidaire), la même force continue de s'exprimer pour dire que tout ne se réduit pas à la logique du calcul et de l'intérêt, que l'économie de marché ne suffit pas à constituer une société et que même, parfois, elle la défait plus qu'elle ne la fait. Dauwe -Planet Reporters/Réa ché «, à l'identité entre intérêt collectif et intérêts individuels : « Tous les progrès de l'industrie et de la science, on peut dire aussi tous les progrès de la finance, c'est-à-dire de l'art de manier les capitaux, tendent à diminuer l'écart entre les conditions humaines ; bien loin que le paupérisme en soit le fruit, il se trouve peu à peu éliminé par ces influences diverses «, écrit-il dans son Essai sur la répartition des richesses, publié en 1881. La conclusion de ce livre est claire : « La liberté et le temps suffisent pour résoudre toutes les difficultés sociales, qui sont humainement résolubles. Le grand danger d'aujourd'hui, c'est le socialisme d'Etat, c'està-dire non pas le socialisme imposé par les ardeurs d'une foule en émeute, mais le socialisme sournoisement introduit et graduellement développé par des législateurs présomptueux et ignorants. (...) Le rôle de l'Etat consiste uniquement à enlever les obstacles d'origine administrative ou législative qui s'opposent à une moindre inégalité des richesses. « Et, s'opposant à une formule qu'affectionnait John Stuart Mill, Leroy-Beaulieu conclut : « L'Etat n'a pas à se proposer pour but le plus grand bonheur du plus grand nombre. « Sousentendu : le marché en est capable et l'Etat a d'autres chats à fouetter. Libre concurrence contre constructivisme Opposition vieille comme le capitalisme. D'un côté, ceux qui croient aux vertus de la concurrence, du marché et du mouvement des prix ; de l'autre, ceux qui ne jurent que par le constructivisme, c'est-à-dire la capacité des hommes à construire une société ne reposant pas seulement sur l'intérêt individuel, grâce à des institutions et à des règles. Toutefois, Gide récuse l'idée que cette « autre société « ait besoin, pour naître, d'une révolution, ni qu'il faille que l'Etat s'en mêle. Les institutions dont il parle, elles existent au sein même du capitalisme, fruit elles aussi de l'initiative individuelle « tout aussi bien développée (...) par nos associations que par toute autre entreprise ayant un caractère capitaliste «, écrit-il dans un texte de 1899 publié dans la Revue d'économie politique . « Elles sont sorties des entrailles du peuple « , ajoute-t-il, prouvant ainsi que l'initiative des hommes peut avoir un autre but que le gain. Pour lui, l'altruisme est une des composantes de l'action humaine et Coopérative Apaco d'aide aux paysans pauvres du Brésil. L'idée-force de Gide que tout ne se réduit pas à la logique du calcul et de l'intérêt est reprise par de nouvelles institutions. Bien sûr, la foi de Gide dans l'aide mutuelle est plus attachante que la foi de Leroy-Beaulieu dans la justice du marché. Force est de reconnaître que, pourtant, depuis un siècle, les désillusions n'ont pas manqué : les coopératives de consommation ne sont que peu nombreuses à être parvenues à relever le défi de la grande distribution, les banques coopératives et les mutuelles d'assurance, fortement implantées, n'ont pas toujours su préserver leur âme, les coopératives de commerçants (Leclerc, Intersport...) ne se distinguent guère des autres enseignes. Confrontées au marché et à la nécessité de composer avec lui, les institutions de « l'économie sociale « s'y sont parfois tellement immergées que l'on peine à voir en quoi elles illustrent le fait que « les hommes cherchent à s'aider les uns les autres «. L'intuition de Gide, pour qui la consommation peut devenir un levier de transformation du système en contraignant les f irmes à prendre en compte d'autres dimensions que la seule recherche du profit, demeure d'actualité, même si ce n'est plus forcément sous la forme de coopératives. En ce sens, Gide a mieux perçu l'évolution que Leroy-Beaulieu. Aussi, entre les descendants de l'un et de l'autre, la dispute est loin d'être terminée. Et les dés sont loin d'être jetés. s Denis Clerc (4) Le terme d'industrie est pris ici au sens traditionnel du terme : branche d'activité. La série de Gilles Dostaler sur les grands auteurs reprendra dans notre numéro de septembre. nº 216 q ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES juillet-août 2003 97

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