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Le Personnage De Mme De Rosemonde Dans Les Liaisons Dangereuses

Publié le 29/09/2010

Extrait du document

liaisons dangereuses

 

LACLOS/FREARS

 

LE PERSONNAGE DE MME DE ROSEMONDE

 

L'importance de Mme de Rosemonde n'apparaît que peu à peu dans le roman. Si l'on s'en tient au circuit épistolaire, elle n'apparaît que dans la partie III, où elle reçoit quatre lettres, toutes de Mme de Tourvel, et où elle lui en envoie quatre. Son rôle décisif devient évident dans la partie IV : elle écrit cinq lettres, mais elle en reçoit dix-huit, de Tourvel, de Volanges, de M. Bertrand et de Danceny. C'est elle qui domine tout le dénouement. PB1 : pourquoi ce personnage qui semblait destiné à jouer les seconds rôles devient-il finalement dans le roman un personnage de première importance, sinon de premier plan ? PB2 : pourquoi Frears ne lui a-t-il pas donné une importance similaire dans son film ?

 

I/ UNE FEMME DU PASSÉ A/ Le plus âgé de tous les personnages

1/ Elle a quatre-vingts ans mais elle les porte bien : "J'ai pris ce temps pour jouir et profiter de la société de la respectable Madame de Rosemonde. Cette femme est toujours charmante : son grand âge ne lui fait rien perdre ; elle conserve toute sa mémoire et sa gaieté. Son corps seul a quatre-vingt-quatre ans ; son esprit n'en a que vingt." (lettre 8). Bien qu'elle souffre de rhumatismes, elle a un solide sens de l'humour et plaisante sur le fait qu'elle est "absolument manchote" (112). Dans le film, l'actrice Mildred Natwick a un visage grave, est vêtue de robes à l'ancienne et est filmée souvent assise. Mais elle est moins vive et alerte que le personnage du roman. 2/ Son éducation à l'ancienne est remarquablement reflétée par son style, qui porte la marque de la Préciosité du Grand siècle et qui évoque souvent Mme de Sévigné (cf cours sur la polyphonie). Le film ne peut bien sûr pas en rendre compte, puisqu'elle n'écrit jamais au cinéma. 3/ Son expérience et sa vivacité font qu'elle est en partie consciente de ce qui se joue au château. A Mme de Tourvel qui vient de lui avouer son amour, elle répond dans la lettre 103 : "J'ai été, ma chère Belle, plus affligée de votre départ que surprise de sa cause ; une longue expérience et l'intérêt que vous inspirez avaient suffi pour m'éclairer sur l'état de votre cœur ; et s'il faut tout dire, vous ne m'avez rien ou presque rien appris par votre Lettre. Si je n'avais été instruite que par elle, j'ignorerais encore quel est celui que vous aimez ; car en me parlant de lui tout le temps, vous n'avez pas écrit son nom une seule fois. Je n'en avais pas besoin ; je sais bien qui c'est. Mais je le remarque, parce que je me suis rappelé que c'est toujours là le style de l'amour. Je vois qu'il en est encore comme au temps passé." Dans le film, bien avant la séquence 28, elle indique en une remarque qu'elle n'est pas dupe du jeu de Valmont. Au début de la séquence du dévergondage de Cécile, lorsque Valmont s'arrange pour faire sortir toutes les dames sur la terrasse, sous prétexte que Mme de Tourvel a eu un malaise, elle suggère dans une allusion : "Je ne pense pas que le repas soit en cause..." (plan 322).

 

B/ Une mère de substitution pour Mme de Tourvel = une femme de COEUR

Elle joue un rôle de confidente et de mère, dans le roman comme dans le film. Voir la lettre 102 : "Ah ! Madame, pardon : mais mon cœur est oppressé ; il a besoin d'épancher sa douleur dans le sein d'une amie également douce et prudente : quelle autre que vous pouvait-il choisir? Regardez-moi comme votre enfant. Ayez pour moi les bontés maternelles ; je les implore. J'y ai peut-être quelques droits par mes sentiments pour vous." Le film reprend l'échange de la partie III en le concentrant, et en donnant à Rosemonde une importance dramatique plus grande que dans le roman, puisque c'est elle qui, au terme d'un échange filmé dans la pénombre et en gros plans, conseille à Mme de Tourvel de s'enfuir, ce qui constituera pour Valmont un véritable coup de théâtre (séquence 28). Dans le roman, la décision en revient à Mme de Tourvel seule, qui en informe ensuite Mme de Rosemonde. En revanche, l'échange épistolaire de la partie IV disparaît : comme Frears filme les scènes de la séduction, de la rencontre avec Emilie, de la rupture et de la mort de Mme de Tourvel, il n'a plus besoin du personnage qui dans le roman épistolaire permettait ces récits. Le pathétique et le tragique qui dominaient dans ces lettres de la IVe partie (de Mme de Tourvel puis de Mme de Volanges à Mme de Rosemonde) sont rendus directement à l'écran, sans personnages intermédiaires.

 

C/ Une philosophie de l'existence et une théorie sur l'INEGALITE entre les femmes et les hommes

Dans cette même séquence, Mme de Rosemonde énonce de manière rapide ce qui est plus développé dans la lettre 130 : "Croyez-vous donc que les hommes sachent aimer comme nous ? Non. Ces messieurs jouissent du bonheur qu'ils reçoivent. Mais nous, nous ne jouissons que du bonheur que nous offrons. Ils sont incapables de consacrer leur amour et leurs soins exclusifs à une seule personne. Rêver d'être comblée par l'amour, ma chère fille, cette illusion ne cause que des souffrances". Cette théorie pragmatique de l'amour, qui justifie l'inégalité entre hommes et femmes non par une infériorité de nature mais par des qualités de sensibilité supérieures, qui condamnent la femme à souffrir perpétuellement de l'infidélité masculine, fait de Mme de Rosemonde, sur le plan de la représentation de la femme, l'exact opposé de Mme de Merteuil : coeur contre raison / soumission acceptée contre révolte individuelle. Ni l'une ni l'autre n'est féministe.

 

II/ LA PROPRIÉTAIRE DU CHÂTEAU : UN RÔLE DRAMATIQUE ESSENTIEL A/ Sur le plan spatial, elle est aussi l'exact contrepoint de Mme de Merteuil

1/ Elle possède un château à la campagne, sur lequel elle règne comme Mme de Merteuil règne dans les salons et les salles de théâtre parisiens. Cette bipolarité, indispensable à un roman épistolaire, est aussi bien rendue dans le film.

 

2/ Son château est associé thématiquement { à la nature, qui ennuie prodigieusement les libertins (cf cours sur les lieux). Le nom "Rosemonde" caractérise cet espace naturel (Frears a fait apparaître Mme de Tourvel au milieu des roses de ce jardin dans son film). { et donc à une forme de retraite, théoriquement protégée des entreprises libertines

 

B/ Mais de manière assez ironique, c'est son château qui abrite toutes les entreprises de perversion

1/ Sa position de refuge fait qu'elle reçoit Mme de Tourvel (qui attend le retour de son mari), puis Cécile que Mme de Volanges veut mettre à l'abri des entreprises de Danceny. Le château est donc le piège dans lequel vont se rassembler les victimes inconscientes. Significativement, dans le film, c'est dans le dos de Mme de Rosemonde que se passent les actions importantes (manège de Valmont pour donner la lettre à Cécile, jeux de regards lors du concert). 2/ Dans les deux cas, cet espace est envahi par Valmont (et même par Merteuil dans le film). Et la promiscuité que permet son caractère clos favorise justement les tentations, les rapprochements et les attaques : Cécile y est pervertie, et Mme de Tourvel ne doit son salut (provisoire) qu'à la fuite. La disposition du château, les escaliers circulaires, les couloirs sombres rendent visuellement compte de cette proximité dangereuse.

 

C/ Enfin Valmont manipule sa tante, qui devient involontairement complice de la séduction

Mme de Tourvel s'étant enfuie à Paris, Valmont profite de sa présence au château de Rosemonde pour jouer à sa tante la comédie de la mélancolie et de la conversion (lettres 114 et suivantes). Ainsi, l'inquiétude qu'il suscite chez la vieille dame, et qu'elle répercute dans ses lettres à Mme de Tourvel, joue-t-elle un rôle dans l'évolution décisive de la jeune femme vers le rendez-vous. C'est avec Rosemonde, et avant le père Anselme, qu'il exerce sa tartufferie. Le film n'a pas retenu cet aspect : la virtuosité hypocrite de Valmont/Malkovich éclatera dans la scène de séduction qui suivra.

 

III/ UNE VERTUEUSE QUI CHEZ LACLOS REPREND LES CHOSES EN MAINS A/ Comme Mme de Tourvel, Mme de Rosemonde est une femme pieuse

Deux séquences du film les montrent à la messe dans la chapelle. Et les deux femmes sont particulièrement sensibles à l'acte de "charité" accompli par Valmont chez les paysans du village d'à-côté. Bien avant la comédie de la conversion (cf ci-dessus), elles sont toutes deux manipulées : la générosité de leur coeur les trompe l'une et l'autre. De sorte que la victoire de Valmont sur la vertu de Mme de Tourvel est aussi une défaite pour Mme de Rosemonde, qui a été trahie.

 

B/ Elle a une autorité morale qui dans le roman lui permet de jouer les directeurs de conscience

1/ Dans sa lettre 126, qu'un fâcheux décalage fait parvenir à Mme de Tourvel alors que celle-ci a déjà cédé à Valmont, elle félicite la jeune femme d'avoir résisté, et de ne pas devoir subir "les remords du crime et le mépris de soi-même"... Dans une lettre caractéristique de l'ironie tragique, elle lui tient ici le langage d'un homme d'Eglise et un discours peu consolateur qui pourrait torturer la conscience de la jeune femme si celle-ci n'avait pas dans cette chute trouvé le bonheur. 2/ Dans sa lettre 172, elle invite Mme de Volanges à laisser sa fille au couvent, alors que tout n'est pas arrêté, et surtout pas dans la tête de la mère. Elle outrepasse ici ses droits, en se drapant dans le prétexte de l'amitié. En ce sens, elle joue un rôle aussi important que Mme de Merteuil dans le destin de Cécile, à qui elle ne laisse pas une chance de "refaire sa vie". De manipulée, elle se fait étonnamment manipulatrice. Cette intervention surprenante, qui suggère que le parti de la Vertu bafouée prend en quelque sorte sa revanche et remet de l'ordre là où c'est encore possible, n'a pas été retenue dans le film, qui laisse à Cécile et à Danceny une perspective plus ouverte. Et c'est Merteuil, plus moderne pour nous et moins monstrueuse que dans le roman, et non le couple Volanges/Rosemonde, qui a l'honneur de conclure ce film.

 

C/ Enfin elle parvient dans le roman à se procurer toutes les lettres des protagonistes

1/ Elle est légataire des lettres de son amie Mme de Tourvel (165). Ce legs est logique puisqu'elle lui a servi de confidente. 2/ Danceny lui confie spontanément les lettres de son neveu Valmont (169), et par un accord avec lui, elle parvient aussi à récupérer toutes les lettres de Cécile (171 et 174). Ainsi, ses liens avec un grand nombre de personnages font qu'elle est celle qui va pouvoir rendre possible le roman épistolaire : elle est la garantie d'authenticité que prétexte Laclos. 3/ Ce rassemblement des lettres n'est pas nécessaire dans le film : il suffit que Valmont confie à Danceny les lettres de Merteuil pour que celle-ci soit démasquée, de même que dans le roman les lettres 81 et 85 sont publiées sans que Mme de Rosemonde ait eu les originaux. Mais l'enjeu des deux oeuvres diffère sur ce point { en publiant la totalité de ces lettres, Mme de Rosemonde (ou ses héritiers) espère mettre en garde les jeunes gens contre le "danger des liaisons" (cf la préface) : en ce sens, Mme de Rosemonde joue dans le roman un rôle d'opposant pour les futurs libertins qui tenteront de pervertir d'innocentes victimes : même si elle n'a pas pu protéger son amie Mme de Tourvel, elle peut constituer l'ultime rempart contre de nouvelles perversions. Et elle donne surtout à Laclos le prétexte dont il a besoin pour publier son roman sans trop d'ennuis, masqué qu'il est derrière l'intention charitable du personnage vertueux qu'est Mme de Rosemonde. { en revanche, Frears s'affranchit de ce prétexte dont il n'a pas besoin, parce que son film n'est pas épistolaire, et parce qu'il n'affiche pas une volonté moralisatrice particulière, réelle ou feinte. Mme de Rosemonde est donc un personnage indispensable à Laclos, puisqu'elle justifie la fiction d'un recueil de lettres authentique. Par ailleurs, dans la galerie des femmes du roman, elle offre un contrepoids vertueux inattendu à la marquise de Merteuil ; le film de Frears, en négligeant ces deux fonctions essentielles, a affadi (mais faut-il le regretter ?) ce personnage intéressant.

 

 

 

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