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Peut-on dire que les circonstances ou les mobiles n'ont sur les hommes que le pouvoir qu'ils leur accordent eux-mêmes ?

Publié le 22/02/2012

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REMARQUES PRÉLIMINAIRES. • Le sujet cite — sans le dire — une phrase célèbre de Hegel concernant l'indépendance de la volonté, saisie à la fois comme pouvoir de décision autonome et faculté de dépassement. La thèse met en jeu les deux types de déterminations qui peuvent s'exercer sur la volonté: internes (mobiles) et externes (circonstances). Critique directe du fatalisme, la proposition donnée à commenter permet une approche intéressante du rapport entre déterminisme et initiative, conditions concrètes et liberté.

« célèbre : «l'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes», s'inscrit ce pouvoir de rupturedécisif par lequel devient possible une révolution.

Mais ce pouvoir n'est pas donné: l'inefficacité de la révoltespontanée montre la nécessité d'une analyse lucide, dégagée des illusions idéologiques ou affectives que lequotidien engendre.

La conscience révolutionnaire s'accomplit dans un processus où la construction d'une théorieexplicative éclaire les contradictions vécues tout en recevant d'elles des « informations » décisives.

Le dépassementdes circonstances est donc au prix de cette dialectique entre théorie et pratique, qui rejette à la fois levolontarisme spontanéiste et l'intellectualisme abstrait.

Marx et Engels dénonçaient d'ailleurs avec vigueur l'idéeselon laquelle la conscience révolutionnaire la plus développée se trouverait dans les catégories sociales les plusmisérables.

[On trouve encore aujourd'hui, parmi ceux qui évidemment ne sont pas dans le besoin, des théoricienscapables d'affirmer que toute amélioration sensible des conditions d'existence des travailleurs atténue en eux lacapacité de contestation...

et de préconiser une politique du pire dont eux-mêmes, bien sûr, ne feront pasdirectement les frais.] — En fin de compte, la question du pouvoir de distanciation propre à l'homme doit être envisagée aussi bien dans lerapport «intérieur» aux mobiles que dans le rapport «extérieur» aux circonstances. • Troisième partie: une distanciation intérieure est-elle possible? Mobiles, volonté et libre arbitre. — Si l'homme peut, théoriquement, vivre sa condition comme il l'entend, ne doit-on pas lui attribuer une libredisposition des mobiles et des forces psychiques qui s'exercent sur lui ? Sartre distinguait, pour étayer sa thèse, lefait de vivre une condition d'esclave en esclave et le fait de la vivre tout en la rejetant intérieurement.

Le librearbitre reste ici une affaire purement intérieure, dont il faut examiner les conditions et les limites. — L'homme est-il maître de ses jugements et de ses passions? On retrouve ici les discussions classiques surl'autonomie du jugement et sur la maîtrise des passions.— La question de l'autonomie de la volonté revêt une signification nouvelle avec les philosophies de Rousseau etsurtout de Kant, que ce point assez comparables.

Tradition judéo-chrétienne : la volonté, partie prenante d'unesensibilité plus ou moins déchue autant que d'une spiritualité toujours problématique, reste entachée par les limitesintrinsèques de la créature humaine.

Rousseau et Kant: c'est à une volonté bonne en soi (« conscience, instinctdivin », dit Rousseau) qu'il faut référer la possibilité d'une moralité humaine.

Cette volonté, originellement bonne, estle siège d'un libre arbitre, pouvoir spécifique et autonome, par lequel l'homme se distingue radicalement dudéterminisme des inclinations sensibles.

Il y a, si l'on peut dire, un « tout ou rien » de la morale et de la liberté, lavolonté bonne définissant d'emblée, sans condition ni calcul intéressé, un domaine sui generis qui relativise la sphèredes inclinations sensibles et des mobiles pragmatiques (cf.

l'opposition kantienne de l'autonomie et de l'hétéronomie: Fondements de la métaphysique des mœurs, sections 1 et 2). — Une difficulté, cependant, se manifeste lorsqu'il s'agit d'articuler une telle conception sur une philosophie del'histoire réelle, du devenir des sociétés humaines.

Formulons cette difficulté en rapprochant deux affirmations deRousseau.

Première affirmation : « L'homme ne se réduit ni aux circonstances, ni aux «passions mauvaises» qui sonten lui.

Il dispose d'un libre arbitre.

Deuxième affirmation : « Les esclaves perdent tout dans leurs fers, jusqu'au désird'en sortir» (Contrat social, I, chapitre 2).

La confrontation de ces deux thèses apparemment contradictoiresrenvoie à la distinction qu'établit Rousseau entre «l'homme de l'homme» (c'est-à-dire l'homme produit pour lasociété, façonné par un devenir concret) et « l'homme de la nature», dont le modèle théorique est reconstitué par«déductions».

En droit (c'est-à-dire abstraction faite des conditions particulières d'une société corrompue), l'hommeest libre.

En fait (c'est-à-dire dans le cadre de ces conditions), l'homme subit toutes sortes de servitudes quitendent à se reproduire elles-mêmes si le cycle infernal n'en est pas brisé par une rupture complète.

Ce queRousseau ne précise pas, c'est la modalité de cette rupture dont il justifie par avance la nécessité (enreconnaissant par exemple le droit de révolte). — La difficulté précédente en souligne une autre: celle du maintien d'une étanchéité absolue entre mobiles etcirconstances.

En envisageant l'altération de la nature humaine dans un contexte donné (cf.

le thème de la statuede Glaucus dégradée par les intempéries), Rousseau problématise une distinction bien difficile à définir, ouvrant ainsila voie à une analyse dialectique du rapport entre circonstances et mobiles. • Conclusion. — Caractère unilatéral, et contestable, du volontarisme et du fatalisme.

Une position dialectique du problèmeconduit à un dépassement du conflit entre les deux conceptions. — Elle récuse du même coup l'alibi des circonstances ou des mobiles (fatalisme) et \'abstraction d'une volontédéfinie comme pouvoir inconditionné (volontarisme). — Problématisation des termes mêmes de la question.. »

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