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Pierre Viansson-Ponté, extrait d'un article du Monde : Magie ou Opium

Publié le 24/02/2011

Extrait du document

Voir : tout est là. Le journal peut mentir. La radio peut mentir. L'image, elle, ne ment pas ; elle est la réalité. Plus même : elle gagne en crédit ce que la parole et l'écrit ont perdu. Quiconque a, dans sa vie, pris une photographie ou a été photographié le sait bien. Cette conviction, cette confiance absolue dans ce que les yeux ont vu, sont si ancrées dans l'esprit de chacun de nous qu'il doit faire un effort pour garder l'esprit critique.    Sur l'écran, un homme court. Derrière lui quelques agents courent aussi, plus vite, ils gagnent du terrain. Le fuyard, un malfaiteur sans doute, va être rattrapé. Mais le champ s'élargit et livre soudain l'objet de la poursuite : tous courent pour prendre l'autobus. Nous avions vu une arrestation imminente, imaginé déjà toute une histoire. C'est l'exemple le plus classique et le plus simple d'images vraies qui imposent une idée fausse.    Au-delà, il y a la jeune mère qu'on complimente pour la beauté de son enfant et qui s'exclame : « Et encore, ce n'est rien : si vous aviez vu le film que mon mari a pris dimanche ! « L'image, cette fois est plus vraie que le vrai. Au-delà encore : le caméraman qui, filmant une cérémonie ou un voyage officiel, montre une foule immense et enthousiaste en braquant soigneusement son objectif sur la brigade des acclamations ; ou qui, au contraire, s'attarde sur les vides d'une assistance qui paraît ainsi dérisoire, ou donne la vedette à des contre-manifestants qui ne sont qu'une poignée. C'est le mensonge délibéré qui utilise le cadrage, le jeu du gros plan et du plan éloigné pour inverser les proportions, mille astuces techniques : le spectateur voit un lieu, une scène et pourtant il est trompé, il se trompe.    Un dernier pas enfin : on entre carrément dans l'univers des sensations, du rêve, où tout est possible. Nous voilà ici et ailleurs en même temps, avec cinquante, cent regards, vieux songe de l'homme enfin réalisé. Nous voici transportés à l'autre bout du monde, dépaysés, déracinés et ravis. L'univers n'est plus qu'un immense village. Anesthésiés, nous subissons un monologue en croyant dialoguer. Le discours de l'écran est effraction morale : il n'a besoin ni de démonstration ni de preuves. L'histoire se déroule sous nos yeux, en direct, partout sur la planète et même sur la lune.    Tantôt la même émotion nous soulève et en quatre heures nous versons sou par sou un milliard pour les sinistrés de Malpasset ou pour les réfugiés du Biafra. Tantôt l'image nous divise et la même relation des troubles du Quartier Latin, puis des premiers débrayages ouvriers, met le feu à dix villes universitaires, précipite dix millions de travailleurs dans la grève en même temps qu'elle indigne et bouleverse l'autre moitié du pays. L'intelligence émoussée, la volonté entamée, nous sommes hors et loin de nous-mêmes, nous sommes un autre, toutes facultés de contestation et presque de jugement abolies ou perturbées.    Pierre Viansson-Ponté, extrait d'un article du Monde : Magie ou Opium.    QUESTIONS    1) Vous résumerez ce texte en une dizaine de lignes et vous proposerez un titre.    2) Vous expliquerez les mots et expressions :    — anesthésiés;    — effraction morale ;    — l'image nous divise.    3) En ce qui vous concerne, faites-vous crédit à limage plus qu'à la parole et à l'écrit ? Vous donnerez vos raisons.

« Dans le texte, les images s'imposent à l'esprit.

Elles brisent les résistances de la critique et de la réflexion pourprendre possession de la pensée. L'image nous divise.

Pierre Viansson-Ponté a montré comment l'image pouvait unir le public.

Il souligne maintenantcombien elle peut le séparer.

Les divergences se manifestent de façon d'autant plus virulente qu'elles sontémotionnelles.

Un problème se pose pourtant dans l'interprétation de cette phrase.

Une même image suscite desoppositions.

De telles différences supposent donc que le conditionnement n'est pas total.

Est-ce la façon de réagirqui diffère ? Ou la diversité de jugements ? REMARQUES Parmi les modes d'expression, on oppose fréquemment l'image et l'écrit.

Cette opposition se retrouve sous desformes différentes : cinéma et livres, moyens audio-visuels et journaux.

P.

Viansson-Ponté étudie ce dernierdomaine. m Un tel sujet est classique, mais il faut prendre soin de bien le délimiter.

Ce serait en effet une erreur que dedévelopper avec insistance l'impact de l'écrit et du visuel, de comparer les richesses respectives de leursinformations.

Le problème consiste à déterminer le rapport que ces techniques entretiennent avec la réalité et dansquelle mesure elles sont aptes à la transmettre. Le premier plan qui vient à l'esprit sépare le sujet en deux parties : d'une part l'image, d'autre part l'écrit et laparole.

Sans être très mauvaise, cette organisation ne paraît pas souhaitable : elle oblige à des redites.

Il vaut doncmieux répartir les comparaisons sur l'ensemble du devoir. PLAN DÉTAILLÉ DU DÉVELOPPEMENT Première partie : Le traitement de l'information. a) La fidélité à l'événement. m L'image se présente comme un reflet de la réalité.

Elle reproduit ce qui est.

On parle souvent à son propos de«document», de «témoignage».

Elle fait du lecteur un participant direct.

Sans avoir à imaginer, celui-ci voit et vit lascène. L'écrit informe également, mais le rôle interprétatif du journaliste est plus perceptible.

C'est par lui que l'on prendconnaissance de l'événement.

Quels que soient ses efforts pour tendre à l'objectivité, il demeure l'intermédiairehumain, donc faillible, entre l'événement et le public. A l'inverse, l'écrit met en évidence les causes d'un phénomène, ce que ne peut pas toujours faire l'image.

En cesens, par la force des arguments, l'enchaînement logique, il peut entraîner la conviction du lecteur. b) Les déformations. m Ce qui a été dit plus haut à propos de l'image schématise quelque peu.

Le texte de Pierre Viansson-Ponté enmarque bien les limites ; une image peut déformer la réalité : — en isolant une scène de son contexte ; — en utilisant les gros plans, les cadrages particuliers ; — en choisissant une scène plutôt qu'une autre ; — car le montage peut également jouer un rôle déterminant. — Dans le cas de photographie, fixe, un instantané peut accentuer l'expression d'un visage et créer une fausseimpression. — Tous ces moyens orientent donc les nouvelles.

Il existe un langage filmique. Enfin la déformation peut devenir tromperie délibérée dans le cas des truquages. Ce qui vient d'être relevé peut être dit également de l'écrit et de la parole : le choix d'une scène, l'insistance surun événement.

A cela s'ajoutent les termes discrètement dépréciatifs ou laudatifs qui portent un jugement devaleur, sans que celui-ci soit reconnu.

L'important dans le sujet n'est pas, en effet, que l'information ne soit pastotalement objective, mais qu'elle se présente comme telle. Deuxième partie : La résistance aux déformations. a) L'image ici semble résister davantage : elle ne peut inventer ce qui n'est pas.

Au contraire, l'écrit peut êtretotalement mensonger.

Dans le premier exemple de Viansson-Ponté, il y a eu tromperie; pourtant un fait estindéniable : l'homme court.

La valeur accordée est certes différente si le champ s'élargit, mais l'action n'en demeure. »

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