Devoir de Philosophie

Peut-on ne pas savoir ce que l'on fait ?

Publié le 07/11/2011

Extrait du document

Peut-on ne pas savoir ce que l’on fait ?

 

Question hautement polémique à laquelle beaucoup tentent depuis toujours de trouver la réponse,  en particulier d’un point de vue juridique, nous sommes ici amenés à nous interroger sur la conscience mais surtout l’inconscient, deux notions qui, tout en s’opposant, se complètent. Nous interprèterons, dans cette dissertation, le verbe « faire », comme le fait d’agir, l’action en elle-même, cette définition permettant de couvrir son sens en général.  Mais cette question repose en particulier sur le sens du mot « savoir », ou plutôt les sens, car il en admet plusieurs. Il peut en effet désigner  le fait d’être conscient  de quelque chose, la compréhension du sens de quelque chose et la compréhension de sa finalité. Trois interprétations différentes et complémentaires à la fois, permettant de recouvrir  le mot savoir, trois niveaux d’interprétation que nous utiliserons ici pour essayer de répondre de la façon la plus complète possible à cette question, par la comparaison des deux thèses opposées concernant la réponse à apporter.

 

 

                                Tout d’abord, si l’inconscient est présenté par Freud comme existant, ce n’est pas l’avis de tout le monde. En effet, selon lui, la conscience est divisée entre le « ça » qui définit l’ensemble des désirs refoulés, le « surmoi » qui contient l’ensemble des interdits, et le « moi », qui correspond à la zone de conflit entre le ça et le surmoi. Au contraire, pour certains philosophes comme Descartes, la conscience ne forme qu’un tout, et tout ce qui ne peut s’expliquer par la conscience l’est par la physiologie. Si nous suivons ce point de vue, on ne peut qu’être conscient de ce que l’on fait dans le sens ou la conscience connait forcément tout, même ce qu’elle refoule car pour le refouler elle doit nécessairement en avoir une représentation. Nous connaitrions donc toujours les causes de nos actions et de nos réactions, le pourquoi d’une blague racontée etc. et nos rêves ne seraient finalement que des éléments de souvenirs personnels, dont nous avons un jour eu conscience et qui resurgissent. De plus, en suivant la phrase d’Husserl, « toute conscience est intentionnalité », on peut comprendre que tout ressenti s’exprime envers une cible, vis-à-vis de quelque chose en dehors de l’être ; Toute chose est donc en relation avec la conscience. Or, l’inconscient n’existant pas,  nous savons donc toujours, et le fait de le nier peut en fait relever de la mauvaise foi. Alain illustre cette théorie par une remarque, « la conscience est toujours implicitement morale ».

                Sartre : « l’existence précède l’essence », l’Homme est « condamné à être libre » ; L’Homme est donc selon Sartres pleinement responsable de ses actes. Si nous prenons à présent le terme « savoir » au sens de la compréhension de quelque chose, en nous appuyant sur le fait qu’un individu se définit par ses actions, il impossible qu’il ne puisse savoir ce qu’il fait.  L’acte gratuit est donc un acte qui ne peut être. Prenons pour exemple un enfant qui dessinerais sur les murs intérieurs d’un musé ; Il va bien entendu se faire gronder sans vraiment comprendre pourquoi, les mots « bâtiment ancien », « patrimoine historique » etc. ne correspondant à rien pour lui. Mais s’il ne comprend pas la raison de la colère qu’il suscite, il comprend forcément par contre que ce qu’il vient de faire n’est pas socialement admis. Il sait donc ce qu’il fait, mais ce qu’il ne comprend pas c’est le sens qu’y donne autrui, « dans un rapport intersubjectif, on ne connait pas forcément le sens qu’attribue autrui à nos actions mais on connait toujours le sens qu’on y attribue soi-même » [Garance P] . Ainsi, on sait toujours ce que l’on fait.

                 Le troisième sens du mot savoir, concernant la finalité d’une action, son résultat,  est le plus difficile à traiter de façon pragmatique. En effet, un être humain peut se retrouver dans l’impossibilité de suivre toutes les étapes d’un raisonnement infini, une action pouvant se répercuter dans le temps de façon infinie. Mais c’est un raisonnement logique, un lien logique unit chaque étape de ce raisonnement, tout comme l’action de base et les diverses possibilités qu’elle entraine. De la même façon qu’un joueur d’échec peut prévoir les dix prochains coups de son adversaire,  il est donc possible de prévoir la conséquence de nos actions, si l’on connait les règles de la vie et que l’on sait calculer des enchaînements logiques, ce que tout être humain semble en mesure de pouvoir faire. Nous nous devons aussi dans cette partie de poser le problème d’un Dieu qui dirigerait notre destin ou de toute puissance supérieure qui ferait de même, et qui empêcherait ainsi l’Homme de comprendre la finalité de ses actions. Mais en l’absence de preuve de l’existence de cette entité quelle qu’elle soit, elle ne reste qu’une hypothèse, un objet crée par l’Homme à son image et donc manipulateur comme lui le serait surement s’il possédait une telle puissance. L’Homme se retrouve donc responsable de ses actions, et cela au moins jusqu’à ce que l’on puisse prouver être manipulés par un être supérieur ; Mais même si c’était le cas, nous n’agirions plus par nous-même et donc, on ne « ferait » plus rien, au sens propre du terme, ce qui éliminerais la question de la connaissance de nos actions, ces dernières se retrouvant inexistantes.

 

 

                                Reprenons le premier sens que nous avions donnés au mot savoir, le fait d’être conscient de quelque chose, ici, notre action. Dans ce sens, prétendre ne pas savoir ce que l’on fait reviendrait à ne pas être conscient de nos actes au moment où l’on agit, cela s’appelle un « acte automatique ». La réponse se trouve dans la science ; Si le temps est communément divisé en trois parties, le passé, le présent et le futur, ce n’est pas comme ça que l’être humain le perçoit. En effet, ce dernier divise le temps qu’en deux parties, le passé et le présent passé. On parle de présent passé car étant relatif à la mémoire à court terme, la mémoire incluant nécessairement la réminiscence d’un fait achevé, elle enregistre immédiatement les informations mais ne peut les restituer dans la seconde ; c’est l’action d’un mécanisme de la mémoire, l’oubli, qui permet de limiter la saturation de la mémoire à court terme, qui semble avoir une capacité de stockage très limitée, ce qui fait que nous ne sommes pas toujours conscient de ce que nous faisons, qu’il existe un inconscient. Les faits sont eux gardés en mémoire au niveau du long terme. On peut cependant se demander où vont les souvenirs non mobilisés. Freud répond avec la psychanalyse,  pour lui la mémoire joue un rôle clé dans la constitution de l’inconscient. En effet selon lui, afin de compenser ses désirs refoulés, le sujet doit les extérioriser par le rêve, les actes manqués, les lapsus, l’oubli momentané, les névroses ou des jeux de mots possédant en plus du sens littéral donné par le sujet conscient, un sens caché permettant à son inconscient d’exprimer cet interdit. A cause de ce refoulement de l’inconscient, on ne peut savoir ce que l’on fait.

                Le deuxième sens étudié était celui de compréhension de l’action en elle-même. Or, comme nous le disions plus haut en exposant la thèse opposée, le sens d’une action est subjectif, il varie selon l’âge, le caractère, la culture, le passé etc. Ne pas savoir ce que l’on fait c’est donc donner une interprétation hors norme à cette action, c’est-à-dire hors des règles admises dans la société concernée. Reprenons l’exemple de l’enfant dessinant sur les murs du musé : la personne qui le gronde conclue qu’il ne sait pas ce qu’il fait, mais pour l’enfant, l’acte a du sens, celui de passer le temps, de voir comment on peut dessiner sur un mur, sur une si grande surface, rendre le mur plus beau etc. . Le sens d’une action dépend donc de l’individu qui l’interprète et de son référentiel. Si dans ce sens on comprend toujours ce que l’on fait en soit, du point de vue d’un autre sujet, on peut ne pas savoir ce que l’on fait car nos actes peuvent avoir une signification différente de son point de vue que du notre. Il faut aussi parler de la folie qui peut nous entrainer à des actes gratuits comme le meurtre sans mobile. L’Homme ne pouvant normalement tuer sans raison car régulé par sa conscience, l’acte gratuit existe quand l’Homme est déréglé. La justice a tranché cette question en répondant qu’un fou ne peut savoir ce qu’il fait.

                Enfin, le sens de savoir qui pose le plus de problème à la thèse adverse, la compréhension du but, de la finalité de l’action. Le problème vient de la perception humaine pour laquelle le temps est indéfiniment divisible, entrainant ainsi une infinité de possibilités différentes quant aux conséquences d’un acte. Or, l’Homme est incapable de suivre toutes ces possibilités dans le temps, de par leur infinité, ne peux les suivre et ne peut non plus prévoir l’action que pourrait avoir d’autres actions extérieures sur les effets de l’action initiale, même un ordinateur en serait incapable, d’autant plus que ces effets peuvent se répercuter de façon infinie dans le temps. C’est effet papillon, le battement d’aile d’un papillon pourrait déclencher une tempête  à l’autre bout du monde, et il est possible que la chute d’une plume entraine un tremblement de terre, mais celui qui l’a bougée en est-il conscient ? La réponse est selon moi négative.

                On ne peut donc pas savoir ce que l’on fait pour une cause interne, la mémoire, à cause du problème des points de vu qui change l’interprétation des actes, ou par le fait de l’impossibilité de l’être humain à prendre en compte un trop grand nombre de facteurs, de possibilités dans les temps.

 

 

                               Ainsi répond Freud à la remise en cause de l’existence de l’inconscient : « Les renseignements que fournit le conscient sont pleines de lacunes (…) incohérents et incompréhensibles si nous persistons à soutenir que le conscient suffit à nous révéler tous les actes psychiques qui se passent en nous ».  Nous avons vu que la conception freudienne de l’inconscient et la conception de la liberté de Sartre ou même les différents points de vus de différents philosophes, s’opposaient, mais certains actes peuvent sembler irrationnels si nous les interprétons sans le concept d’inconscient. Le concept d’inconscient a été admis par beaucoup comme convention car permettant des avancées considérables dans la recherche sur le psychisme, mais on ne peut cependant formellement prouver son existence. L’expression de l’inconscient est en fait le résultat du relâchement de l’attention, c’est ce qui ce passe pendant les rêves, et c’est ce que le psychanalyste tente de reproduire avec les sujet conscients étudiés, en le faisant parler jusqu’à atteindre ce stade. Et cela ne peut se faire qu’avec la coopération du patient qui ne doit cependant pas savoir ce qu’il fait pour ne pas y penser mais laisser lui échapper ce que son inconscient révèle. Mais l’inconscient est aussi dénoncé comme excuse facile à tout acte, « Ai-je été juste en tel arrangement ? Je le saurai si je veux y regarder, mais j’aime bien mieux m’en rapporter à d’autres, cela évite d’avoir à se juger soi-même » [Alain]. Cette division du psychisme en 1 parties, l’une consciente et l’autre inconsciente amène donc à ne pouvoir révéler son inconscient que par l’aide d’autrui. Nous sommes donc aliénés à autrui. Mais si l’existence de l’inconscient prouve que nous ne puissions savoir ce que l’on fait, il ne peut pas être considéré comme excuse à tout acte. Ne pas savoir est possible mais pas automatique.

                Pour Hume, « Si nous raisonnons à priori, n’importe quoi peut être capable de produire n’importe quoi », mais selon lui aussi, notre certitude concernant le sujet que nous traitons est fondée exclusivement sur l’habitude. On ne peut donc savoir ce que l’on fait au moment où on le fait, on peut juste avancer une hypothèse tirée de notre expérience, une généralisation. Popper rajoute que l’on ne peut affirmer une théorie, on peut simplement devenir plus sage en apprenant de nos erreurs. On ne peut donc jamais logiquement savoir ce que l’on fait sur la base de propositions inductives.

 

 

 

 

                               Si nous concluons donc que l’on peut ne pas savoir ce que l’on fait, il semble impossible de le prouver dans l’absolu de par la subjectivité des termes traités, mais surtout le fait que la frontière entre l’inconscient et le conscient n’est pas clairement définie, en faisant deux concepts flous et donc difficilement étudiables. Il faut de plus relativiser cette réponse par le fait que l’on peut faire diminuer cette méconnaissance en apprenant la conséquence de notre action. Ne pas savoir ce que l’on fait reste cependant toujours  une possibilité, tout de même assez fréquente : si l’on peut savoir ce que l’on fait, ce n’est pas toujours le ca, et il reste toujours une part d’incertitude et de méconnaissance. La question que nous devrions nous poser serait donc plutôt celle du degré d’inconscience dans notre action, à quel point peut-on se tromper soi-même ?

Liens utiles