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Peut-on tout donner ?

Publié le 25/12/2005

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C'est l'âge de la transparence des rapports, et l'on pourrait s'interroger sur sa survivance à travers le don, acte gratuit qui n'attend rien en retour. Donner, ce n'est pas seulement faire grâce d'un objet ou de sa disponibilité, c'est réellement marquer l'autre par une présence empathique, qui n'attend rien en retour. Le don, en tant qu'il est dans l'instant, constitue une sphère à part entière, et en un certain sens, même si l'objet du don ne constitue pas tout ce qui nous bâtit, sa modalité fait intervenir tout notre être, sans peur de jugement.   On ne peut donner en totalité   Tout donner, ce n'est pas être démuni : si le don se différencie de l'échange en tant précisément qu'il ne requiert rien en retour, il paraît incongru de ne pas considérer qu'il est néanmoins forgé par le mouvement de reconnaissance émanant de celui qui reçoit : en d'autres termes, un don n'est jamais parfaitement gratuit, et la sphère de la réciprocité ne peut lui être étrangère. Ainsi, s'il est possible de donner sans mesure, il n'est pas possible d'être absolument démuni par le don. Cela est particulièrement visible en matière de théologie : donner sur cette terre, c'est espérer le salut dans l'autre monde, et c'est, de plus, acquérir une reconnaissance sociétale. => Il n'est ainsi pas possible de tout donner, au sens où ne nous trouvons jamais, par le don, dans une situation qui appelle à la réciprocité. Tout donner, n'est-ce pas déprécier les facultés d'autrui ? : l'attitude de Socrate envers ses interlocuteurs consiste non en l'usage d'une parole dogmatique qui se voudrait voix de la vérité, mais en la proposition incessante de se rapprocher de l'essence de la chose sur laquelle on s'interroge. Ainsi Socrate ne propose-t-il pas, à la différence des sophistes, de « donner » un discours tout fait, mais bien de se mettre en relation d'empathie avec l'interlocuteur, relation qui est synonyme de découverte d'autrui et de la confiance en ses possibilités.

Il est présupposé que ce n’est pas la possibilité de donner qui est interrogée, mais sa radicalité : or, en utilisant l’expression « tout donner «, on ne peut s’empêcher de penser à l’expression très usitée dans l’opinion et qui fait référence à ce qui se voudrait être un don « corps et âme «. Il ne parait pas pertinent de relever les objets qui se prêtent ou non au don, dans la mesure où nous ne ferions qu’interroger un état de fait. En revanche, la problématique choisie interroge les modalités d’un don radical : attitude naturelle ou revanche de la conscience ?

Les enjeux sont à la fois politiques et éthiques : politiques car le don fait figure d’exception dans la société marchande, éthique parce qu’il apparaît également comme un mode de relation particulier entre les hommes, dont la gratuité pourrait être synonyme d’accès au bonheur.

 

« 1 remarques préliminaires a) Peut-onLe verbe pouvoir, en français, a deux sens distincts.

Il signifie :• Avoir la capacité de faire quelque chose.

Un riche, dit-on, peut être plus généreux qu'un pauvre, puisqu'il possèdedavantage.

Par ailleurs, ce qui est contradictoire ne peut évidemment pas être (c'est-à-dire : est impossible) ; c'esten ce sens qu'on ne peut donner ce qu'on n'a pas.

« La plus belle fille du monde, dit le proverbe, ne peut donnerque ce qu'elle a.

»• Avoir le droit d'agir, en avoir l'autorisation légale ou morale.

Exemple : en France, certaines personnes ne peuventpas, légalement, donner leur sang (les mineurs, etc.) bien qu'elles en aient éventuellement la capacité. b) ToutLe sujet est ainsi formulé que l'expression « tout donner » est un peu ambiguë.• « Tout donner » peut d'abord signifier : donner la totalité de ce qu'on a, sans en rien excepter.• Mais demander si l'on peut tout donner, c'est aussi demander si n'importe quoi peut être donné.

N'existerait-il pasdes réalités dont il serait impossible de faire don ? c) Donner• On peut écarter, tout d'abord, le sens qu'a le mot dans l'expression : « donner quelque chose contre quelquechose » ou « quelque chose pour quelque chose » : des marchandises contre de l'argent, trois pommes pour dixbilles etc.

On entre en effet ici dans la sphère de l'échange, où ce que l'on cède a une valeur équivalente à ce quel'on reçoit.

Un échange véritable implique une sorte d'équilibre, en première approximation du moins ; la pratique du «donnant donnant », ou du « rien pour rien », ne caractérise pas le don proprement dit.• Donner quelque chose à quelqu'un, en revanche, c'est engager un « échange » très particulier puisque c'est «abandonner à quelqu'un, dans une intention libérale ou sans rien recevoir en retour (une chose que l'on possède oudont on jouit) » (Dict.

Le Robert).

Il n'y a donc pas tout à fait échange ; ou bien, dans la problématique del'échange, il y a une sorte d'échange inachevé, incomplet, déséquilibré, sans contrepartie.

Est-il, en ce sens,possible de tout donner ? 2 le don impossible ou obligatoire ? a) Des échanges déguisés• L'analyse du don en manifeste le déséquilibre.

On est alors conduit à se demander si, véritablement, le don existe.• Il serait facile, en ce sens, de démasquer, sous le don, un échange implicite, parfois tu ou nié, parfois reconnu,mais seul capable d'expliquer la conduite du donateur.

Ou bien les cadeaux, gratifications, pourboires, etc.,récompensent des services antérieurs, et ils sont dus ; ou bien ils anticipent des services futurs, ils créent desdettes dont le donataire (celui qui a reçu le don) devra s'acquitter en retour.

Et si certains dons semblent échapperà la logique matérielle de l'échange complet, ne sous-entendent-ils pas une gratification psychologique, qui fait quele donateur, comme on dit familièrement, « s'y retrouve » encore ?• Si tout don est impossible, il est a fortiori impossible de tout donner.

Parce qu'il ne serait pas capable de donner,l'homme ne serait pas non plus capable de tout donner.

La question de savoir s'il a le droit de donner ne se posepas.Transition.

La réduction du don à une forme déguisée d'échange ne pourrait-elle être le fait d'une analyse quiméconnaît la spécificité du don ? Ne pourrait-on inverser en effet l'interprétation et faire dériver l'échange qui nousest familier de conduites de don, plus fondamentales que lui ? b) Primauté du don• Reprenant, en un sens, les thèses de l'ethnologue M.

Mauss (Essai sur le don, 1923-1924) et celles de G.

Bataille(La Part maudite, 1949), J.

Baudrillard nous rappelle que « toutes les sociétés ont toujours gaspillé, dilapidé,dépensé et consommé au-delà du strict nécessaire (...) Ainsi, dans le potlatch, c'est la destruction compétitive debiens précieux qui scelle l'organisation sociale (...).

C'est encore par la wasteful expenditure (prodigalité inutile) qu'àtravers toutes les époques, les classes aristocratiques ont affirmé leur prééminence (...) L'inutilité rituelle de la"dépense pour rien" (est alors) le lieu de production des valeurs, des différences et du sens » (La Société deconsommation, Idées, p.

49).• Nos échanges, dans le cadre de la rationalité économique qui est la nôtre, ne conserveraient de ces formesprimordiales du don que des « caricatures funèbres et bureaucratiques », ou des parodies illusoires.

Cf.

les rabais,soldes, réductions, « tous les mini-gadgets offerts à l'occasion d'un achat », et la publicité en général, dont lafonction est de « nier la rationalité économique de l'échange marchand sous les auspices de la gratuité » (ibid., p.261).. »

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