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Que pensez-vous de cette affirmation de Lamartine : La prose est d'argile, le vers est de bronze ?

Publié le 14/02/2012

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lamartine

Cette affirmation, sous la plume de celui dont on a pu dire : Ce n'est pas un poète, c'est la poésie même, n'a rien qui puisse nous étonner. Vous etes orfèvre, M. Josse, seraient en droit de lui objecter les sceptiques à qui une double image ne saurait tenir lieu de preuve. N'est-ce point, au temps du romantisme, un état d'esprit passager, commun à toute la jeunesse révoltée contre le prosaïsme de l'âge précédent ?

J'aime surtout les vers, cette langue immortelle,

lamartine

« Les autres, sont le fruit d'un labeur probe, acharné même.

Non que l'inspi­ ration en soit absente, mais elle y est disciplinée.

Les folles pousses, Jes « gourmands :.

, surgis d'une sève surabondante en sont soigneusement éla­ gués.

Tout y est surveillé, calculé, disposé selon les lois d'un art savant.

« Ce que Malherbe écrit dure éternellement ...

:.

La Fontaine,· refait une dizaine de fois la même fable.

«Racine, dira Boileau, n'était qu'un bel esprit auquel j'appris à faire difficilement des vers faciles.

» Gautier, à qui J'on aurait tort de refuser l'inspiration pour ne lui accorder que de la virtuosité, rejette les formes· trop commodes : Statuaire, repou.Sse L'argile que pétrit .

Le pouce Quand flotte ailleurs l'esprit.

Leconte de Lisle, au vers robuste, ferme, coloré, sonore, reproche à Lamar­ tine sa facture trop souvent lâche et molle, ses à-peu-près trop fréquents.

Tout le Parnasse; emboîtant le pas derrière lui, se soumet à la doctrine du travail, chère à Malherbe et à Boileau, et cisèle patiemment des vers impeccables.

Pe même, il y a prose et prose, chacune ·offrant un charme particulier; La causerie sans façons d'un Montaigne, les aimables entretiens d'un saint :François de Sales, la conversation aisée d'une Sévigné qui « laisse courir sa plume la bride sur le cou»; la correspondance et les contes de Voltaire, écrits en se jouant; les pages d'une George Sand dont la main trottait, infatigable, sur le papier, durant des nuits entières, sans jamais revenir en arrière pour une retouche ou une- .correction, ne sauraient passer pour insignifiants, encore que conçus rapidement et sans effort apparent.

Mme de Staëi écrit sous la pression de l'enthousiasme; Mirabeau, dans le feu de la passion ou sous le choc des événements; Lamartine, qu'il prononce un discours ou écrive un article, semble laisser couler le flot de son éloquence native.

Mais il est une autre prose : celle de Balzac « le grand épistolier :.

, qui sent l'huile et le désir de plaire ou d'étonner; celle de Pascal, qui réalise le classique « rien de trop et rien de manque » ; celle de Bossuet, « qui ne laisse rien au hasard de ce qu'on peut lui enlever par prévoyance et par conseil :.

.

Il y a celle de Chateaubriand, d'un coloris, d'une plasticité, d'une sonorité merveilleuses, et qui, dans les Martyrs, s'essaie à remplacer les vers; celle de ce prodigieux :Balzac le romancier, jaillie d'abord sur le l?apier comme une lave incompressible et qui, refroidie, dev1ent, sur les epreuves, l'objet d'innombrables corrections, désespoir des imprimeurs; celle encore - pour nous borner à des exemples typiques - d'un Flaubert, dont chaque page, restée des jours durant sur le métier, a coûté tant de sueurs, de soupirs et de jurons à ce galérien du style.

Pareille prose, capable ·de traduire les nuances les plus subtiles de la pensée, les éclairs le.s plus fugaces de la sensation et du sentiment, coûte, certes, plus à l'écrivain que ces vers aisés, qui coulent ·de source, à l'heure de l'inspiration.

On peut toutefois soutenir que la diffi.culté d~s vers à la Leconte de Lisle, à la Heredia, à la Sully Prudhomme, à la Paul Valéry est de beaucoup supérieure.

Outre la stricte correction, l'élégance, les exigences de la pensée et de l'art, ils sont soumis à d'autres exigences, ils ont à sur­ monter d'autres obstacles.

Le rythme, la rime, les règles d'une prosodie méticuleuse augmentent singulièrement la difficulté.

D'aucuns prétendront que .

ce sont là p~ut(it des supports, des adjuvants, que le rythme, en parti­ culier, soutient la pensée et que la rime l'excite.

Voire! ...

Il se trouve pour­ tant des gens -compétents pour .démontrer que l'entrave de la versification est un frein élégant.pour l'esprit, que la rime qui tyrannise le d~butant et lui suggère .

de sottes fadaises ou des rapprochements par trop fantaisistes est un stimulant incomparable pour le vrai poète (Jean Richepin a soutenü brillamment cette thèse).

D'après eux, au contraire, le prosàteur, .s'il veut plaire, est tenu, lui aussi, à un rythme à une harmonie.

d'autant plus diffi­ ciles à réaliser qu'ils n'obéissi:!nt pas à des· lois fixes.

Ce qu'on appelle «nombre» dans la prose, exige de l'oreille et du goût.

Une phrase de Buffon, une période de Bossüet, disent-ils, ont autant coûté que les plus belles strophes de nos Romantiques, que les sonnets de nos Parnassiens.

Ils ont peut-être raison; nous en restons néanmoins à notre premier juge­ ment : le bronze est décidément plus pénible à travailler .que l'argile.. »

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