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Les non-lieux de mémoire : la question de l'amnistie en France depuis la seconde guerre mondiale

Publié le 02/09/2012

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D'un autre côté, les amnisties relatives aux crimes commis pendant la guerre d'Algérie représentent une deuxième source d'illégitimité de l'amnistie en France. Les accords d'Evian comprennent des clauses d'amnistie envers les Algériens rebelles. De même, policiers et militaires condamnés pour leurs « excès «, c'est à dire leurs actes de tortures, sont amnistiés. Déjà à l'époque, une partie de la gauche s'oppose à de telles lois d'amnistie tel Robert Badinter dans un texte intitulé « Détournement d'amnistie «. D'autres affirmeront que le second décret est inadmissible dans la mesure où il porte atteinte au renom de la France et il sera qualifié de scandale juridique car le droit français accepte alors d'oublier des actes de tortures. Actes qui sont pourtant contraires à l'article 5 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme que la France a signé. Ces deux lois d'amnistie successives ont donc largement contribué décrédibiliser l'amnistie aux yeux de nombreux acteurs et analystes. La politique de réconciliation laisse place en ce sens à une illégitime politique de l'oubli pour certains. Une politique de l'oubli ? La question du pouvoir des victimes : entre pardon et impunité La décision d'amnistie va peu à peu être assimilée à une décision d'oubli total, en ce sens ce serait un oubli actif car volontaire à l'inverse d'une amnésie qui serait plus un oubli passif. L'amnistie reflète un « pardon pénal par excellence « selon Wilfrid Jeandidier. On l'a vu, c'est principalement cette fonction là qui est évoquée pour justifier les lois d'amnistie en France après la seconde guerre mondiale. 

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« la mémoire de la guerre d’Algérie en écrivant par exemple à propos de l’amnistie : « Cet oubli décrété, cette négation officielle de l’évènement peut sembler à la foisimmorale puisqu’elle blanchit les crimes de sang, socialement dangereuse puisqu’elle revient, malgré tout, même si elle nie explicitement, à mettre en doute la chosejugée et historiquement inconséquente puisqu’elle fait disparaître de la mémoire officielle les exemples édifiants qui pourraient protéger l’avenir des erreurs dupassé ».De plus, certains historiens ont mis en avant l’absurdité de l’idée d’oubli volontaire dans la mesure où, dans tous les cas étudiés, l’amnistie n’apporte pas l’oubli, nimême un refoulement.

L’amnistie ne fait, au contraire, qu’intensifier les débats comme le montre l’actualité des échanges sur les crimes d’Etat commis sous le régimede Vichy et pendant la guerre d’Algérie.

Ce serait donc une politique vaine, impuissante et dangereuse, condamné à n’être que des mots sans effets réels.On peut donc comprendre que tout oubli volontaire est ainsi voué à l’échec.

Par exemple, les victimes montrent en général que « l’oubli et le pardon ne peuvent êtreatteints par des lois et décrets.

Ils ne peuvent être imposés, ils ne peuvent être demandés.

Les gens n’oublient ni ne pardonnent.

Et l’une des formes de la mémoire estle mépris, le mépris qui tombera sur les propres enfants des coupables » Au-delà d’une simple politique visant à assurer la cohésion nationale et le retour à l’unité d’un peuple divisé après des crises, se questionner sur l’amnistie, c’estsaisir la tension qui existe entre la reconnaissance des responsabilités pour le passé et la normalisation des réactions envers ce passé.

Le risque est bel et biend’entériner un déni définitif de justice pour les victimes et leurs familles.

La réconciliation est possible dans les démocraties actuelles qu’au prix de la révélation desresponsabilités des criminels et des crimes de l’Etat.

L’amnistie suppose en ce sens un affrontement entre le devoir de mémoire d’un côté et le pardon de l’autre. III – Aux frontières entre la politique et l’histoire : est-on libre de choisir son histoire ? Le devoir de mémoire face au pardon : une réécriture de l’HistoireL’amnistie ou son refus sont indissociables de la qualification des crimes concernés et supposent toujours une réécriture de l’Histoire.

En effet, si les lois d’amnistiesemblent de toute façon vouées à ne pas pouvoir imposer l’oubli, la notion de pardon qu’elles contiennent s’inscrit dans cette démarche de réécriture de l’Histoire etde préservation de la mémoire mais d’une mémoire consensuelle construite au travers d’un compromis.

Sandrine Lefranc montre dans son ouvrage, Politique dupardon, que le compromis est plus ou moins démocratique : il peut admettre des dissidences relativement discrètes pour ne pas faire resurgir la violence et la divisionau sein de la nation ou il peut coexister avec une théorie des « deux démons » qui délégitime les plaintes des victimes comme les arrogances des bourreaux.Se pose aussi la question de la part des historiens dans la restitution du passé et de la notion de vérité.

Ils jouent en effet un rôle non négligeable dans la fixation de lavérité (on peut penser à leur influence dans les commissions de vérité et de réconciliations après des crises comme au Rwanda) et dans leur revendications deméthodes scientifiques.

Mais la vérité n’est finalement acceptée en tant que telle, au moyen d’un compromis le plus large possible.

L’enjeu d’une réécriture del’Histoire à travers l’amnistie est de proposer une mémoire finalement politique qui est appelée à devenir une mémoire nationale partagée en même temps qu’unehistoire conforme à des critères scientifiques.La logique en jeu dans l’amnistie, à savoir l’unification d’une mémoire commune, n’est donc pas tout à faire condamnable.

Ces tentatives d’unification ont pu êtredes réponses à la montée en puissance des mémoires de groupes et de logiques victimaires.

Comme le souligne habillement Jacques Revel, cela a pu être une réponseà une « mémoire éclatée » qui fait « chacun l’historien de soi ».L’intervention du politique et l’usage détournée du passéPour finir, il m’a semblé important dans cet exposé sur la question de l’amnistie en France, d’élargir sur l’usage du passé et de la mémoire par les politiques.

Dansune interview, Christoph Brüll montre que la nouveauté depuis quelques années est que le législateur ne se contente plus de faire voter des lois sur l’intégration oul’exclusion d’individus sur base de leurs actions au moment d’un événement précis, mais qu’il se concentre de plus en plus sur la manière dont on interprète cesévénements passés dans le présent (les députés UMP proposent le 23 février 2005 une loi concernant l’enseignement du « rôle positif de la colonisation »).Parallèlement, il semble que les demandes de réparations des tords causés dans le passé à un groupe d’individus soient de plus en plus présentes.

Les groupes depressions tels que les associations de victimes ou de leurs descendants exercent des pressions considérables sur les gouvernements, pression qui peut viser différentsobjectifs : réparations matérielles, dispositifs mémoriels, commissions d’enquêtes scientifiques.

A ce titre, on peut rappeler le danger d’une concurrence desmémoires selon l’expression de Régis Debray ou encore ce qu’à écrit Henry Rousso à propos de l’ « affaire Môquet » en France en disant qu’« une fois encore, seuleémerge du passé une mémoire mortifère, seule est digne d’être remémorée avec éclat une histoire criminelle.

De l’Histoire, de sa profondeur, de sa complexité, on nenous montre plus aujourd’hui qu’un usage utilitaire.

Le passé est devenu un entrepôt de ressources politiques ou identitaires, où chacun puise à son gré ce qui peutservir ses intérêts immédiats ».Face aux politiques, aux associations souvent en quête de ressources identitaires, et aux tribunaux qui n’hésitent plus à juger des interprétations de l’histoire, le rôlede l’historien est finalement plus que jamais primordial.

Selon Christoph Brüll, il doit continuer d’être un scientifique qui analyse et explique le passé grâce à uneméthode spécifique.

Il introduit ainsi une dose de sérénité aux débats sociétaux sur le passé face à des émotions encore très vives.

Toujours selon lui, la constructionde savoirs constitue donc la mission de l’historien où finalement un « devoir de savoir » devrait être préféré à un « devoir de mémoire ».CONCLUSION Ce qui est profondément choquant dans l’amnistie finalement, ce n’est pas tant l’absence de sanctions pénales proportionnelles au tort causé, que les effets qu’elleemporte pour les victimes.

C’est à dire le fait de ne pas voir leurs souffrances reconnues, de ne pas voir l’auteur de celles-ci identifié et publiquement nommé, de nepas obtenir réparation.

Bref, c’est réellement le souci de ne pas permettre à la vérité d’être faite. Ainsi, l’amnistie comme politique de réconciliation nationale a progressivement été remis en cause, obligeant le gouvernement et le peuple à affronter son passé aulieu de simplement tirer un trait dessus.

Débattre de l’amnistie est loin d’être évident dans la mesure où cela entremêle l’éthique autant que le droit ou encorel’affectif d’êtres-humains touchés dans leur chair.

L’amnistie peut être perçue comme dangereuse car elle bloque le passé sans le purger et peut nier ainsi dessouffrances énormes. Michel Tubiana rappelait ainsi que si « une société ne peut pas vivre sans mémoire, une société ne peut pas vivre uniquement de mémoire ». BIBLIOGRAPHIE : Ouvrages :* Stéphane Gacon, Histoire de l'amnistie en France de la Commune à la guerre d'Algérie, Le Seuil, coll.

« L'Univers historique », Paris, 2002.* Sophie Wahnich (dir.), Une histoire politique de l'amnistie – Études d'histoire, d'anthropologie et de droit, Presses Universitaires de France, Paris, 2007.* Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Presses Universitaires de France, coll.

« Fondements de la politique, Paris, 2002.* Après les dictatures, faire la justice et la paix civile, « Réconciliation, impunité, amnistie: quel droit pour quels mots? », Pierre d’Argent dans la Revue Nouvelle* Le siècle et le pardon, J.

Derrida, in Foi et savoir, Paris, Seuil, « Points », 2000* Droit pénal général, W.

Jeandidier, Montchrétien, Paris, 1991, p.299* La gangrène et l’oubli : la mémoire de la guerre d’Algérie, B.

Stora, La Découverte, Paris, 1991, p.132. Documents Annexes :* « Les historiens et la mémoire », interview de Christoph Brüll, chargé de recherches au Fonds de la Recherche Scientifique – F.N.R.S.

en histoire contemporaine àl’Université de Liège (http://www.memoire-politique.net)* Un marketing mémoriel, article de Henry Rousso, Libération, 15 février 2008* L’amnistie en France, Michel Tubiana, troisième session d’un colloque consacré à « L’amnistie en débat », 6 décembre 2007* Oublier nos crimes.

L’amnésie nationale : une spécificité française ?, Autrement, Paris, 1994, p.100-101* Madres de Plaza de Mayo (Argentine), « Editorial : no las hagas, no las ternas », bulettin n°49, janvier 1989, p.2* French Politics and Society, « Histoire vs mémoire en France aujourd’hui », J.

Revel, 18 (1), printemps, 2000, p.4* C.I.C.R., Commentaire des protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 aout 1949, Martinus Nijhoff, Genève, 1986, p.

1426, n° 4618.. »

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