La Peste
Publié le 29/03/2013
Extrait du document
Publiée en 1947, mais écrite en partie pendant la guerre, La Peste appartient à ce que Camus appelle Je cycle de la révolte, avec L' État de siège, Les Justes, L'Homme révolté (1947-1950), après Je cycle de l'absurde: Caligula , L' Étranger, Le Mythe de Sisyphe, Le Malentendu (1942-1944).
«
Albert Camus ,
rappelon s-le , participa
à la guerre
comme
résistant puis comm e
journali ste à Combat,
publication clandestine.
La P es te e st donc bien,
aussi , une
œuvr e s ur la
Résistance.
EXTRAITS
Face aux premières manifestations
de la peste,
les habitants commencent
par nier l'évidence, par minimiser la
menace ou
par l'ignorer
Le matin du 16 avril, le docteur Bernard
Rieux sortit de son cabinet et buta sur
un
rat mort, au milieu du palier.
Sur le
moment, il écarta
la
bête sans y prendre
garde et descendit
!'escalier.
Mais, ar-
riv é dans la rue, la
pensée lui vint que
ce rat
n'était pas à
sa place et il retour
na sur ses pas pour
avertir
le concierge.
Devant la réaction
du vieux
M.
Michel,
il sentit mieux ce
que sa découverte
avait d'insolite.
La
présence de ce rat
mort lui avait paru
seulement bizarre
tandis que, pour le
concierge, elle cons
tituait un scandale.
La position
de ce dernier était d'ailleurs
catégorique : il n'y avait pas
de rats dans
la maison.
Le docteur eut beau !'assurer
qu'il y en avait un sur
le palier du premier
étage, et probablement mort,
la conviction
de M.
Michel restait entière.
Comme la France de la Seconde Guerre
mondiale, les habitants
d'Oran
vont connaître la séparation et le
déchirement ; en effet, le monde exté
rieur a fait tomber
le couperet en met
tant la ville en quarantaine
Nos concitoyens s'étaient mis au pas, ils
s 'étaient adaptés, comme on dit, parce
qu'il
n'y avait pas moyen de faire autre
ment.
lis avaient encore, naturellement,
l'attitude du malheur et de
la souffrance, mais
ils n'en ressentaient plus la pointe.
Du reste,
le docteur Rieux, par exemple,
considérait que
c'était cela le malheur,
justement, et que !'habitude du désespoir
est pire que
le désespoir lui-même.
Aupa
ravant, les séparés n'étaient pas réelle
ment malheureux, il y avait dans leur souf
france une illumination qui venait de
s'éteindre.
A présent, on les voyait au coin
des rues, dans les
cafés ou chez leurs
amis, placides et distraits, et
!' œil si en
nuyé que, grâce
à eux, toute la ville res
semblait
à une salle d'attente.
Face à la lutte de ceux qui ont refusé de
se résigner, l'épidémie se mit à reculer
Mais dans !'ensemble, !'infection reculait
sur toute
la ligne et les communiqués de la
préfecture, qui avaient d'abord fait naître
une timide et secrète espérance, finirent
par confirmer, dans l'esprit du public,
la
conviction que la victoire était acquise et
que
la maladie abandonnait ses positions.
A la
vérité, il était
difficile de décider
qu'il s'agissait d'une
victoire.
On était
obligé seulement de
constater que la ma
ladie semblait partir
comme elle était
venue .
La stratégie
qu'on lui opposait
n'avait pas changé,
inefficace hier et,
aujourd'hui, appa
remment heureuse.
On avait seulement
!'impression que la
maladie s'était épui
sée elle-même ou
peut-être qu'elle se
retirait après avoir atteint tous ses objec
tifs.
En quelque sorte, son rôle était fini.
Gallimard , 194 7
NOTES DE L'ÉDITEUR
«Créer du bonheur, ce sera désormais le
but que proposeront les personnages de
Camus.
D'abord combattre les fléaux.
Thucydide
et de Lucrèce.
» -G.
Lanson,
Histoire de la littérature française,
Hachette, 1951 reconnaissables
à toutes les générations,
voilà, sans doute, ce que nous attendions d'un écrivain plus intuitif que les autres.
Celui qui isole et dévaste la ville
d'Oran( ...
)
est sans doute allégorique et en rappelle
un autre qui venait de ravager la France
entière ; pourtant
il est peint avec un
réalisme si puissant qu'on évoque en lisant
le livre les descriptions fameuses de
« En somme, la Résistance réclamait une
véritable œuvre d'art.
Prendre distance à
l 'égard des faits récents,
les projeter dans
une allégorie qui fût
le contraire d'un
mensonge puisqu'elle permettrait d'écla irer
! 'Histoire, déplacer ces années dans le
temps et dans l'espace, les rendre par cela
Photo (a) 0 .R .
; (b, c.
d.
e) lith og rap hies d e Bernard Buffet, Éd it ion s A.
Sa uret.© MCM XCI, P ro Litt e ris, Zurich
Il fallait la chronique et la légende , le réel
et le surréel ;
il fallait le soleil et ! 'Histoire.
Notre attente ne fut pas déçue.
En 1947
p arut
la P este, fable historique -et
prophétique.
» -M.
Lebesque, Camus par
lui-même,
Le Seuil, 1965
CAMUS0 3.
»
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