Oberman
Publié le 05/04/2013
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Étienne Pivert de Senancour ( 1770-1846) est héritier du xvme siècle par sa formation et apparait, par ses échos rousseauistes, comme l'un des principaux préromantiques français. Senancour mena une existence malheureuse, et Oberman (1804) serait tombé dans l'oubli si les romantiques, en le découvrant, ne l'avaient porté à l'attention des gens de lettres. Plusieurs accents d'Oberman se retrouvent dans Lélia de George Sand et dans Le Lys dans la vallée de Balzac...
«
~-------EXTRAITS - ----- -~
La déception s uit inév itablement
les dé sirs, car l'homme ne peut
embrasser l'idéal
Fontainebleau, 31 juillet II.
Quand un sentiment invincible nous
entraîne loin des choses que l'on possède,
et nous remplit de volupté, puis de regrets,
en nous faisant pressentir des biens que rien
ne peut donner, cette sensation profonde et
fugitive n'est qu'un témoignage intérieur de
nos facultés sur notre destinée.
C'est cette
raison
même qui le rend si court, et le
change aussitôt en regret :
il est délicieux,
puis déchirant.
L'abattement suit toute
impulsion immodérée.
Nous souffrons de
n'être pas ce que nous pourrions être ; mais
si nous nous trouvions dans l'ordre des
choses qui manque à nos désirs, nous
n'aurions plus ni cet excès des désirs, ni
cette surabondance des facultés, nous ne
jouirions plus du plaisir d'être au-delà de
nos destinées, d'être plus grands que ce qui
nous entoure, plus féconds que nous n'avons
besoin de l'être.
Dans l'occasion de ces
voluptés que nos conceptions pressentaient
si ardemment, nous restons froids et souvent
rêveurs, indifférents , ennuyés même ; parce
qu'on ne peut pas être d'une manière
effective plus que soi même ; parce que nous
sentons alors
la limite irrésistible de la na
ture des êtres, et qu'employant nos facultés
à des choses positives, nous ne les trouvons
plus
pour nous transporter au-delà, dans
la région
supposée des choses idéales
soumises à l'empire de l'homme réel.
Un monde dé sen chan té
Lyon, 11 mai VI.
Lettre XIII
J'ai vu la vallée doucement éclairée dans
l'ombre, sous le voile humide, charme
vaporeux du matin ; elle était belle.
Je
l'ai vue changer et se
flétrir: l'astre qui
consume a passé sur
elle; il l'a embrasée,
il l'a fatiguée de lumière ; il l'a laissée sèche,
vieillie
et d'une stérilité pénible à
voir.
Ainsi s'est levé lentement, ainsi s'est
dissipé le voile heureux de nos jours.
Il n'y
a plus de ces demi-ténèbres, de ces espaces
cachés qui plaisent tant à pénétrer.
Il
n'y a
plus de clartés douteuses où se puissent
reposer mes yeux.
Tout est aride et fatigant,
comme le sable qui brûle sous le ciel
de
Sahara ; toutes les choses de la vie,
dépouillées de ce revêtement, présentent,
dans une vérité rebutante , le savant et triste
mécanisme de leur squelette découvert.
Leurs mouvements continus, nécessaires,
irrésistibles, m'entraînent sans m 'intéres
ser, et m'agitent sans me faire vivre.
Voilà plusieurs années que le mal menace,
se prépare, se décide, se fixe.
Si le malheur
du moins ne vient pas rompre cet uniforme
ennui, il faudra que tout cela finisse.
A l
'he ure du repo s
Si j'arrive à la vieillesse, si, un jour, plein
de pensées encore, mais renonçant à parler
aux hommes,
j'ai auprès de moi un ami pour
recevoir mes adieux à
la terre, qu'on place
ma chaise
sur l'herbe courte, et que de
tranquilles marguerites soient
là devant
moi , sous le soleil, sous le ciel immense, afin
qu'en laissant la vie qui passe,
je retrouve
quelque chose de l'illusion infinie.
« ••• lorsque je marche dans les
bruyères, entre
les genièvres encore
humides,
je me
surprends quelquefois
à Imaginer les hommes heureux.
»
Lettre XXXIX
,
NOTES DE L'EDITEUR
« C'est dans Oberman que se déroule
l'idée qu'il se fait de la condition de
l'homme : vivre dans l'attente, et dans
l'attente
d'on ne sait quoi ...
Roman sans
histoire,
Oberman est aussi l'évocation très
indirecte de ce qui aurait pu avoir lieu.
»
Marcel Raymond, « Senancour », dans
Sensations et révélations, José Corti, 1968.
«Il est d'autres dangers pour Oberman que le
goût des généralisations abstraites et les
pudeurs d'écrivain:
l'art de la description
auquel nous devons pourtant les plus belles
pages de Senancour peut parvenir
à vider
de son existence le héros, le reléguant au
rôle de simple témoin, le privant de toute
activité autonome.
Sans doute le cas
d'Oberman est-il assez spécifique.
Les
rapports du personnage avec les paysages
ne sont pas ici ce qu'ils sont habituellement
dans le roman et les passages descriptifs,
outre qu'ils nous révèlent l'étendue de la sensibilité
d'Oberman
à la nature, sont
parfois plus directement une évocation de
son état d'âme, grâce
à cette étonnante
valeur symbolique sur laquelle nous
reviendrons.
Cela étant, tout danger
n'est
pas éliminé du même coup et le lecteur
n'évite pas totalement une impression de
vertige
à voir défiler montagnes, lacs et
forêts devant un personnage qui s'expose
à n'être plus qu'un fantôme.» Béatrice
Le Gall,
L'imaginaire chez Senancour,
José Corti, 1966.
1 coll.
Viollet / B.N.
2 ill.
de G.
Lory / Lauros-Giraudon 3 dessin d' Anastasi (1858), coll.
Viollet SENANCOUR 02.
»
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