Les personnages de TRISTAN et ISEULT

« la légende, qui semblent pour la plupart avoir été inspirées par les textes celtiques. On relève quelques similitudes entre l'histoire de Tristan et Iseult et le cycle breton du roi Arthur dont elle est à peuprès contemporaine.La ressemblance la plus frappante, outre le décor et le contexte historique, est ce thème central du roi trahi par sonépouse et son plus brillant chevalier.

Iseult trompe le roi Marc avec Tristan, tout comme Guenièvre trompe Arthuravec Lancelot.

D'autres similitudes apparaissent avec les humiliations que Tristan accepte de subir pour tenter derevoir Iseult, et qui rappellent les mésaventures de Lancelot dans Le Chevalier à la charrette de Chrétien de Troyes(1135 - 1183).Curieusement, d'autres détails de l'histoire renvoient à la mythologie grecque.

Ainsi l'épisode final des voiles blanchesou noires se retrouve dans l'histoire du héros grec Thésée, dont des voiles blanches devaient signaler la victoire àson père Egée.

Thésée oubliant de changer ses voiles noires, son père le croit mort et se précipite dans la mer quiporte désormais son nom. Quelques pistes Tristan et Iseult est d'abord l'histoire de l'amour-passion.

Cette passion, symbolisée par un philtre magique, dépassela volonté des deux héros et en fait les victimes d'une tyrannie sans fin.

L'amour guide les pas et les actes deTristan et Iseult, comme la fatalité ou le destin guidait ceux des héros des grandes tragédies grecques.Il y a là une rupture totale avec les conceptions que se faisaient de l'amour les traditions grecque et chrétienne.Pour les Grecs, l'amour, tel qu'il est décrit par exemple dans Le Banquet de Platon (384 av.

J.-C.), est un manque.C'est le vide que ressent un être pour un autre, dont il a besoin et qui devient son supérieur.

Pour les chrétiens, aucontraire, l'amour est la relation privilégiée unissant Dieu à ses créatures.

C'est donc un mouvement du haut vers lebas.

Mais dans les deux conceptions, il y a inégalité.Ici, Tristan et Iseult sont également victimes de l'amour.

C'est un coup de foudre réciproque, qui électrise leursénergies et leur donne toutes les audaces.

Ensemble, Tristan et Iseult bravent les lois humaines; séparés, ils nepeuvent que se pleurer l'un l'autre.

L'amour n'est plus ce courant d'un supérieur vers un inférieur, mais plutôt unchamp dans lequel les forces des amants sont multipliées.Avec Tristan et Iseult, les amoureux sont mis sur un pied d'égalité.

Chacun d'eux est indispensable à l'autre.

Cetteidée d'égalité s'oppose, par exemple, au symbole de la cage d'air dans laquelle Viviane emprisonne Merlinl'Enchanteur, dont l'amour fait son esclave.

Il y a là, en puissance, une conception du rapport homme-femme tout àfait unique, l'une des particularités de la culture occidentale.De plus, dans l'histoire de Tristan et Iseult, l'amour a une fonction subversive.

Il bouleverse l'ordre établi et vacontre les règles les plus sacrées du temps.Cette dimension subversive existe aussi dans l'amour de Lancelot et Guenièvre.

Mais là, l'amour est une chosemauvaise : il sape les fondements de l'ordre et aboutira à l'effondrement de la Table ronde.

Au contraire, l'amour deTristan et Iseult est présenté comme une force positive.Le poème de Tristan et Iseult regarde les choses du point de vue des amants.

Sans condamner explicitement l'ordreétabli, le texte leur donne raison, en partie parce qu'ils ne sont pas responsables de ce qui leur arrive.

Face à desstructures sociales rigides, le poème nous propose donc, d'une certaine façon, un éloge de l'affirmation individuelle.Cet amour exigeant et fatal est aussi involontaire.

L'allégorie du philtre bu par erreur exprime bien cette idée d'unsentiment brusque, qui vous « tombe dessus » par surprise.

On trouve ainsi exprimée une conception du sentimentamoureux qui durera très longtemps.Tombe-t-on amoureux volontairement? Non, répond la tradition littéraire classique, pour qui l'amour naît au premierregard.

Oui, répond le roman du XX' siècle.Dans l'Ecume des jours, roman écrit par Boris Vian en 1947, nous suivons Colin, jeune homme désoeuvré.

«Jem'ennuie, pense-t-il.

J'aimerais bien tomber amoureux.

» Ce sera chose faite un peu plus tard dans la soirée, avecsincérité et passion.

L'amour commence, selon Vian, par une disponibilité. A l'inverse, Mme de La Fayette nous décrit en 1678 dans la La Princesse de Clèves un coup de foudre immédiatentre son héroïne et le duc de Nemours.

Même chose pour Shakespeare, dans son Roméo et Juliette écrit en 1594.Pas la moindre trace, ici, d'une volonté active (si ce n'est, peut-être, que Roméo est lui aussi désoeuvré).

La réalitépsychologique a-t-elle changé avec le temps? Sans doute pas.

Mais la façon de la percevoir est manifestementdifférente.

Quoi qu'il en soit, notons que Tristan et Iseult inaugure, par la superbe trouvaille poétique du philtre, unetradition littéraire qui durera plus de huit siècles.Enfin, l'amour de Tristan et Iseult est chaste.

On en a l'affirmation lorsque le roi Marc trouve les deux amantsendormis, séparés par une épée.Dans la tradition des romans de chevalerie, la chasteté est une valeur-clé.

Il est dit par exemple, dans le cycled'Arthur, que seul un chevalier vierge pourra accéder au Saint-Graal.

Cette exigence renvoie à la chasteté desprêtres, des serviteurs de Dieu, qui doivent consacrer toutes leurs forces au service divin et ne pas se laisserabuser par la vanité des plaisirs de ce monde.Dans Tristan et 'seuil, la chasteté n'a pas la même valeur.

Tristan est amoureux de toute façon, il est en quelquesorte perdu pour le service divin, puisque prisonnier de son attachement pour Iseult.

Mais l'amour humain, ici,devient un reflet de l'amour divin.

C'est un amour spirituel, sublimé, une fusion plutôt qu'une union.

L'absence detoute relation physique garantit l'éternité de cet amour, car l'âme est éternelle tandis que le corps s'use.Ainsi, outre la valeur littéraire qui la fait encore apprécier de nos jours, l'histoire de Tristan et Iseult marque unedate dans notre culture, en donnant de l'amour une vision nouvelle.. »