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Peut-on dire que le langage entrave la pensée ?

Publié le 02/03/2005

Extrait du document

langage
Il y a donc lieu de démythifier ce qu'Hegel nomme « l'ineffable » : ce quelque chose de si riche et nuancé que la parole ne peut l'exprimer. Pour Hegel, l'ineffable est de la pensée obscure, de la pensée non encore achevée, au stade de la fermentation, qui ne devient claire qu'en trouvant le mot. Si nous affirmons que le langage est la pensée, car il n'y a pas de pensée véritable en dehors du langage, nous dirons que le langage ne peut entraver la pensée : bien au contraire, il est la condition de possibilité de la pensée, non un obstacle pour cette dernière.   b.      Il n'y a pas de pensée en dehors du langage   Il nous faut préciser cette thèse selon laquelle il n'y a pas de pensée en dehors du langage. C'est Merleau Ponty qui lui donne tout son sens dans l'extrait suivant de la Phénoménologie de la perception :   « Si la parole présupposait la pensée, si parler c'était d'abord se joindre à l'objet par une intention de connaissance ou par une représentation, on ne comprendrait pas pourquoi la pensée tend vers l'expression comme vers son achèvement, pourquoi l'objet le plus familier nous paraît indéterminé tant que nous n'en avons pas retrouvé le nom, pourquoi le sujet pensant lui-même est dans une sorte d'ignorance de ses pensées tant qu'il ne les a pas formulées pour soi ou même dites et écrites, comme le montre l'exemple de tant d'écrivains qui commencent un livre sans savoir au juste ce qu'ils y mettront. Une pensée qui se contenterait d'exister pour soi, hors des gênes de la parole et de la communication, aussitôt apparue tomberait à l'inconscience, ce qui revient à dire qu'elle n'existerait pas même pour soi. [...] C'est en effet une expérience de penser, en ce sens que nous nous donnons notre pensée par la parole intérieure ou extérieure. Elle progresse bien dans l'instant et comme par fulgurations, mais il nous reste ensuite à nous l'approprier et c'est par l'expression qu'elle devient nôtre.

Lorsque nous parlons de langage, nous parlons en réalité de deux choses : d’une facette sociale, qui est la langue, c'est-à-dire, l’ensemble des conventions langagières adoptées par un corps social ; d’une facette individuelle, qui est la parole, par laquelle un locuteur isolé actualise l’une des possibilités incluse en puissance dans la langue. Le verbe « entraver « désigne l’activité qui consiste à faire obstacle à quelqu’un, à l’empêcher de se mouvoir ou d’agir à sa guise. Dans un sens plus large, nous pouvons dire qu’entraver quelqu’un consiste à s’interposer comme une difficulté ou un empêchement dans la réalisation d’un but qu’il s’est proposé d’atteindre. Dans un sens large, nous pouvons dire que le verbe « penser « désigne toutes les activités de l’esprit, y compris la volonté. Mais nous pouvons également retenir un sens plus strict, plus spécifique, qui identifie le fait de penser comme l’activité proprement intellectuelle, consistant à manier et composer des idées ainsi qu’à connaître au moyen des concepts. Si nous affirmons que l’on peut dire que le langage entrave la pensée, nous affirmons que le langage est transcendant à la pensée, qu’il s’agit de deux choses distinctes. En effet, l’activité qui consiste à entraver est nécessairement le fait d’un objet distinct de celui auquel il fait obstacle : si le langage entrave la pensée, se présente comme une limite, comme une borne donnée à la pensée, cela signifie que la pensée est autre que le langage, plus vaste que ce dernier. Or, une telle thèse ne saurait être acceptée sans examen car il semble que le langage, loin d’être autre que la pensée, se confond en vérité avec cette dernière, ce qui l’empêche par là même d’être un obstacle.

langage

« mais il nous reste ensuite à nous l'approprier et c'est par l'expression qu'elle devient nôtre.

La dénomination desobjets ne vient pas après la reconnaissance, elle est la reconnaissance même ».

Phénoménologie de la perception.

Ce texte est un puissant argument pour s'opposer à la thèse selon laquelle le langage entrave la pensée.

En effet,Merleau Ponty montre parfaitement que la pensée n'existe nullement en dehors de la parole intérieure ou extérieurequi lui donne forme.

Si « la dénomination des objets ne vient pas après la reconnaissance, elle est la reconnaissance même » c'est donc qu'il n'y a pas de pensée en dehors du mot qui signale à la conscience la reconnaissance.

En définitive, nous dirons avec le linguiste Benveniste que « c'est ce que nous pouvons dire qui informe et organise ce que nous pouvons penser ».

Par conséquent, nous ne pouvons affirmer que le langage entrave la pensée, puisqu'il est la réalisation même de la pensée.

II.

Le langage entrave la pensée parce qu'il l'informe d'une manière singulière a.

Le langage circonscrit les possibilités de la pensée Cependant, nous ne pouvons en rester à cette position de pensée.

Il nous faut étudier plus précisément que nousne l'avons encore fait de quelle manière la pensée fonctionne, ce qui nous permettra sans doute de revenir sur notrethèse initiale.

Nous pouvons voir que nous ne faisons pas qu'associer des idées pour penser, c'est-à-dire que lefonctionnement de notre pensée n'est pas guidé exclusivement en fonction de rapprochements commandés parnotre imagination.

Il semble que le fonctionnement de notre pensée est guidé par la langue, par les catégoriesgrammaticales et linguistiques d'un système langagier donné.

C'est ce que montre Nietzsche dans Par delà bien et mal , fragment 20 : « L'étrange air de famille de toutes les manières de philosopher, indiennes, grecques, allemandes s'expliqueassez facilement.

Là où se trouve une parenté linguistique, il est absolument inévitable que du fait de laphilosophie commune de la grammaire – je veux dire du fait de la domination et de l'aiguillage inconscientsexercés par de mêmes fonctions grammaticales – tout soit préparé d'emblée pour une évolution et unesuccession semblables des systèmes philosophiques : de même que la voie semble barrée à certaines autrespossibilités de commentaires du monde ». Pour Nietzsche, le surgissement d'un concept avec le caractère de la nouveauté est une pure illusion.

Les concepts philosophiques sont comme des wagons dont le parcours est déterminé par ce vaste et impérieux systèmeferroviaire, avec ses aiguillages et ses directions obligées, qu'est la langue.».

L'origine de nos idées est donc touteentière à chercher dans la langue, c'est-à-dire dans un système particulier de signes, transnational mais nonuniversel.

Une philosophie correspond à chaque aire linguistique donnée, car chaque famille de langue possède sespropres catégories grammaticales, qui déterminent la formation de la pensée et délimitent ses possibilités.

Parconséquent, nous dirons que le langage entrave bien la pensée, en tant qu'il l'informe, la modèle à la manière d'unmoule, en l'empêchant de prendre d'autres formes que celles qu'il lui donne.

En effet, nous pensons en terme demasculin et de féminin, de singulier et de pluriel, mais notre pensée ne peut se figurer le composé, l'indéfini, lemultiple avec la même clarté que les catégories que nous venons de citer, parce que le langage ne lui en donne pasles ressources suffisantes.

Nous dirons donc que le langage entrave bien la pensée, parce qu'il circonscrit ledomaine du pensable en fonction des règles de fonctionnement qui sont les siennes et interdit à la pensée deprendre des formes étrangères à celles qu'il lui donne. b.

Le langage entrave la pensée parce qu'il la pousse à l'erreur Allant plus loin, il nous faut voir que c'est aussi en un autre sens que le langage entrave la pensée : en ceci qu'ill'empêche de saisir les choses conformément à ce qu'elles sont en l'induisant en erreur.

Comme l'écrit Jean Granier : « Le langage nous invite à confondre frauduleusement la grammaire avec la structure même de la réalité :nous projetons spontanément dans le réel les articulations grammaticales de la langue, de sorte que toutes nosspéculations sur l'Être ne sont, en dernier ressort, que de simples exercices grammaticaux.

Nos idées, bien loinde s'enchaîner selon la dialectique interne de l'Être ne font que suivre les rails de la grammaire.

L'histoire de laphilosophie est ainsi déterminée d'avance par l'organisation propositionnelle du discours qui n'autorise qu'unnombre limité de combinaisons entre les concepts.

Chaque système philosophique vient alors, tout. »

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