Peut-on ignorer que l'on ment ?
Publié le 18/06/2012
Extrait du document
Est-il possible de mensir en toute innocence et en toute ignorance ? Un mensonge à soi même n'est-il pas un non-sens logique ? Si je mens, je sais que je ne dis pas la vérité ?
«
la conscience ? Le mensonge serait bien alors un énoncé
volontairement faux, mais produit par une volonté incons
ciente, et par conséquent il serait parfaitement possible
de mentir sans s'en rendre compte, de mentir inconsciem
ment.
• Admettons, par exemple, la validité de la théorie freu
dienne du complexe d'Œdipe, selon laquelle tout enfant
nourrit inconsciemment un désir sexuel à l'égard de celui
de ses parents qui est du sexe opposé, et un désir de
mort à l'égard de celui de ses parents qui est du même
sexe et qui est perçu comme un rival (ainsi Œdipe
épouse-t-il sa mère et tue-t-il son père).
Imaginons ensuite
un jeune garçon dans une phase aiguë de son complexe
d'Œdipe, disant à son père : «Papa je t'aime.» Ne ment
il pas, ce faisant, sans s'en rendre compte? Car enfin, il
peut, en raison de la pression sociale et du refoulement
effectué par son sur-moi, qui veut que l'on aime ses
parents, croire qu'il aime son père, alors qu'en réa
lité il lui voue une haine jalouse.
À tout le moins, même
s'il aime d'une certaine manière son père, cet amour est
ambivalent, puisqu'il enveloppe aussi de la haine.
Il y a
donc au moins demi-vérité ou demi-mensonge, demi-men
songe dont il ne «se rend pas compte».
Dira-t-on qu'il se trompe simplement? Non, car aussi
bien, il veut tromper : son père, la société, lui-même; et
pour être inconsciente, cette intention n'en est pas moins
réelle.
Dira-t-on qu'« il» ne ment pas, mais que «ça» ment
en lui? Nous pouvons dire, mais ce «ça» reste le plus
intime de son être, ce sans quoi «il» ne serait pas ce
qu'il est.
4.
La mauvaise foi, mensonge à soi~--------
Le rejet de l'inconscient
• Mais l'existence même d'un inconscient psychique tel
que l'a défini Freud a été contesté.
Dans son ouvrage
L'Être ou le Néant, J.-P.
Sartre, en particulier, a estimé
que l'attitude de la mauvaise foi suffit en réalité à expli
quer les conduites dont Freud voulait rendre compte par
son hypothèse de l'inconscient.
L'affirmation de la mauvaise foi
• La mauvaise foi est un mensonge à soi.
Tandis que
dans le simple mensonge je masque consciemment la
vérité à autrui, «dans la mauvaise foi, c'est à moi-même
que je masque la vérité.
Ainsi la dualité du trompeur et
du trompé n'existe pas ici.
La mauvaise foi implique au
contraire par essence l'unité d'une conscience» (L'Être et
le Néant, p.
87).
Le problème
• Mais dès lors cette unique conscience peut-elle se
mentir à elle-même, puisqu'elle sera nécessairement
consciente de son mensonge? En effet, observe Sartre,
«je dois savoir en tant que trompeur la vérité qui m'est
masquée en tant que je suis trompé.
Mieux encore, je
dois savoir très précisément cette vérité pour me la
cacher plus soigneusement - et ceci non pas à deux
moments différents de la temporalité - mais dans la
structure unitaire d'un même projet.
Comment donc le
mensonge peut-il subsister si la dualité qui le conditionne
est supprimée? À cette difficulté s'en ajoute une autre
qui dérive de la totale translucidité de la conscience.
Celui
qui s'affecte de mauvaise foi doit avoir conscience (de)
sa mauvaise foi puisque l'être de la conscience est cons
cience d'être.
Il semble donc que je doive être de bonne
foi au moins en ceci que je suis conscient de ma mau
vaise foi.
Mais alors tout ce système psychique s'anéan
tit)) (id., pp.
87 -88).
La solution sartrienne
• À ces difficultés Sartre répond en faisant observer que
la mauvaise foi, toujours précaire et évanescente, est
une sorte de mouvement psychologique ambigu qui joue
continuellement sur les dualités propres à l'être humain.
• L'homme est en effet à la fois un corps (une chose) et
une conscience (un esprit, une âme).
Il est à la fois une
facticité, c'est-à-dire quelque chose de déjà fait (il est un
passé, ce qu'il a été) et une transcendance, il est fonda
mentalement un projet, une continuelle nouveauté (il est
ce qu'il se fait).
Il est un être pour lui (à son propre
regard), mais il est aussi un être pour autrui (au regard
d'autrui).
L'attitude de mauvaise foi, par laquelle on refuse de
synthétiser ou de coordonner ces doubles propriétés,
consiste à glisser continuellement de l'une à l'autre, afin
de pouvoir soutenir que nous ne sommes pas ce que
nous sommes..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- ART DE DOUTER ET DE CROIRE, D’IGNORER ET DE SAVOIR (De l’) (résumé & analyse)
- MALHEUR A QUI MENT de Franz Grillparzer
- Y a-t-il des choses qu’on a le doit d’ignorer ?
- La philosophie pourrait-elle ignorer le corps ?
- Etre inconscient, est-ce ignorer?