Ode à un rossignol
Publié le 29/03/2013
Extrait du document
Keats (1795-1821) fut, de son vivant, attaqué par la critique et méprisé par certains contemporains, dont Byron. Après sa mort, toutefois, tout le monde reconnaît en lui l'un des plus grands poètes anglais. Il est comparable à Shakespeare par la perfection de sa langue et à Rimbaud par la fulgurance de son génie et le pathétique de sa destinée. On considère que le talent de Keats déploie sa pleine maturité dans les odes qu'il composa en 1819 et 1820: Ode à la mélancolie, Ode à un rossignol, Ode à une urne grecque, Al' automne, etc. L'ode est un poème lyrique de longueur variable, destiné à célébrer un objet, un événement ou un personnage.
«
«J'ai été à demi
amoureux de la Mort
secourable.
»
- --- ---- EXTRAITS
Ode à un rossignol
Mon cœur se serre ; un demi-sommeil engourdissant pèse
Sur mes sens, comme si
j'avais bu la ciguë,
·ou vidé à l'instant même jusqu'à la lie un lourd breuvage opiacé
Qui
m'eût fait descendre aux profondeurs du Léthé ;
Ce
n'est pas qu'à ton heureux sort je porte envie,
C'est que je prends trop de part à ton bonheur,
Alors que, Dryade des bois à l'aile légère,
En un bosquet mélodieux
De hêtres verdoyants aux ombres infinies,
Tu chantes l'été à plein gosier ravi.
Oh, que ne puis-je boire une gorgée d'un vin
Lentement rafraîchi aux profondeurs creusées,
D'un vin qui sente Flore et les vertes campagnes,
La danse, les chansons provençales, la gaieté brûlée du
soleil!
Oh, donnez une coupe toute pleine del' ardent Midi,
Pleine de la véritable, la rougissante Hippocrène,
Où clignotent au bord les perles pétillantes
Et dont les lèvres soient tachées de pourpre ;
Oh, la boire, et quitter ce monde sans être vu,
Et avec toi m'évanouir dans la forêt obscure( ...
)
J'écoute dans le noir ; et maintes fois
J'ai été à demi amoureux de la Mort secourable,
Lui donnant des noms tendres en mainte poésie de rêve,
Pour qu'elle dissipât dans l'air mon dernier souffle paisible
Maintenant plus que jamais mourir semble une volupté,
Cesser d'être, sans souffrance, à l'heure de minuit,
Tandis que tu répands ton âme dans l'espace
En une pareille extase !
Tu continuerais de chanter, et mes oreilles n'entendraient plus
Ton noble requiem s'adresserait en vain à une poignée d'argile.
( ...
)
Perdues ! Ce mot retentit comme un glas
Qui sonne
pour m'arracher à toi et me rendre à moi seul.
Adieu ! Il est donc
faux que l'imagination nous leurre
Autant qu'on dit, trompeuse magicienne.
Adieu ! Adieu !
Ta plaintive antienne s'évanouit,
Traverse les proches prairies, franchit le ruisseau silencieux,
Remonte le coteau ; la voici maintenant profondément enfouie
Aux clairières du vallon voisin :
Etait-ce illusion ou songe des yeux ouverts
?
Le chant s'est envolé.
Suis-je éveillé ? Suis-je endormi ?
Traduit de l'anglais par Albert Laffay
L'Ode à un rossignol
compte huit strophes
de dix vers.
Les vers ont dix pieds
(décasyllabes),
saufle
huitième de chaque
strophe, qui en a six
(hexasyllabe).
« De hêtres verdoyants
aux ombres infinies,
Tu chantes l'été
à plein
gosier ravi.
»
NOTES DE L'ÉDITEUR « Ce sont pour lui les créations de l'esprit et
les idées abstraites qui sont garantes de
l'existence des choses matérielles.
Le
monde invisible a plus de réalité que le
visible.
Utopiste, il est toujours au-delà de
tout.
Lyrique, il ne garde jamais les pieds
sur terre.
( ...
)Son dessein est de retenir
« Les objets forment ainsi pour Keats un
monde
tout
gonflé de sensations, gros
d'énergie retenue -un monde intense, pour
employer son vocabulaire -que sa poésie
tente de charmer, d'hypnotiser, de prendre
au piège du sommeil dans la minute
présente.( ...
) Il y a donc une sorte
d'équivalence, de substitution, d'échange
réciproque, entre le poète et le monde.
D'une part il se perd dans les choses et
d'autre part, elles diparaissent en
lui.»
Albert Laffay, op.
cit.
«Je ne suis assuré que d'une chose, c'est
de la sainteté des affections du cœur et de
la vérité de l'imagination.
Ce que
l 'Imagination saisit comme Beauté doit être
Vérité -que la chose existât ou non
auparavant ; car
je pense de nos passions
comme de l'Amour : elles sont toutes en
leur plus haut degré créatrices de
la Beauté
essentielle ...
» Keats, lettre à Bailey du
22 novembre 1817.
et
de savourer l'heure qui
passe.»
Introduction des Poèmes choisis,
Aubier Montaigne, 1952.
1 National Portrait Gallery /Lauros-Giraudon 2 peinture de Areni Burleigh I Sipa-lcono 3 œuvre de J.
E.
Millais, Tate Gallery, Londres 4 œuvre de Loutherbourg, Tate Gallery, Londres.
KEATS02.
»
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