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LA SCÈNE DU PAUVRE (III-2) - DOM JUAN de MOLIÈRE

Publié le 14/02/2011

Extrait du document

juan

Sganarelle.— Enseignez-nous un peu le chemin qui mène à la ville. Le pauvre. — Vous n'avez qu'à suivre cette route, Messieurs, et détourner à main droite quand vous serez au bout de la forêt ; mais je vous donne avis que vous devez vous tenir sur vos gardes, et que, depuis quelque temps, il y a des voleurs ici autour. Dom Juan. — Je te suis bien obligé, mon ami, et je te rends grâce de tout mon cœur. Le pauvre. — Si vous vouliez, Monsieur, me secourir de quelque aumône ? Dom Juan. — Ah ! ah ! ton avis est intéressé, à ce que je vois. Le pauvre. — Je suis un pauvre homme, Monsieur, retiré tout seul dans ce bois, depuis dix ans, et je ne manquerai pas de prier le Ciel qu'il vous donne toutes sortes de biens. Dom Juan. — Eh ! prie-le qu'il te donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des autres. Sganarelle. — Vous ne connaissez pas Monsieur, bon homme : il ne croit qu'en deux et deux sont quatre, et en quatre et quatre sont huit. Dom Juan. — Quelle est ton occupation parmi ces arbres ? Le pauvre. — De prier le Ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien qui me donnent quelque chose.

Dom Juan. — Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à ton aise ? Le pauvre. — Hélas ! Monsieur, je suis dans la plus grande nécessité du monde. Dom Juan. — Tu te moques : un homme qui prie le Ciel tout le jour ne peut pas manquer d'être bien dans ses affaires. Le pauvre. — Je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n'ai pas un morceau de pain à mettre sous les dents. Dom Juan. — Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins. Ah ! ah ! je m'en vais te donner un louis d'or tout à l'heure, pourvu que tu veuilles jurer. Le pauvre. — Ah ! Monsieur, voudriez-vous que je commisse un tel péché ? Dom Juan. — Tu n'as qu'à voir si tu veux gagner un louis d'or ou non : en voici un que je te donne, si tu jures. Tiens : il faut jurer. Le pauvre. — Monsieur... Dom Juan. — A moins de cela, tu ne l'auras pas. Sganarelle. — Va, va, jure un peu, il n'y a pas de mal. Dom Juan. — Prends, le voilà ; prends, te dis-je ; mais jure donc. Le pauvre. — Non, Monsieur, j'aime mieux mourir de faim. Dom Juan. — Va, va, je te le donne pour l'amour de l'humanité. Mais que vois-je là ? Un homme attaqué par trois autres ? La partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté.

La pièce de « Dom Juan « présente des particularités remarquables :    — des personnages difficiles à pénétrer et à juger, notamment Dom Juan ;    — cela sans doute du fait que Molière — en pleine lutte du « Tartuffe « — désire pénétrer les âmes plus à fond encore que d'ordinaire, pour remonter aux sources vraies des actes et justifier sa philosophie par ses observations ;    — au point de vue technique : pas d'intrigue (composition à tiroirs) et mélange des genres (comique, pathétique, tragique, merveilleux).    Toutes ces particularités, ne se retrouvent-elles pas dans la fameuse « scène du pauvre «? — Pour échapper aux poursuites des frères d'Elvire, Dom Juan, en habit de campagne, et Sganarelle, déguisé en médecin, s'enfuient. Tout en disputant de médecine et de métaphysique, ils se sont égarés dans un bois. Ils aperçoivent un pauvre. Sganarelle : « Enseignez-nous un peu le chemin qui mène à la ville --> souffrir cette lâcheté «.   

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« Toutes ces particularités, ne se retrouvent-elles pas dans la fameuse « scène du pauvre »? — Pour échapper auxpoursuites des frères d'Elvire, Dom Juan, en habit de campagne, et Sganarelle, déguisé en médecin, s'enfuient.

Touten disputant de médecine et de métaphysique, ils se sont égarés dans un bois.

Ils aperçoivent un pauvre.Sganarelle : « Enseignez-nous un peu le chemin qui mène à la ville --> souffrir cette lâcheté ».

I.

— Les personnages. 1.

— Dom Juan. Dom Juan vient de se moquer de Sganarelle qui prétendait lui prouver qu'il y a « quelque chose d'admirable dansl'homme ».

Dom Juan, lui, l'aristocrate, l'esprit fort, le séducteur qui a connu la facilité des femmes, n'a que méprispour la nature humaine, et s'il pouvait prouver que cet ermite qu'ils rencontrent n'est, au fond, qu'un hommeintéressé qui s'ignore, quelle ne serait pas la confusion de Sganarelle ! L'excès des remerciements qu'il lui adresse («Je te suis bien obligé, mon ami, et je te rends grâce de tout mon cœur ») est un premier sondage : le pauvre s'encontentera-t-il ou demandera-t-il une aumône ? Il demande une aumône.

Donc cette aumône, se dit Dom Juan,était le but qu'il visait quand il a si obligeamment fourni le renseignement demandé.

Dès lors Dom Juan croit tenir savictime : « Ah ! ah ! ton avis est intéressé à ce que je vois ».

Il raisonne pour montrer la contradiction profonde qu'ily a dans la conduite du pauvre.

Il lui fait reconnaître que ses prières obtiennent de Dieu des avantages matériels («toute sorte de biens »...

« La prospérité des gens de bien ...

») ; cela étant, il serait plus logique de sa part desolliciter directement le Ciel plutôt que de passer par l'intermédiaire des âmes charitables, et, puisqu'il croit àl'efficacité de ses prières : « Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à ton aise ? » Malgré la rigueur de sesraisonnements, Dom Juan ne convainc pas le pauvre.

(Nous verrons plus loin pourquoi).

Vaincu dans cette premièrepasse d'armes, il tente une autre botte : et c'est l'épreuve du louis.

Après avoir cru un moment l'emporter, ilpressent que le pauvre ne cédera pas.

Il garde le sourire, mais on devine en lui une colère sourde.

Un mouvementd'impatience (« Jure donc ») trahit la blessure inavouée de l'orgueil.

Deuxième échec.

Notre orgueilleux railleur nesaurait s'avouer vaincu et ridicule.

Remettre le louis dans sa bourse : quelle reculade ! Pour sauver la face, il ledonne, mais en affectant la condescendance.

(« Va, va, je te le donne...

») et en risquant un dernier effort pourtroubler la conscience du pauvre : en affichant un humanitarisme — qu'il ne pratique évidemment pas — mais quidevrait amener le pauvre à se demander : « Tiens ! Pourrait-on faire la charité non pas par amour de Dieu, mais paramour des hommes ? » Peut-être (les formules prudentes s'imposent dans ces interprétations délicates), peut-êtreest-ce aussi pour étonner le pauvre, autant que par sens de l'honneur du gentilhomme, qu'il vole au secours del'homme seul attaqué par trois autres.

« La partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté.

» Etait-ilnécessaire de préciser si clairement les motifs de son acte ? — Bref l'orgueil semble le trait dominant du personnage.Aussi sa raillerie paraît-elle, dans le cas présent, cruelle, sinon odieuse.

Néanmoins sa dernière action — quels qu'ensoient les motifs — révèle quand même le gentilhomme.

Il reste donc difficile de porter sur lui un jugement précisdéfinitif.

Le personnage reste troublant. 2.

— Le pauvre. Le pauvre est remarquablement campé lui aussi.

C'est un pauvre dans la tradition.

Il veut son paradis.

Il sait (parcequ'on le lui a dit, et il ne discute pas, il ne cherche pas à comprendre) il sait que la prière et la pauvreté conduisentau Ciel.

Donc il prie et il mendie.

Pour les gens de bien qui lui font l'aumône (gens de bien parce que faisantl'aumône), il demande au Ciel toute sorte de biens.

N'est-ce pas ainsi que font tous les pauvres qu'il a vus etentendus ? Il fait comme eux.

Tout, dans sa conduite, lui paraît donc, de toute évidence, normal.

Comme, ausurplus, il ignore les disputes métaphysiques, il n'entend rien aux raisonnements de Dom Juan.

Des raisonnements ilvoit surtout la conclusion qui est en contradiction flagrante avec sa façon de voir les choses. D-J : « Il ne se peut donc (raisonnement) pas que tu ne sois bien à ton aise ? L-P : « Hélas ! Monsieur, je suis (constatation, sans souci de justification) dans la plus grande nécessité du monde.» ...

« Je vous assure, Monsieur, que...

» (affirmation plus catégorique, mais aucune réfutation des arguments de DomJuan).

Donc à la logique de Dom Juan il oppose « sa » vérité, avec la plus grande naïveté du monde...

et c'est ainsique, dans ce dialogue de sourds, les arguments de Dom Juan n'ont pas de prise sur lui. Très humaine aussi est l'attitude du pauvre au cours de l'épreuve du louis d'or.

Il ne dit pas non tout de suite : il esthomme, et il a faim.

N'est-ce pas d'ailleurs le sacrifice qui fait le prix de l'héroïsme ? L'héroïsme du pauvre est à lamesure de la tentation à laquelle il a dû résister. Ainsi Dom Juan se trouve de façon inattendue en présence d'une foi solide — la plus solide qui soit : celle ducharbonnier — et d'une volonté ferme : le pauvre est le vainqueur du duel. 3.

— Sganarelle. Quant à Sganarelle, il ne prononce, au cours de cette scène, que quelques répliques, mais qui suffisent à révéler : — sa prétention : il prend un ton de voix en accord avec son habit de médecin pour interpeller le pauvre (ton. »

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