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LE PERE GORIOT (pages 123-124): le monologue de Vautrin.

Publié le 29/09/2010

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     Le passage que nous allons étudier se trouve au début de la deuxième partie du roman de Balzac, Le père Goriot. Eugène de Rastignac est heureux, il vient de recevoir de l’argent de sa mère et de ses deux sœurs. Il va pouvoir faire son entrée dans le monde parisien. Mais comme l’on a pu le voir dans la première partie, Rastignac manque d’expérience. Il demande donc conseil à sa cousine Madame de Beauséant. Cependant, c’était sans compter sur le diabolique Vautrin. En effet, celui-ci, jouant le rôle du mauvais père, contrairement au bon père Goriot, entend se mêler de cette situation en profitant de l’ambition de Rastignac.  Dans ce passage, Vautrin est sur le point de dévoiler son plan diabolique et  essaie de persuader Rastignac au moyen d’un long monologue d’être complice du meurtre du frère de Victorine afin d’hériter de la fortune de celle qui pourrait devenir sa future épouse.

I/ Portrait d’un homme éclairé mais débordant d’ambition.

                        Vautrin, dans un très long monologue, commence par se raconter à un Rastignac très impressionné par ce personnage mystérieux et charismatique. Vautrin se présente alors comme un homme qui a de l’expérience comme pour légitimer la leçon de vie qu’il donne au jeune Rastignac. Il met en avant les blessures de son passé qui lui ont permis d’avancer et d’être l’homme qui se tient aujourd’hui devant lui. « J’ai eu des malheurs« (ligne 4). Cela lui apporte également la sympathie du lecteur qui, malgré les révélations qui suivent plaint cet homme qui a souffert par le passé. Vautrin se présente également à Rastignac comme un homme bon qui est prêt à tout pour les personnes qui sont chères à son cœur blessé. «Je suis bon avec ceux qui me font du bien ou dont le cœur parle au mien « (lignes 8,9). Il dit qu’il leur pardonne toutes leurs fautes commises envers lui. « A ceux-là, tout est permis, ils peuvent me donner des coups de pied dans les os des jambes sans que je leur dise : prends garde ! « (lignes 9, 10, 11, 12). Cette phrase laisse aussi entrevoir l’expérience du personnage. Il continue de jouer la carte de la sympathie afin de mieux préparer Rastignac et le lecteur à ce qui va suivre. Puis, Vautrin commence lentement à introduire son côté sombre, en se présentant à Rastignac comme un homme courageux qui ne craint pas de se faire respecter. « Mais nom d’une pipe! Je suis méchant comme le diable avec ceux qui me tracassent, ou qui ne me reviennent pas «. (lignes 12, 13, 14)

Enfin, il en vient aux choses sérieuses en passant du simplement « méchant « pour se faire respecter ou quand les personnes « ne [lui] reviennent pas « (ligne 14) à meurtrier. « Et il est bon de vous apprendre que je me soucie de tuer un homme comme de ça ! « (lignes 14, 15). Cette citation marque un tournant dans le discours de Vautrin. Cependant, on peut dire que celui-ci a très bien articulé son discours car il n’est pas fait mention que Rastignac se révolte ou quitte la terrasse. Il atténue par la suite son discours afin justement de ne pas trop perturber le jeune Rastignac avec cette révélation. « Seulement, je m’efforce de le tuer proprement quand il le faut absolument. « (lignes 16, 17) L’utilisation de l’adverbe « proprement « (ligne 17) peut sembler ironique dans cette phrase, mais il démontre la volonté de Vautrin de continuer à se faire passer pour un homme civilisé et respectable. Il va plus loin en se comparant à « un artiste « (ligne18). En effet, ce nom peut également sembler ironique en étant associé à celui de meurtrier, mais là encore il ne fait que servir l’argumentation de Vautrin qui est en train de persuader son jeune interlocuteur inexpérimenté du bien fondé de ses intentions. « Je suis ce que vous appelez un artiste. J’ai lu les Mémoires de Benvenuto Cellini, tel que vous me voyez, et en italien encore. J’ai appris de cet homme-là, qui était un fier luron, à imiter la Providence qui nous tue à tort et à travers, et à aimer le beau partout où il se trouve. « (lignes 17, 18, 19, 20, 21, 22). Dans cette phrase, on peut également noter l’association que fait Vautrin de lui-même et de ce véritable artiste, un sculpteur et orfèvre de la Renaissance italienne. Là encore, Vautrin semble se donner une légitimité fantaisiste. En effet, on peut se demander comment un meurtrier peut avoir appris quelque chose d’un artiste de génie comme Cellini et l’avoir appliqué comme motto.

Toute cette démagogie n’a donc qu’un seul et unique but, celui de persuader le jeune Rastignac. Afin de servir ce but, Vautrin utilise de nombreux procédés rhétoriques.

 

II/La rhétorique de la persuasion. 

                        Le discours de Vautrin est truffé de procédés rhétoriques qui ont comme fonction de persuader Rastignac, l’inexpérimenté. Il pose beaucoup de questions qui ne nécessitent pas de réponse. D’ailleurs, on peut aller jusqu’à imaginer que si Le père Goriot était transposé au théâtre, le personnage de Vautrin aurait un débit de parole très rapide ne laissant aucune chance au personnage de Rastignac de l’interrompre. « Vous voudriez bien savoir qui je suis, ce que j’ai fait ou ce que je fais?« (lignes 1, 2), « Qui suis-je? « (ligne 6), « Que fais-je? « (lignes 6, 7), « N’est-ce pas d’ailleurs une belle partie à jouer que d’être seul contre tous les hommes et d’avoir de la chance?« (lignes 23, 24), « Nous nous serions battus, pas vrai? « (ligne 45), « Supposez que je sois en terre, où seriez-vous? « (lignes 45, 46), « Et il est bon de vous apprendre que je me soucie de tuer un homme comme de ça ! « (ligne 14, 15), « Je n’obéis à rien, est-ce clair? « (lignes 52, 53), « Savez-vous ce qu’il faut, à vous, au train dont vous allez? « (lignes 53, 54), « Voulez-vous connaître mon caractère ? « (lignes 7, 8). Ce grand nombre de questions rend également son discours extrêmement vivant de façon à fasciner Rastignac. Vautrin va même jusqu’à répondre à ses propres questions, par exemple, « Le duel? Croix ou pile! « (ligne 29). Dans le même but, Vautrin utilise les exclamations. Par exemple, « Je mets cinq balles de suite dans un as de pique en renforçant chaque nouvelle balle sur l’autre, et à trente-cinq pas encore! « (lignes 29, 30, 31),  « Eh! « (ligne 33) ou encore « Vous allez en entendre bien d’autres ! « (lignes 3, 4), « Prends garde ! « (lignes 11, 12), « Mais non d’une pipe!« (ligne 12). Il est également très facile d’imaginer que le personnage de Vautrin fait de grands gestes et qu’il occupe l’espace théâtral. On retrouve dans son discours certains mots qui ne servent pas vraiment le roman mais pourraient servir pour une pièce de théâtre. Par exemple, « Tenez! « (ligne 35) ou encore « Voilà « (ligne 29). Le monologue de Vautrin est donc un discours très bien construit dans lequel il semblerait que chaque mot ait une fonction bien précise. Enfin, comme dans n’importe quel argumentaire structuré, il finit par un exemple qui prouve ce qu’il vient de dire. Ici, afin de prouver qu’il a bien pris part dans le duel, il fait toucher sa cicatrice à Rastignac : « Tenez ! dit cet homme extraordinaire en défaisant son gilet et montrant sa poitrine velue comme le dos d’un ours, mais garnie d’un crin fauve qui causait une sorte de dégoût mêlé d’effroi, ce blanc-bec m’a roussi le poil, ajouta-il en mettant le doigt de Rastignac sur un trou qu’il avait au sein «. (lignes 35 à 41). Cette exemplification est très importante dans le discours de Vautrin car elle sert à montrer qu’il est digne de confiance et qu’il n’a pas menti à son interlocuteur ni au lecteur.

III/ Le Paternalisme de Vautrin.

                        Dans le discours de Vautrin, on remarque également un lexique assez paternaliste qui sert toujours cette fonction persuasive. En effet, Vautrin voit Rastignac comme son enfant, ou comme son élève à qui il doit faire part de son expérience afin de permettre à celui-ci de réaliser ses ambitions à moindre risque. Vautrin infantilise Rastignac en l’appelant « mon petit « à plusieurs reprises. « Vous êtes trop curieux, mon petit. « (lignes 2, 3) Il le réprimande comme un enfant,  « Mon petit, le duel est un jeu d’enfant, une sottise « (lignes 26, 27). Il appelle son père, son « papa «, « manger l’argent du papa « (ligne 47). Il calme l’excitation d’un enfant : « Allons, du calme. Vous allez en entendre bien d’autres « (ligne 3), il lui donne un ordre : « Ecoutez-moi d’abord, vous me répondrez après « (lignes 4, 5). Aussi, au début de son monologue, Vautrin lui donne une représentation manichéenne du bien et du mal. « Je suis bon avec ceux qui me font du bien ou dont le cœur parle au mien « (lignes 8, 9), et « Je suis méchant comme un diable avec ceux qui me tracassent, ou qui ne me reviennent pas « (ligne 12 à 14). Il dénigre les émotions infantiles et stupides de Rastignac : « Je croyais encore a quelque chose, à l’amour d’une femme, un tas de bêtises dans lesquelles vous allez vous embarbouiller « (lignes 42 à 44). Il le rassure en lui disant que lui aussi a été jeune et qu’il a vécu tout cela : « Mais dans ce temps-là, j’étais un enfant, j’avais votre âge, vingt et un an «  (lignes 41, 42). Il s’assure qu’il le comprend comme lorsque l’on explique quelque chose à un enfant : « est-ce clair? «  (ligne 53). Il prend également la main de Rastignac afin de lui faire sentir la cicatrice sur son torse comme un enfant que l’on doit guider. Puis, il démontre à Rastignac qu’il a besoin de lui comme un père a besoin de son père. « Supposez que je sois par terre, où seriez-vous? « (lignes 45, 46). Enfin, il lui dit qu’il est là pour l’aider et qu’il a pensé à lui. « J’ai bien réfléchi à la constitution de votre désordre social. « (lignes 25, 26). Il lui réaffirme que son expérience qu’il lui offre est la clé pour s’en sortir, comme un père ou un professeur qui fait part de son expérience à son fils ou son élève afin que celui-ci ne reproduise pas les même erreurs et qu’il bénéficie de son expérience. « Je vais vous éclairer, moi la position dans laquelle vous êtes ; mais je vais vous la faire avec la supériorité d’un homme qui, après avoir examiné les choses d’ici-bas, a vu qu’il n’y avait que deux partis à prendre : ou une stupide obéissance ou la révolte « (lignes 48 à 52). Vautrin montre à Rastignac ce dont il a besoin et propose de tout faire pour lui offrir cela comme un père qui aiderait son fils par amour. « Savez-vous ce qu’il vous faut, à vous, au train ou vous allez ? un million et promptement ; sans quoi dans votre petite tête, nous pourrions aller flâner dans les filets de Saint-Cloud, pour voir s’il y a un Etre Suprême ? ce million, je vais vous le donner « (lignes 53 à 57).

 

                                 Le monologue de Vautrin est l’un des passages clés du roman de Balzac. Il dépeint un personnage machiavélique qui est dévoilé par lui-même. La structure de ce discours est également très importante. Elle témoigne d’une grande démagogie de la part de Vautrin. Il commence par se présenter comme un homme respectable mais débordant d’ambition. C’est d’ailleurs cette ambition qui peut le pousser au meurtre. Un meurtre qu’il propose habilement au jeune Rastignac, lui aussi dévoré par l’ambition. En effet, la fonction principale de ce discours est de persuader Rastignac d’entrer dans la manigance. Pour se faire, Vautrin utilise un florilège de procédés rhétoriques comme l’exclamation, l’interrogation. Et afin d’être plus pénétrant, il s’adresse à Rastignac comme à un enfant. Il se considère comme son père ou son élève. Le personnage de Rastignac étant un personnage en construction, à l’aube de sa vie d’adulte, il est fasciné par l’expérience et la démagogie que Vautrin lui jette à la figure.

 

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