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[Pierre Massé, ancien commissaire général au Plan, écrivit en 1973 un livre intitulé La crise du développement. Dans la conclusion de cet ouvrage, il affirme qu'il faut se garder de tout attendre de la société et que les secrets du bonheur dépendent, en fait, de chacun de nous.]

Publié le 31/03/2011

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Le secret de la vie intérieure est de prendre de la distance vis-à-vis de qui est autre, de se désaliéner au sens véritable du terme, de mettre, par instants, le monde entre parenthèses. Pous l'avoir fait, Mallarmé incarne aux yeux de J.-P. Sartre la contestation absolue. Je dirais plutôt la liberté absolue qui n'est, a priori, ni conformisme ni contestation. « Il n'avait jamais demandé au monde que ce qu'il contient de plus rare et de plus précieux. Il le trouvait en soi. « L'autre secret — ou le même? — est d'être simple. De saisir les joies les plus naturelles. Le repos sur l'herbe à mi-course, le dos épousant la forme d'un talus, l'oreille attentive au bruit d'un ruisseau, les yeux fixés sur les merveilleux nuages. Les plaisirs de la montagne, le départ de la cabane à la lanterne, la joyeuse chaleur du sang dans l'air glacé, la difficulté vaincue et l'ivresse du sommet atteint. Les grandes courbes neigeuses entre ombre et soleil, la trace fraîche ouverte par les skis, et parmi les forêts et les clairières les tables de bois. La mer « toujours recommencée «, où les vagues déferlent dans l'écume, où le retrait du flot fait sourdre la vie dans les flaques des rochers. Les jeux et les sports qui établissent de justes rapports entre le corps et l'esprit, qui, dans la piscine ou sur le stade, font retrouver à l'homme l'enfance des hommes et le transmuent pour une minute ou pour une heure en un bel animal innocent. L'art enfin, source merveilleuse d'émotion et de communication, apporte à l'intelligible le complément sensible sans lequel la part la plus profonde de l'être ne peut s'accomplir. « Dans le monde triste, énergique, dur, sombre, qui se sent mal à l'aise et qui vaguement se sent coupable «, qu'annonçait Faguet en 1899, la littérature et les arts n'ont pas de fonction éthique directe. « Ils ne donnent aux hommes qu'une jouissance, mais ils leur donnent une jouissance désintéressée, et c'est là leur grand bienfait. Dans la grande usine, ils ouvrent une fenêtre, et donnent aux travailleurs un quart d'heure de contemplation, un quart d'heure de vive activité intellectuelle qui n'a pas pour but un bien-être physique à acquérir, ou un rival à terrasser. Il faut multiplier autant que possible ces quarts d'heure-là. « L'art combat la médiocrité par l'exaltation. Les plus beaux vers de la langue française réunis dans une anthologie. Les musées et les monuments offerts à notre admiration. L'insertion heureuse d'une construction dans un site. Les grandes architectures qui valent par leur agencement d'ensemble autant que par la beauté propre de leurs éléments. Les villes debout, San Giminiano, Manhattan, la Défense. Les déplacements de perspectives, imperceptibles au piéton et révélés à l'automobiliste. La musique devenue accessible à chaque instant grâce au disque, à la radio, à la cassette, si accessible et peut-être si profanée qu'il m'arrive de regretter le temps lointain où je créais le silence intérieur en marchant dans les rues nocturnes vers la salle de concert où il me semblait déjà entendre les instruments s'accorder. Je n'omets pas l'amitié qui mériterait à elle seule tout un livre. La chaîne qui se noue entre adultes et jeunes hommes dans le soutien mutuel de l'expérience et de l'ardeur, celle qui se tisse chaque jour entre compagnons d'étude et de travail, unis par les difficultés partagées et les désaccords surmontés. Enfin ces profonds échanges où chacun se sent obligé de Vautre, celui qui donne à l'égal de celui qui reçoit. Tout cela m'apparait très simple. Mais je veux terminer par plus simple encore, en empruntant à La Bruyère cette maxime qui résume la plus belle part de ma vie et, je le crois, de toute vie : « Être avec des gens qu'on aime, cela suffit : rêver, leur parler, ne leur parler point, penser à eux, penser à des choses plus indifférentes, mais auprès d'eux, tout est égal. «

1. Vous ferez de ce texte un résumé en 175 mots. Une marge de 10 % en plus ou en moins est toutefois admise. Vous indiquerez à la fin de votre résumé le nombre de mots employés.

2. Vous expliquerez le sens dans le texte des expressions suivantes : — se désaliéner au sens véritable du terme ;

— chacun se sent obligé de l'autre. Votre réponse devra être entièrement rédigée. 3. D'après Pierre Massé, le secret du bonheur serait de « mettre par instants le monde entre parenthèses. « Partagez-vous cette opinion ? Vous exprimerez votre avis de façon ordonnée et argumentée, en vous référant à votre expérience personnelle et à vos lectures.

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