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Originalité du XVIIIe siècle

Publié le 08/02/2011

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Partagez-vous l'opinion de J.-J. Rousseau qui écrivait dans la préface de l'Emile : «La littérature et le savoir de notre siècle tendent beaucoup plus à détruire qu'à édifier.«  Expliquez ces réflexions de Mme de Staël et discutez-les, si vous le jugez bon : «Dans le siècle de Louis XIV, la perfection même de l'art d'écrire était le principal objet des écrivains, mais dans le XVIIIe siècle, on voit la littérature prendre un caractère différent. Ce n'est plus un art seulement, c'est un moyen ; elle devient une arme pour l'esprit humain qu'elle s'était contentée jusque-là d'instruire et d'amuser.«  «La philosophie des Lumières, comme toute philosophie, ne cesse de poser le problème de la vérité. D'autant plus qu'elle se pose en s'opposant, et dénonce à chaque occasion l'erreur, le préjugé ou la superstition. Ce souci de vérité, quel qu'en soit le prix, trouve son équivalent dans la volonté manifeste en littérature de faire vrai. Il faut non seulement dire le vrai, mais faire comme si la fiction qui permet de le dire n'en était pas une. Toute une part de la littérature se donne donc comme but de produire l'illusion de la réalité, définie ici comme vraie. N'est-ce pas d'ailleurs, pour une part, le but d'une esthétique qu'illustrent les réflexions de Diderot dans les Salons, et plus spécialement dans le Salon de 1767 ?« (J.-M. Goulemot, La Littérature des lumières, en toutes lettres, Bordas, 1989.) Illustrez et, s'il y a lieu, discutez ce «vérisme« de la littérature française du XVIIIe siècle.  Que pensez-vous de ce jugement sur le rôle du théâtre au XVIIIe siècle : «Entre le déclin de l'Église et l'aurore du journalisme, jamais peut-être le théâtre où affluait, nouveau public, la bourgeoisie qui allait prendre le pouvoir, n'a été aussi bien placé pour assumer le rôle de prédicateur laïc et travailler, par ses critiques, à une transformation sociale. Sur ce point, le théâtre secondait l'entreprise de l'Encyclopédie.« (Yvon Belaval, L'Esthétique sans paradoxe de Diderot, 1950)  Commentez ce parallèle entre le goût classique et le «génie« du XVIIIe siècle : «A la beauté classique, unique et souveraine, le XVIIIe siècle oppose à la fois la diversité des styles dans le temps et dans l'espace, l'originalité du génie et l'individualité du goût. Force inépuisable, fécondité infinie, la Nature - qui s'appelle aussi le génie humain - suscite une multiplicité de formes qui ne se laissent pas réduire. Garanti par le sentiment, le beau devient ce qui me plaît et ce qui plaît aux hommes d'une certaine époque : le moderne. Aux définitions classiques reprises par Voltaire, s'opposent celles de Diderot, de l'abbé Trublet : «La force et l'abondance, je ne sais quelle rudesse, l'irrégularité, le sublime, le pathétique...«, «Le beau le plus beau..., c'est le beau le plus singulier, le plus nouveau, le plus éloigné de ressembler à celui qu'on connaît.« L'art avait été préféré au génie : le génie est préféré au goût. La critique classique de jugement peut évaluer la part du goût, mais cette part est secondaire : «L'intérêt, le mouvement, l'émotion, dont le goût à lui seul est souvent l'ennemi«... dit Mme de Staël.« (G. Picon, Introduction à une esthétique de la littérature, I, L'Écrivain et son ombre, Gallimard, 1953.)  «Un violent ébranlement de la sensibilité permet de retrouver les sources profondes de l'être. Le génie est ainsi «médiateur entre la nature et l'homme«. Sans doute tous ne parviennent pas à la vérité par cette voie : certains s'égarent par excès d'imagination, fait remarquer Jacques Chouillet analysant l'article «Théosophe« de l'Encyclopédie. Mais ils «ont au moins en commun la profondeur et le sublime«. Dans l'enthousiasme et la frénésie, une nouvelle forme de sacré s'impose. La révélation de ce sacré est d'autant plus fascinante qu'il s'enveloppe d'une aura mystérieuse : l'homme sensualiste est un héros de la conscience obscure. Non seulement il reste énigmatique pour le romancier et le poète, mais il est opaque à lui-même.« (S. Menant, Littérature française, t. VI ; De l'Encyclopédie aux Méditations, Arthaud, 1984.) Que pensez-vous de cette analyse du «génie« au XVIIIe siècle?  Georges Poulet écrit dans ses Études sur le temps humain (1949) : «La grande découverte du XVIIIe siècle, c'est celle du phénomène de la mémoire. Par le souvenir l'homme échappe au momentané ; par le souvenir il échappe au néant qui se retrouve entre tous les moments de l'existence.« Qu'en pensez-vous ?  Paul Bénichou (Le Sacre de l'écrivain, Corti, 1985) constate que deux mythes en apparence contradictoires ont hanté la pensée «philosophique« du XVIIIe siècle, le Progrès et l'Age d'Or, et il ajoute : «Si les deux termes tenus pour opposés coexistent et se combinent sans cesse, si la thèse primitiviste n'est jamais si radicale qu'elle n'enveloppe, peu ou prou, son contraire, c'est que la foi des philosophes ne peut se contenter d'attribuer à l'homme une grandeur tardive, fruit des siècles et du progrès ; il leur en faut une intrinsèque, un titre de noblesse natif de l'humanité, comme celui que la Genèse conférait à Adam. Leur optimisme leur rend nécessaire un Eden humain, dont la réalité première, intemporelle en quelque sorte, fonde leur espérance. La foi philosophique laïcise en légende terrestre l'Eden théologique ; abolissant le gouffre de la chute, elle confond significativement, à travers l'homme présent, l'homme originel et l'homme futur. Ce faisant, et selon sa démarche ordinaire, elle trace dans l'homme naturel un Homme plus grand que nature. Antiquité, félicité, pureté : c'est nous, et quelque chose de plus que nous qui, ayant été nôtre, doit l'être encore.« Expliquez et, s'il y a lieu, discutez cette analyse.  Expliquez et commentez ces lignes de Robert Lenoble (L'Évolution de l'idée de nature du XVIe siècle au XVIIIe siècle, in Revue de métaphysique et de morale, 1953) : «La position de l'homme du XVIIIe siècle devant le monde est beaucoup moins «confortable« que celle de ses devanciers. Il ne peut plus être l'enfant attendri d'une Nature maternelle. Ni davantage le mécanicien insensible pour qui la Nature n'est qu'un «mouvement«. Ou plutôt il se sent à la fois l'un et l'autre. [...] L'homme veut renouer un lien affectif avec les choses, mais il ne peut plus le retrouver dans la science, car la jeune Science ne se dédira pas. On commence à prendre conscience d'une contradiction que nous n'avons peut-être pas encore réussi à surmonter.«  Illustrez d'exemples et, s'il y a lieu, discutez cette idée de Jacques Bousquet : «Les écrivains du XVIIIe siècle se sont enchantés de la diversité de la réalité ; ce qui n'était, récemment encore, qu'une vague toile de fond devient pour eux un décor infiniment varié ; ils notent le charme particulier non seulement des différentes saisons mais des différentes heures du jour ; ils s'intéressent aux paysages des différentes provinces ; ils remarquent les détails les plus humbles de la nature ; ils observent les coutumes et les types de vie du petit peuple. Où finit, ici, l'inventaire préscientifique du monde et où commence la poésie ? Beauté gratuite et connaissance pratique semblent se rejoindre ; on démêle mal la rêverie romantique de la curiosité encyclopédique.« (Le XVIIIe siècle romantique, Pauvert, 1972.  Que pensez-vous de cette idée de Robert Mauzi : «La pensée du XVIIIe siècle découvre, pour la première fois peut-être, que l'existence de l'homme ne se suffit pas à elle-même et réclame une justification. Si la condition humaine devient une énigme et un sujet d'angoisse, c'est que nul ne se sent plus soutenu par la stabilité de l'univers théologique du XVIIe siècle, et qu'il n'est plus de Révélation pour renseigner d'emblée chaque homme sur sa destination.« {L'idée du bonheur dans la littérature et la pensée françaises au XVIIIe siècle, Colin, 1960). On pourra nuancer ces lignes par ce texte de Paul Bénichou (Le Sacre de l'écrivain, Corti, 1985) où il affirme que l'expérience religieuse des philosophes du XVIIIe siècle «renverse en quelque sorte l'expérience religieuse habituelle : l'éclair jaillit de la terre au ciel. Quand l'homme de ce temps-là dit «céleste« ou «divin«, c'est presque toujours des choses humaines qu'il parle, en tant qu'elles lui paraissent soudain sans mesure : il se voit homme, et doué d'une sublimité qui embrasse l'univers. Il éprouve sa propre infinité au-delà de sa finitude, et il appelle Dieu, ou Grand Etre, ce qui dans son expérience excède toute limite. De cette découverte qu'il croit avoir faite, ou de cette chimère, de quelque façon qu'on veuille la nommer, qui fait participer l'humanité à l'infini, naît une sorte d'exaltation jusque-là inconnue. [...] Ce que les historiens des lettres appellent communément sentiment de la nature et qui surgit alors de toutes parts n'a de sens que dans cet ensemble : la nature a pris une valeur spirituelle parce que le sensible a pris figure d'infini, moins par référence au Dieu qui créa cet univers qu'à l'homme qui l'habite et à qui il offre un objet de contemplation sans bornes : c'est dans ce théâtre, devenu temple - on ne sait si de Dieu ou de l'homme - que la créature sort de ses limites. C'est à tort, je crois, qu'on parle ici de panthéisme. Il s'agit d'une sorte d'empiétement du sujet humain sur les attributs ordinaires de la divinité. A la limite Dieu peut cesser d'être nécessaire.«  Expliquez et, s'il y a lieu, discutez cette conception de la religion chez les «philosophes« du XVIIIe siècle : «En France, le discours des Philosophes sur la religion se veut particulièrement corrosif parce qu'il s'adresse à un pays de monopole catholique depuis un demi-siècle. Son thème dominant, conséquence de cette situation, est celui de la tolérance. Chaque religion, chaque homme porte en soi une part de vérité essentielle : cette affirmation suppose que confiance soit rendue à l'homme en ses propres forces et en ses propres lumières, et par conséquent que soit écarté le péché originel. Ce refus est le dogme central de la religion des Lumières ; il prétend libérer la nature humaine de toute malédiction, installer l'homme de plein droit dans le monde, légitimer ses visées terrestres. La morale de la tolérance n'est pas, on le voit, le déguisement de l'indifférence en matière de religion. Elle est la traduction sur le plan de l'action, d'une conception de l'homme radicalement renouvelée.« (Robert Mauzi et Sylvain Menant, Littérature française, le XVIIIe siècle, 1750-1778, Arthaud, 1977.  René Pomeau et Jean Ehrard estiment que l'athéisme, au moins avant 1750, est une attitude d'esprit exceptionnelle : «Pour les tenants de la «physique nouvelle« le mécanisme universel est un ordre intelligible qui renvoie à une souveraine Sagesse : à un univers horloge un Dieu horloger. Dans le monde moral également Dieu est le garant de l'ordre : c'est la sagesse du Créateur qui garantit, contre les préjugés d'une morale répressive, l'innocence de la nature, la rectitude de la raison et la légitimité de l'instinct. Mais on proteste contre l'idée d'un Dieu tyran, contre le dogme de l'éternité des peines et de la damnation des païens vertueux ; on condamne les crimes du «fanatisme«, le parasitisme des prêtres et des moines, la confusion du spirituel et du temporel ; on s'inquiète des effets d'une morale rigoriste qui brime la nature, privilégie l'austérité et la vie intérieure au détriment des vertus sociales. Développés avec plus ou moins de talent et de virulence, tous ces thèmes forment très tôt comme une vulgate de l'esprit nouveau. "(Littérature française, t. V, De Fénelon à Voltaire, Arthaud, 1984.) Etes-vous d'accord avec cette conception du Dieu des «philosophes« ?  Michel Launay et Georges Mailhos concluent ainsi leur Introduction à la vie littéraire du XVIIIe siècle, Bordas, 1970 : «Le Grand Siècle, je veux dire le XVIIIe ...« En s'exprimant ainsi, Michelet scandalisait les nostalgiques du siècle de Louis XVI. [...] En effet, le siècle des Lumières n'a peut-être pas été «grand«. Ne s'intéressant qu'aux hommes, les Philosophes n'avaient que faire de la grandeur. Ils se méfiaient des «héros« qui massacraient, pillaient, torturaient, trichaient et violaient, et qui trompaient le peuple avant d'être canonisés dans les livres d'histoire, pour être proposés à l'admiration des enfants du peuple. Détournant leur attention de la gloire et des desseins grandioses, les hommes et les femmes de ce temps prirent l'habitude de tout regarder d'en bas, c'est-à-dire de la hauteur de leurs yeux. Peu sensibles aux leçons du passé, ils mettaient de l'obstination à croire en l'avenir. Ils étaient persuadés que les hommes peuvent naître d'eux-mêmes. Ce sont là des vertus roturières qui peuvent faire sourire les habiles. Il reste que la naïveté têtue des Hurons de ce temps-là s'avère redoutable. Leur seule audace était dans la pensée, mais elle était sans limites : à force de jouer avec les mots, ils en ont fait des réalités. Sans doute les mots et les discours n'ont-ils que peu de prise sur les mécanismes économiques, sur les besoins, les appétits, les désirs et les plaisirs. Mais devenus des armes au service des castes, puis des classes, puis des masses, les écrits de ces hommes et de ces femmes ont aidé l'histoire à accoucher d'autres formes de sociétés, c'est-à-dire du monde dans lequel nous vivons. La tâche à laquelle ont travaillé les écrivains du XVIIIe siècle révèle donc, derrière leur humour ou leur ironie, une résolution tenace, endiablée : il ne s'agissait de rien moins que d'installer les hommes sur la terre. En cela, ils ont été profondément, agressivement sérieux.« Admettez-vous cette vision du XVIIIe siècle ?  Expliquez, illustrez d'exemples et, s'il y a lieu, discutez ces lignes d'une spécialiste d'esthétique (Baldine Saint-Girons, Esthétiques du XVIIIe siècle : le modèle français, Philippe Serf, 1990) : «Si le siècle précédent (= le XVIIe siècle) s'était illustré par la découverte des pouvoirs de la conscience et si le siècle suivant (= le XIXe siècle) devait assigner à la connaissance des causes l'histoire pour domaine, le siècle des Lumières se caractérise sans doute par l'effort pour comprendre la genèse des idées à partir des «sens«. Mais alors «les sens« ont presque toujours l'ambiguïté d'en appeler à l'expérience interne aussi bien qu'externe ; ils constituent ce que nous appellerions aujourd'hui des données sensorielles, sensuelles et sentimentales. Intégrer la sensation, donner des raisons à la jouissance et assigner un statut à l'imagination, tel est l'effort majeur de ses théoriciens.«  Paul Bénichou situe vers 1750 l'origine d'une société des esprits s'érigeant en juges de la société : «Il convient de prendre à sa naissance, dans le milieu philosophique du XVIIIe siècle, cette société ou corporation des esprits qui, s'élevant au niveau le plus haut de la critique et de l'édification, légifère pour un monde en renouvellement, détrône les anciens pouvoirs spirituels et revendique leur héritage. Une nouvelle législature de l'esprit s'est alors constituée, faible et forte comme toute législature face à la puissance matérielle, dérisoire et redoutable, travaillée par ses faiblesses, déterminée par ses intérêts, mais aussi par sa fonction, qui est l'un de ses intérêts, par le souci de son autorité et de son prestige, enfin vouée en quelque façon à l'idéal comme à sa raison d'être. Cette réalité admise, il faut en suivre les vicissitudes à travers l'histoire française, et accepter que les démêlés des écrivains et de la classe régnante y tiennent autant de place et y soient aussi profondément motivés que leur accord. Il faut aussi s'armer d'équité critique, et en présence de cette nouvelle querelle du temporel et du spirituel, ne pas croire trop vite que, dans toutes les positions qu'ils ont dû prendre et les valeurs qu'ils ont mises en crédit, les nouveaux clercs aient été plus que les anciens les interprètes infaillibles des destinées de l'humanité.« Le sacre de l'écrivain, Corti, 1985. Le XVIIIe siècle vous paraît-il avoir ainsi modifié le rôle de l'écrivain ?  Pour protester contre un projet du Sénat qui, après l'apothéose de J.-J. Rousseau, prévoyait pour Diderot les honneurs du Panthéon, Maurice Barrés écrivait en 1913 : «Le XVIIIe siècle, qui voudrait durer encore, achève de mourir . Nous avons bien fini de lui demander des conseils de vie.« Sans vous attacher exclusivement à la date où il fut émis, dites ce que vous pensez de ce jugement. (CAPES, Lettres, Femmes, 1953.)  Appréciez ce bilan du XVIIIe siècle littéraire : «Grandeur et misère des écrivains du siècle de Louis XV : ils contribuèrent à combattre et à faire éclore une sorte d'Oeil géant bientôt placé dans chaque conscience comme dans les consciences collectives. Personne, alors, n'avait lieu de s'inquiéter beaucoup des Lumières ni même de l'œil. Optimisme et positivité du rationalisme naissant. L'idée de bonheur et l'idéal des Lumières possédaient ces écrivains pleins de confiance dans l'homme et pourtant travaillés par une toute nouvelle inquiétude. Personne n'aurait pu à l'époque comprendre ou écrire une phrase comme «La Lumière sur le visage effrayé qui recule« (Kafka), mais le XVIIIe siècle encore nous tisse, inscrivant à la façon d'un métier Jacquard ses dessins subrepticement ou involontairement doubles, là où se rencontrent désormais le pouvoir et la volonté de savoir.« (Jean-Noël Vuarnet, Le joli temps : philosophes et artistes sous la Régence et Louis XV, Hatier, 1991.)  

« nous n'avons peut-être pas encore réussi à surmonter.» Illustrez d'exemples et, s'il y a lieu, discutez cette idée de Jacques Bousquet : «Les écrivains du XVIIIe siècle sesont enchantés de la diversité de la réalité ; ce qui n'était, récemment encore, qu'une vague toile de fond devientpour eux un décor infiniment varié ; ils notent le charme particulier non seulement des différentes saisons mais desdifférentes heures du jour ; ils s'intéressent aux paysages des différentes provinces ; ils remarquent les détails lesplus humbles de la nature ; ils observent les coutumes et les types de vie du petit peuple.

Où finit, ici, l'inventairepréscientifique du monde et où commence la poésie ? Beauté gratuite et connaissance pratique semblent serejoindre ; on démêle mal la rêverie romantique de la curiosité encyclopédique.» (Le XVIIIe siècle romantique,Pauvert, 1972. Que pensez-vous de cette idée de Robert Mauzi : «La pensée du XVIIIe siècle découvre, pour la première fois peut-être, que l'existence de l'homme ne se suffit pas à elle-même et réclame une justification.

Si la condition humainedevient une énigme et un sujet d'angoisse, c'est que nul ne se sent plus soutenu par la stabilité de l'universthéologique du XVIIe siècle, et qu'il n'est plus de Révélation pour renseigner d'emblée chaque homme sur sadestination.» {L'idée du bonheur dans la littérature et la pensée françaises au XVIIIe siècle, Colin, 1960).

On pourranuancer ces lignes par ce texte de Paul Bénichou (Le Sacre de l'écrivain, Corti, 1985) où il affirme que l'expériencereligieuse des philosophes du XVIIIe siècle «renverse en quelque sorte l'expérience religieuse habituelle : l'éclair jaillitde la terre au ciel.

Quand l'homme de ce temps-là dit «céleste» ou «divin», c'est presque toujours des choseshumaines qu'il parle, en tant qu'elles lui paraissent soudain sans mesure : il se voit homme, et doué d'une sublimitéqui embrasse l'univers.

Il éprouve sa propre infinité au-delà de sa finitude, et il appelle Dieu, ou Grand Etre, ce quidans son expérience excède toute limite.

De cette découverte qu'il croit avoir faite, ou de cette chimère, dequelque façon qu'on veuille la nommer, qui fait participer l'humanité à l'infini, naît une sorte d'exaltation jusque-làinconnue.

[...] Ce que les historiens des lettres appellent communément sentiment de la nature et qui surgit alors detoutes parts n'a de sens que dans cet ensemble : la nature a pris une valeur spirituelle parce que le sensible a prisfigure d'infini, moins par référence au Dieu qui créa cet univers qu'à l'homme qui l'habite et à qui il offre un objet decontemplation sans bornes : c'est dans ce théâtre, devenu temple - on ne sait si de Dieu ou de l'homme - que lacréature sort de ses limites.

C'est à tort, je crois, qu'on parle ici de panthéisme.

Il s'agit d'une sorte d'empiétementdu sujet humain sur les attributs ordinaires de la divinité.

A la limite Dieu peut cesser d'être nécessaire.» Expliquez et, s'il y a lieu, discutez cette conception de la religion chez les «philosophes» du XVIIIe siècle : «EnFrance, le discours des Philosophes sur la religion se veut particulièrement corrosif parce qu'il s'adresse à un pays demonopole catholique depuis un demi-siècle.

Son thème dominant, conséquence de cette situation, est celui de latolérance.

Chaque religion, chaque homme porte en soi une part de vérité essentielle : cette affirmation supposeque confiance soit rendue à l'homme en ses propres forces et en ses propres lumières, et par conséquent que soitécarté le péché originel.

Ce refus est le dogme central de la religion des Lumières ; il prétend libérer la naturehumaine de toute malédiction, installer l'homme de plein droit dans le monde, légitimer ses visées terrestres.

Lamorale de la tolérance n'est pas, on le voit, le déguisement de l'indifférence en matière de religion.

Elle est latraduction sur le plan de l'action, d'une conception de l'homme radicalement renouvelée.» (Robert Mauzi et SylvainMenant, Littérature française, le XVIIIe siècle, 1750-1778, Arthaud, 1977. René Pomeau et Jean Ehrard estiment que l'athéisme, au moins avant 1750, est une attitude d'esprit exceptionnelle: «Pour les tenants de la «physique nouvelle» le mécanisme universel est un ordre intelligible qui renvoie à unesouveraine Sagesse : à un univers horloge un Dieu horloger.

Dans le monde moral également Dieu est le garant del'ordre : c'est la sagesse du Créateur qui garantit, contre les préjugés d'une morale répressive, l'innocence de lanature, la rectitude de la raison et la légitimité de l'instinct.

Mais on proteste contre l'idée d'un Dieu tyran, contre ledogme de l'éternité des peines et de la damnation des païens vertueux ; on condamne les crimes du «fanatisme», leparasitisme des prêtres et des moines, la confusion du spirituel et du temporel ; on s'inquiète des effets d'unemorale rigoriste qui brime la nature, privilégie l'austérité et la vie intérieure au détriment des vertus sociales.Développés avec plus ou moins de talent et de virulence, tous ces thèmes forment très tôt comme une vulgate del'esprit nouveau.

"(Littérature française, t.

V, De Fénelon à Voltaire, Arthaud, 1984.) Etes-vous d'accord avec cetteconception du Dieu des «philosophes» ? Michel Launay et Georges Mailhos concluent ainsi leur Introduction à la vie littéraire du XVIIIe siècle, Bordas, 1970 :«Le Grand Siècle, je veux dire le XVIIIe ...» En s'exprimant ainsi, Michelet scandalisait les nostalgiques du siècle deLouis XVI.

[...] En effet, le siècle des Lumières n'a peut-être pas été «grand».

Ne s'intéressant qu'aux hommes, lesPhilosophes n'avaient que faire de la grandeur.

Ils se méfiaient des «héros» qui massacraient, pillaient, torturaient,trichaient et violaient, et qui trompaient le peuple avant d'être canonisés dans les livres d'histoire, pour êtreproposés à l'admiration des enfants du peuple.

Détournant leur attention de la gloire et des desseins grandioses, leshommes et les femmes de ce temps prirent l'habitude de tout regarder d'en bas, c'est-à-dire de la hauteur de leursyeux.

Peu sensibles aux leçons du passé, ils mettaient de l'obstination à croire en l'avenir.

Ils étaient persuadés queles hommes peuvent naître d'eux-mêmes.

Ce sont là des vertus roturières qui peuvent faire sourire les habiles.

Ilreste que la naïveté têtue des Hurons de ce temps-là s'avère redoutable.

Leur seule audace était dans la pensée,mais elle était sans limites : à force de jouer avec les mots, ils en ont fait des réalités.

Sans doute les mots et lesdiscours n'ont-ils que peu de prise sur les mécanismes économiques, sur les besoins, les appétits, les désirs et lesplaisirs.

Mais devenus des armes au service des castes, puis des classes, puis des masses, les écrits de ces hommeset de ces femmes ont aidé l'histoire à accoucher d'autres formes de sociétés, c'est-à-dire du monde dans lequelnous vivons.

La tâche à laquelle ont travaillé les écrivains du XVIIIe siècle révèle donc, derrière leur humour ou leurironie, une résolution tenace, endiablée : il ne s'agissait de rien moins que d'installer les hommes sur la terre.

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