Peut-on préférer la servitude à la liberté ?
Publié le 26/02/2004
Extrait du document
- I) On peut préférer la servitude à la liberté.
- II) On ne peut pas préférer la servitude à la liberté.
«
quelqu'uns.
On l'aura compris, la minorité appelle et facilite l'emprise des maîtres sur leurs esclaves, destuteurs sur leurs élèves, des rois sur leurs sujets comme le troupeau bêlant et apeuré appelle la protection duberger.
Soulignons que dans cette première phrase, Kant impute la responsabilité principale de cet état de fait à lapremière cause et la seconde vient comme finaliser, compléter le processus.
En effet, si les hommes avaient le courage de penser par eux-mêmes, nul ne viendrait le faire à leur place !
Mais, " il est si confortable d'être mineur " ajoute plaisamment Kant.
Effectivement quoi de plus sécurisant quel'infantilisme prolongé.
Nous ne résistons pas à joindre ici deux textes de Freud montrant lui aussi à sa manièrecomment l'illusion religieuse est la réactivation du désir d'être aimé et protégé propre à l'enfant :
" Représentons-nous la vie psychique du petit enfant.
[] La libido suit la voie des besoins narcissiques ets'attache aux objets qui assurent leur satisfaction.
Ainsi la mère, qui satisfait la faim, devient le premier objetd'amour et certes de plus la première protection contre tous les dangers indéterminés qui menacent l'enfantdans le monde extérieur ; elle devient, peut-on dire, la première protection contre l'angoisse.
La mère est bientôt remplacée dans ce rôle par le père plus fort, et ce rôle reste dévolu au père durant toutle cours de l'enfance.
Cependant la relation au père est affectée d'une ambivalence particulière.
Le pèreconstituait lui-même un danger, peut-être en vertu de la relation primitive à la mère.
Aussi inspire-t-il autantde crainte que de nostalgie et d'admiration.
Les signes de cette ambivalence marquent profondément toutesles religions [].
Et quand l'enfant, en grandissant, voit qu'il est destiné à rester à jamais un enfant, qu'il nepourra jamais se passer de protection contre des puissances souveraines et inconnues, alors il prête à celles-ci les traits de la figure paternelle, il se crée des dieux, dont il a peur, qu'il cherche à se rendre propices etauxquels il attribue cependant la tâche de le protéger.
Ainsi la nostalgie qu'a de son père l'enfant coïncideavec le besoin de protection qu'il éprouve en vertu de la faiblesse humaine ; la réaction défensive de l'enfantcontre son sentiment de détresse prête à la réaction au sentiment de détresse que l'adulte éprouve à sontour, et qui engendre la religion, ses traits caractéristiques.
"
" Ainsi je suis en contradiction avec vous lorsque, poursuivant vos déductions, vous dites que l'homme nesaurait absolument pas se passer de la consolation que lui apporte l'illusion religieuse, que, sans elle, il nesupporterait pas le poids de la vie, la réalité cruelle.
Oui, cela est vrai de l'homme à qui vous avez instillé dèsl'enfance le doux -ou le doux et amer- poison.
Mais de l'autre, qui a été élevé dans la sobriété? Peut-êtrecelui qui ne souffre d'aucune névrose n'a-t-il pas besoin d'ivresse pour étourdir celle-ci.
Sans aucun doutel'homme alors se trouvera dans une situation difficile; il sera contraint de s'avouer toute sa détresse, sapetitesse dans l'ensemble de l'univers; il ne sera plus le centre de la création, l'objet des tendres soins d'uneprovidence bénévole.
Il se trouvera dans la même situation qu'un enfant qui a quitté la maison paternelle, où ilse sentait si bien et où il avait chaud.
Mais le stade de l'infantilisme n'est-il pas destiné à être dépassé?L'homme ne peut pas éternellement demeurer un enfant, il lui faut enfin s'aventurer dans l'univers hostile.
Onpeut appeler cela " l'éducation en vue de la réalité "; ai-je besoin de vous dire que mon unique dessein, enécrivant cette étude, est d'attirer l'attention sur la nécessité qui s'impose de réaliser ce progrès? "
De même, que le suggère Freud dans ces deux extrait de "L'avenir d'une illusion", la religion apaise l'angoissepropre à tout acte d'exister et nous maintient dans la douce paisibilité de l'ignorance, Kant montre combien ilest doux et commode de se laisser bercer et berner des lumières et de la prétendue sagesse d'autrui: meslivres pensent pour moi et me donnent réponses, mon pasteur calme ma conscience et me donne bénédictionset absolutions et mon médecins ne soigne et me saigne en me donnant médications et prescriptions.
Ainsi va le monde, avec ses lâchetés et compromissions quotidiennes.
Ainsi s'achète à bon prix la bonneconscience, chose du monde assurément la mieux partagée.
Au royaume des indulgences, l'argent et lamauvaise foi sont rois.
L'homme diligente aux autres ce qui est de sa plus haute responsabilité et l'intendancesuivra!
Si jusqu'à présent Kant a mis le doigt sur la pusillanimité des mineurs et leur "active" contribution à leurminorité infantile, la suite du texte va dénoncer les stratagèmes et mécanismes des "tuteurs".
Nous passeronspudiquement sur le "beau sexe" et demanderons non sans malice si l'homme n'est pas le tuteur de la femme ?
Quoi qu'il en soit, il est une vérité partagée de tous, des hommes comme des femmes: le pas vers la majoritéest pénible et dangereux.
Du pas au faux-pas il n'y a qu'un pas.
Penser par soi-même n'est-ce pas aussipenser avec soi-même et parfois contre soi-même et contre les autres? Socrate n'en est-il pas le paradigme?La maxime des "Lumières" ne porte-t-elle pas en elle le "connais-toi toi-même" socratique et vice versa ?
Certes ce pas vers la libération est périlleux, Kant y consent lui-même.
Et il est d'autant plus périlleux que l'onne cesse de nous le faire imaginer tel.
Pascal ne disait-il pas que le plus grand philosophe du monde sur uneplanche plus large qu'il ne faut ne manque pas lui-même d'être saisi d'effroi?
Péril il y a mais de même qu'il ne faut prendre des vessies pour des lanternes, il ne faut pas confondre lachute des corps et la descente aux enfers..
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