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PEUT ON PERDRE SA LIBERTÉ ?

Publié le 03/09/2012

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Problématisation :

 

- Dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen la résistance à l’oppression est présentée non seulement comme un droit mais également comme un devoir : lorsque notre liberté est menacée nous avons le droit et même le devoir de résister. Si donc la liberté apparaît comme un droit pour lequel les hommes sont autorisés à se battre c’est bien qu’elle nous apparaît comme quelque chose qui peut se perdre. 

 

- Que l’homme puisse perdre sa liberté, cela ne fait aucun doute pour la doxa : l’esclave, le prisonnier ou le sujet d’un régime dictatorial n’ont-ils pas perdu leur liberté ? Plus précisément ils ont perdu le POUVOIR D’AGIR COMME ILS LE DESIRENT, ce qu’ils ont perdu c’est leur LIBERTE D’ACTION ; 

 

- Cependant le maître, le geôlier ou le tyran peuvent bien m’enfermer, me torturer, me bâillonner, ils ne peuvent faire que je cesse de les haïr par exemple.  Ce qui apparaît ici c’est une autre forme de la liberté : non plus la liberté d’action, de mouvement mais une liberté plus fondamentale : LA LIBRE DISPOSITION DE SES PENSEES. C’est ici que le le sujet prend toute son ampleur et que le problème philosophique apparaît : que l’on puisse perdre cette faculté de pensée autonome apparaît nettement plus problématique : mon statut de sujet en dépend. C’est bien cette faculté de se déterminer de façon autonome qui m’institue sujet de moi-même donc personne responsable… Cette « liberté intérieure « est-elle bien une forteresse imprenable ? 

 

- La contrainte n’est pas seulement externe, elle peut être interne également. A cet égard les passions ou les mobiles inconscients ne constituent ils pas une menace pour la pensée libre ? Allons plus loin : je pense être libre car j’ai conscience de désirer et d’agir ; mais le plus souvent je suis dans l’inconscience de ce qui me détermine à désirer et à agir comme je le fais. Ma liberté ne pourrait elle pas être une illusion de ma conscience qui découlerait tout naturellement de l’ignorance dans laquelle elle est des causes véritables qui me déterminent ? Auquel cas peut on encore perdre quelque chose que l’on ne possède pas ? 

 

CCL° : C’est bien le caractère naturel de la liberté que le sujet met en question : si la liberté m’appartient originellement en tant qu’elle est ma nature d’être humain alors la perdre serait rien moins que cesser d’être homme. 

 

→ Si la liberté peut se perdre c’est qu’elle n’est pas une donnée intrinsèque à l’humanité. L’homme sera alors libre ou pas selon les situations dans lesquelles il se trouve, sans cesser pour autant d’être homme. On le comprend cette liberté qui est l’objet d’une acquisition ou d’une conquête (car risquer de la perdre c’est la contrepartie de pouvoir la gagner) consiste dans une capacité, un pouvoir d’accomplir ou non certaines actions. On conçoit aisément que certains hommes puissent en être privés sans qu’ils cessent pour autant d’être hommes (l’homme handicapé suite à un accident, l’homme emprisonné privé de liberté de mouvement etc). Des contraintes font obstacles à leur liberté d’action → la liberté est alors définie négativement comme simple absence de contraintes. Mais ainsi définie elle s’applique aussi bien à l’homme qu’aux animaux ou même aux choses : une pierre qui chute sans que son mouvement ne rencontre d’obstacles est dite « en chute libre «. Si être libre c’est ne rencontrer aucun obstacle entravant notre liberté d’action alors nous sommes libres comme l’animal est « libre « de laisser libre cours à ses instincts, ses pulsions lorsque plus aucune chaîne ne le retient.

 

→ Pour que la liberté soit inaliénable ( impossibilité de la céder à un tiers, de la détacher de l’individu) il faut donc qu’elle procède de la nature même de l’homme : ce n’est alors plus un pouvoir de faire mais c’est une faculté de se déterminer de façon autonome, faculté dont nous disposons tous du seul fait que nous sommes des hommes c'est-à-dire des êtres doués de pensée. La liberté est alors une donnée intrinsèque à l’esprit humain et l’effacement d’une telle liberté ne pourra consister qu’en une faute de l’individu qui n’a pas su assumer sa condition de sujet. Le problème est bien moral : peut-on vraiment échapper à la responsabilité de ses actes ? On peut concevoir que la folie soit un obstacle dirimant mais les passions, les déterminismes inconscients sont ils à ce point tout puissants ? La volonté et la raison de l’homme sont elles impuissantes ? On pourra en tous les cas constater que toute la difficulté qu’il y a à se débarrasser de sa liberté apparaît lorsque par exemple après avoir commis un acte dont on a honte on éprouve de la difficulté à s’en reconnaître l’auteur, le sujet : on m’y a poussé, j’étais déterminé à le faire, j’ai eu une enfance difficile…mais l’imputer justement comme une faute ou en être honteux est bien la preuve que l’on en reste (malgré nous) le sujet. C’est toujours librement que l’on décide de s’abandonner à ses pulsions, à ses passions. Dans tous les cas le sujet, loin de perdre sa liberté, est celui qui, dans son intériorité, a volontairement démissionné de sa volonté, s’est autorisé au laisser-aller. Mais si toute la liberté avait disparu dans ce geste il lui serait impossible d’éprouver de la honte ou du remords : ces sentiments moraux nous rappellent au-delà de notre mauvaise foi que nous restons malgré tout ou malgré nous sujets de nos actes…

 

I- Si la liberté de mouvement peut bien se perdre il semble que ce ne soit pas le cas de la liberté de jugement

 

A- Je peux perdre ma liberté d’action

 

Si par liberté nous entendons le pouvoir de faire ce qui nous plaît alors chacun peut faire l’expérience d’une privation de liberté dès lors que nos désirs sont contrariés par des contraintes extérieures. Ainsi l’esclave, empêché d’agir par une force tyrannique à laquelle il ne peut se soustraire, ou l’homme malade, privé de sa motricité par une pathologie qu’il ne peut guérir, peuvent éprouver le sentiment de la perte de liberté. Ce sentiment repose alors sur l’idée que l’homme est originellement libre et que cette liberté rétrécie à mesure que nous nous inscrivons dans des champs de déterminations (politiques, sociaux, biologiques…) : ainsi par ex les lois auxquelles nous sommes soumis, les responsabilités qui nous incombent vis-à-vis d’autrui, de l’environnement… peuvent être vécus comme ce qui réduit le champ des possibles et partant, de la liberté.

 

Mais l’inscription dans un champ de détermination réduit-elle réellement notre liberté ? Est-on d’autant moins libre que l’on est esclave ou malade ?

 

B- Mais cette perte ne restreint en rien le choix des possibles qui s’offre toujours à moi

 

Certes dans tous ces cas, que je sois esclave ou malade, je vois ma liberté d’action sérieusement entravée ; cependant il semble bien que même dans ces champs de détermination un choix de possibles s’offre toujours à moi. L’esclave n’a-t-il pas encore le choix d’obéir ou de désobéir ? De la même façon si la maladie change mes possibilités elle ne les réduit pas car avec elles apparaissent d’autres possibles comme le souligne Sartre :

 

« Un malade ne possède ni plus ni moins de possibilités qu’un bien portant ; il a son éventail de possibilités comme l’autre et il a à décider sur sa situation, c'est-à-dire à assumer sa vie de malade pour la dépasser «. 

Cahiers pour une morale 

 

Ainsi il y a ceux qui refusent d’assumer leur condition et ceux qui l’assument et la transcendent (par ex en s’investissant dans des associations caritatives, un possible qu’ils n’avaient pas conçu lorsqu’ils étaient valides par exemple). Toute situation est donc une condition à l’intérieur de laquelle l’homme est toujours libre. L’homme est condamné à être libre conclut Sartre de sorte qu’il nous faut admettre du même coup que la liberté ne peut se perdre mais par liberté il faut alors entendre autre chose que la liberté physique / d’action  :

 

C- La seule chose qui soit en mon pouvoir est ma pensée 

 

En effet la liberté ne se réduit pas à la liberté physique ; il y a une autre forme de liberté, plus intérieure et plus essentielle aussi : la liberté de jugement. Ainsi quand bien je suis esclave ou malade et condamné sans que je ne puisse rien y faire à perdre ma liberté de mouvement, je reste libre du jugement porté sur ma situation. C’est bien là comme l’avaient souligné les Stoïciens la seule chose qui dépend vraiment de moi. Il ne dépend pas de moi que les gens que j’aime ne meurent pas, il ne dépend pas de moi d’être toujours en bonne santé ou d’être toujours fortuné et si je fais dépendre ma liberté de toutes ces choses sur lesquelles je n’ai pas d’empire absolu alors la survenue d’événements ruinant tous ces biens rétrécira d’autant ma liberté. En fait la seule chose qui dépend absolument de nous et qui est absolument libre c’est notre pensée, notre faculté de juger, de représentation. C’est en ce sens que même emprisonné ou martyrisé je demeure libre. Par exemple le tyran ne peut pas faire que je cesse de le haïr de même que le martyr enduré par les saints ne peut pas faire qu’ils renoncent à leur foi. Le sage stoïcien est donc celui qui reprend toujours possession de sa liberté quand bien même la fortune lui est défavorable parce qu’il a entrepris de changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde et a appris à vouloir les choses telles qu’elles arrivent. Si le monde ne nous donne pas toujours le choix, nous nous pouvons nous le donner ou plus exactement nous comporter comme si le monde correspondait à notre choix.

 

Transition

Ainsi la véritable liberté est intérieure et celle-ci semble bien être en mon seul pouvoir, nul semble-t-il ne peut faire que je la perde. Cette conclusion n’est elle pas quelque peu optimiste ? Je peux basculer dans la folie et perdre toute lucidité et tout empire sur pensées, de mêmes que les passions peuvent sérieusement contrarier l’autonomie de mon jugement… Autrui lui-même est-il sans pouvoir sur mes pensées ?

 

II. La « citadelle intérieure « est elle bien une forteresse imprenable ?

 

A- les causes externes de l’aliénation de notre pensée

 

Nos pensées sont elles bien inaliénables ? Dans le Contrat social Rousseau souligne que la force, pour durer, doit tôt ou tard se donner les apparences du bon droit car elle est sans pouvoir sur les consciences. Le tyran a bien conscience des limites de la force nue ce pourquoi il s’emploie aussi et surtout à emporter l’adhésion des consciences : propagande, conditionnement des hommes dès le plus jeune âge (ex « jeunesses hitlériennes «)… ce qui est visé c’est la suppression de l’autonomie de la pensée de chacun. Dans 1984 G. Orwell a décrit les mécanismes insidieux visant à détruire cette liberté intérieure notamment par la suppression de certains mots du vocabulaire à commencer celui de liberté, ou encore la suppression des formulations négatives afin d’étouffer dans l’oeuf tout esprit critique. Si la pensée est langage , la réduction du vocabulaire comme la transformation du langage, de sa syntaxe… conduit inexorablement à un rétrécissement de la pensée et partant de la liberté s’il est vrai que celle-ci est suspendue à celle-là.

B- les causes internes. L’esclavage des passions

 

Mais les causes de l’aliénation de notre pensée ne sont pas seulement « externes « : elles sont également « internes « à l’individu lui-même. Ainsi la passion ne constitue-t-elle pas un redoutable obstacle à notre lucidité et partant à notre liberté ? La passion nous rend inaptes à la résolution de problèmes théoriques comme pratiques. Etymologiquement la passion désigne la passivité (pathos : pâtir, subir). Dans la passion, du moins sous sa forme paroxystique, on ne s’appartient plus ; l’homme en proie à la passion n’agit plus librement, par un libre décret de sa volonté, celle-ci est au contraire violentée par un principe de détermination qui lui est étranger (la passion). Dans la passion je n’agis, je suis agi, je ne veux pas, je suis le pantin de mes désirs . La passion est donc bien une cause de perte de ma liberté 

 

C- La liberté de penser n’est elle au fond une illusion imputable à notre ignorance de tout ce qui nous détermine ? Le problème du psychisme inconscient.

 

Cependant la passion ne se présente pas toujours sous sa forme paroxystique, elle n’exclut pas, dans les moments de temporisation relative, la prise de conscience de son état. L’esclavage dont elle est la source est alors d’autant plus douloureux que le sujet est conscient de cette dépendance inexpugnable (ainsi Phèdre de racine, Lorenzo de Musset…). Or l’aliénation peut aussi se faire radicalement à notre insu de sorte que l’on se croit libre au moment même où nous sommes entièrement déterminés. Ainsi Freud s’est efforcé de mettre à jour les mécanismes inconscients généraux qui nous déterminent à notre insu alors même que nous sommes persuadés d’être libre. Je n’agis pas mais « ça « (= l’inconscient) agit, je ne pense pas mais « ça pense « en moi pourrait-on dire… A développer avec le cours sur Freud, chap. I

 

Transition

La question qui se pose alors est la suivante : la liberté que les hommes se vantent de posséder n’est elle pas une illusion ? Ne suis-je pas toujours au fond déterminé et cela d’autant plus sûrement que je n’ai pas conscience de ces déterminismes inconscients qui pèsent sur moi ? Si tel est le cas alors il convient de revenir sur la réponse apportée : peut-on encore perdre quelque chose que l’on ne possède pas ? L’expression « perdre sa liberté « ne serait elle pas vide de sens ?

 

III- L’expression « perdre sa liberté « est-elle vide de sens ?

 

A- La critique déterministe du libre-arbitre 

 

L’expression « perdre sa liberté « ne peut avoir de sens que si l’on suppose que l’homme en premier lieu est libre, que la liberté est intrinsèquement contenue dans sa définition : l’homme, par sa nature même, posséderait le pouvoir de se déterminer de façon autonome. Mais ce libre-arbitre n’est-il pas une fiction ?

 

→ Reprendre la critique spinoziste du libre-arbitre opérée dans la Lettre à Schuller où Spinoza montre que la croyance au libre-arbitre (c'est-à-dire ce pouvoir que l’on aurait de se soustraire à toute forme détermination / le pouvoir de la pensée de se déterminer, indépendamment de tout motif, de toute raison) résulte de notre ignorance des causes qui nous déterminent. L’homme n’est pas un empire dans un empire. Déterminisme externe + interne (la croyance dans notre libre-arbitre produite par notre ignorance du déterminisme extérieur nous aliène encore plus sûrement. Il n’est pas d’esclave plus esclave que celui qui se croit libre)

 

→ Pour Spinoza donc l’expression « perdre sa liberté « est vide de sens, non pas parce que l’homme serait le détenteur d’une liberté inaliénable, mais au contraire parce que, n’étant pas un empire dans un empire, il n’est aucunement libre.

 

B-… ne nous amène pas à renoncer à toute idée de liberté

 

A l’idée de liberté Spinoza substitue celle de libération mettant ainsi en avant l’idée selon laquelle la liberté est le fruit d’une conquête, d’un travail notamment de connaissance rationnelle de la nature et de notre nature afin d’éviter que je sois contraint à certains actes par des causes extérieures. 

 

RQ : Freud lui-même n’a jamais voulu renier toute liberté à l’homme, au contraire il renoue avec l’idéal socratique de maîtrise de soi via la connaissance de soi laquelle n’advient que par et dans la pratique psychanalytique et le travail incessant sur soi.

 

C- Mieux, la conscience en moi du devoir atteste l’existence d’une liberté transcendantale (c'est-à-dire indépendante du déterminisme sensible)

Kant : le devoir et la liberté

 

L’impossibilité de poser le libre-arbitre dans la sphère empirique non seulement ne nous amène pas à renoncer à toute idée de liberté mais encore ne nous interdit pas de poser rationnellement l’existence du libre-arbitre comme la conscience en nous du devoir peut nous y autoriser (→ reprendre cours sur la morale Kant et la liberté du sujet moral)

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