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Nos erreurs sont-elles les nôtres ?

Publié le 13/03/2011

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Développement. — C'est là une opinion qui, à une première lecture, se fera sans doute malaisément accepter. On inclinerait plutôt à penser que l'individu tendant naturellement vers la vérité ne saurait se tromper de route que par une espèce de surprise éclipsant momentanément son véritable moi et le laissant errer faute de guide. « Notre moi «, a écrit un auteur contemporain, c'est « ce que nous voulons être « ; or il ne semble guère que nous voulions nous tromper. Pourtant, cette éclipse provisoire ne dure-t-elle pas souvent bien longtemps ? Ne voyons-nous pas des gens tenir à leurs erreurs, s'y ancrer avec une sorte de tendresse acharnée et s'y refléter fidèlement ?  Balzac cessa-t-il, malgré ses déboires, de croire à son génie financier ? Cuvier fut-il jamais plus ferme dans son opinion, plus riche de ressources dialectiques, plus sûr de son érudition que dans sa condamnation injuste du transformisme ?

« Impression de nécessité d'abord : la contrainte ressentie par la volonté personnelle, dans la découverte de la vérité,le sentiment éprouvé que nous n'y sommes pour rien, que le vrai, en vertu des lois mêmes de notre esprit, s'imposeà nous, au besoin contre nous, tout cela ne constitue-t-il pas l'essence du critère cartésien de l'évidence ? Impression d'universalité ensuite : la structure rationnelle n'est-elle pas stable sous la diversité des caractères,l'objectivité ne se définit-elle pas par sa valeur universelle et la plupart des conseils méthodologiques ne serésument-ils pas dans la nécessité pour l'homme de science de renoncer à son individualité au cours de la recherche? C'est donc bien, et effectivement, renoncer à notre individualité que nous orienter vers la vérité, car les facteursessentiels de cette individualité sont avant tout constitués par ces fonctions irrationnelles où nous avons étéamenés à placer l'origine de l'erreur. Et d'abord nos habitudes : traces laissées par l'existence que nous avons menée, par la lente fixation de notre êtreque nous avons réalisée au cours de nos actions, reflets à la fois de ce que nous sommes, de ce que nous avonsfait et de ce que nous avons laissé se faire, elles ne doivent pas nous faire illusion par une apparente inertie quisemble les réduire à une empreinte du monde extérieur ; elles portent, comme l'a écrit Ravaisson, la trace d'uneliberté qui s'est lentement figée, et par là elles sont hautement caractéristiques de ce que nous sommes.

Ne voit-onpas du reste le bon sens populaire caractériser les individus par des tics, des manies, par toute cette raideurmentale acquise où restent moulées des manières d'agir devenues indélébiles, mais jadis expressions de cettespontanéité où s'effectue le secret de chaque personne. C'est encore un lieu commun que d'insister sur l'extrême variabilité de la mémoire et de l'imagination selon lesindividus.

A l'opposé de la Raison qu'il tient pour « la chose du monde la mieux partagée », Descartes regrette « den'avoir pas l'imagination aussi nette et distincte, la mémoire aussi ample ou aussi présente que quelques autres ».Sans doute n'y a-t-il pas une seule manière de conduire un raisonnement, mais la liberté créatrice reçoit ici sa limitedu fait des règles imposées au raisonnement légitime.

Aucune borne au contraire n'étant imposée par une normeuniverselle à l'afflux des images et à leur rapprochement, on conçoit que l'individualité puisse s'y exprimer pluslargement ; et de fait le talent personnel réside beaucoup plutôt dans le jeu de l'imagination que dans l'organisationdisciplinée des raisons. Du reste, différentes, selon les individus, par leur forme, la mémoire et l'imagination sont aussi différentes par leurcontenu.

Non seulement en effet la diversité des types imaginatifs est trop connue pour qu'il soit nécessaired'insister sur ce point, mais encore nos images reflètent l'orientation de notre intérêt et de nos passions.

Quant à lamémoire, elle est si profondément liée à notre personnalité que la ruine de Tune se double inévitablement de la ruinede l'autre, et nulle part il ne pourrait être plus opportun qu'ici de rappeler l'aphorisme de Royer Collard : « On ne sesouvient que de soi-même.

» Enfin, les facteurs essentiels de noire personnalité sont évidemment constitués par nos sentiments, par nostendances.

Là réside sans nul doute ce qu'il y a de plus intime avec nous, le fief de notre personnalité.

Aussi est-cepresque un lieu commun depuis Schopenhauer de soutenir que le côté volontaire et affectif est à la racine de notremoi, que le travail intellectuel se réalise « à fleur de personnalité », que nous tenons de toute notre énergie à nosamours et à nos haines, infiniment moins à nos raisonnements, et si nous faisons si facilement de ceux-ci lesserviteurs de ceux-là, c'est justement parce que, sans répit, nos tendances souterraines brassent et orientent cecontenu mental : images, souvenirs et éléments logiques dont l'ensemble constitue notre personnalité. Mais cette personnalité même, on sait que son essence est autre part, on sait que perpétuellement changeanteselon le milieu social auquel elle se mêle, selon les fluctuations qu'elle subit à travers le temps, elle conserve un fondmystérieux qui se révèle à l'intérieur de chaque état de conscience.

C'est là un sujet inaliénable et impossible àatteindre, parce que le fait même de le saisir le rejette dans le donné psychologique dont il assure la permanencecomme une force perpétuellement au-dessus d'elle-même, irréductible au déterminisme des lois mentales. Or une telle activité, essentiellement indépendante, puisque, par définition, elle refuse de s'intégrer à ce qui la relieau reste de l'univers, ne se présente-t-elle pas a priori comme une résistance à cette objectivité qui définit le Vrai,ne tend-elle pas à se « poser en s'opposant » « comme un empire dans un empire », et, par la perpétuelle rupturede ces liens dont le resserrement croissant finirait par se nouer dans l'immobile réseau définissant la Vérité, n'est-elle pas fatalement génératrice de l'Erreur ? Il n'y a rien d'étonnant dans ces conditions à ce que les fortes personnalités aient tant de peine à se rendre àl'évidence, à accepter au besoin, la renonciation à l'œuvre qu'elles ont construite en se construisant elles-mêmes ?Il est bien difficile d'être si profondément soi-même par son talent,, et de se déprendre si aisément de soi par saméthode. Le personnage imposé par Claude Bernard à la méthodologie scientifique d'un homme de science qui serait à la foisspontanéité géniale etj parfaite soumission aux leçons de l'expérience est moins une réalité psychologique qu'unidéal vers lequel on demande de tendre au prix d'un perpétuel combat.

Descartes ne s'arrêtait guère aux objectionsd'un Fermât qu'il accusait bien injustement d'avoir acquis sa réputation d'algébriste « pour avoir été loué par despersonnes...

qui n'étaient pas capables d'en juger ».

Et Pasteur lui-même ne paraît pas avoir accepté sans colèreles objections de ceux qui, non sans raison, opposaient au rôle du microbe le facteur essentiel du terrain.

La. »

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