Devoir de Philosophie

PLATON: Connaissance de soi et sagesse (Alcibiade)

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

platon
SOCRATE : De quelle manière pourrions-nous connaître très lucidement ce « soi-même essentiel » ? Il apparaît que si nous le savions, nous nous connaîtrions aussi nous-mêmes. Mais par les dieux, l'heureuse parole de l'inscription delphique que nous rappelions à l'instant, ne l'entendons-nous pas ? [...] Si c'était à notre regard, comme à un homme, que l'inscription s'adressât en lui donnant ce conseil : « Regarde-toi toi-même » ; comment comprendrions-nous le sens de cet avis ? Ne serait-ce pas destiner l'oeil à porter son regard sur un objet dans lequel il se verrait lui-même ? ALCIBIADE : C'est clair. SOCRATE : Demandons donc quel est, parmi les objets, celui sur lequel il faut diriger notre regard pour voir en même temps cet objet et nous-mêmes ? ALCIBIADE : À l'évidence, Socrate, un miroir ou un objet du même type ? SOCRATE : C'est juste. Mais l'oeil, moyen de notre vision, ne renferme-t-il pas quelque chose semblable à un miroir ? ALCIBIADE : Absolument. SOCRATE : Tu as sans doute remarqué, qu'en portant son regard sur l'oeil de quelqu'un qui nous fait face, notre visage se réfléchit dans ce qu'on appelle aussi sa pupille, comme en un miroir ; celui qui porte ainsi son regard, y voit son image. ALCIBIADE : Tu dis vrai. SOCRATE : Ainsi donc, un oeil contemplant un autre oeil et dirigeant son regard sur ce qu'il y a de meilleur en lui, c'est-à-dire vers cette pupille qui est le moyen de sa vision, peut ainsi se voir lui-même. ALCIBIADE : Évidemment. SOCRATE : Mais s'il venait à jeter son regard sur quelque autre partie du corps de l'homme, ou sur quelque autre objet, sauf celui auquel l'oeil se trouve être semblable il ne se verrait ement lui-même. ALCIBIADE : Tu dis vrai. SOCRATE : Il en résulte que si l'oeil veut se voir lui-même, c'est sur un oeil qu'il doit porter son regard et sur cette partie de l'oeil où se trouve sa capacité propre, c'est-à-dire, je pense, la vision ? ALCIBIADE : C'est bien cela. SOCRATE : Eh bien, cher Alcibiade, l'âme à son tour, si elle veut se connaître elle-même, n'est-ce pas vers une âme qu'elle doit regarder et surtout vers cette partie de l'âme en laquelle réside la capacité propre d'une âme, la sagesse, ou encore vers telle autre partie qui lui est semblable ? ALCIBIADE : C'est bien mon sentiment, Socrate. SOCRATE : Or, sommes-nous à même de dire qu'il y ait dans l'âme quelque réalité plus divine que celle qui se rattache à la connaissance et à la pensée ? ALCIBIADE : Nous n'en sommes pas capables. SOCRATE : C'est donc au Divin que ressemble cette capacité de l'âme, et quand on jette le regard vers elle et que l'on reconnaît tout ce qu'elle a de divin, Dieu et la pensée, c'est alors qu'on est bien prêt de se connaître parfaitement soi-même. ALCIBIADE : Sans aucun doute. SOCRATE : Sans doute, parce que, comme les miroirs sont plus clairs, plus purs et plus éclatants de lumière que le miroir de l'oeil, de même Dieu se trouve être aussi plus pur et plus éclatant de lumière que ce qu'il y a de meilleur en notre âme. ALCIBIADE : Il semble bien que oui, Socrate. SOCRATE : C'est donc en dirigeant nos regards vers Dieu, que nous userions, selon la capacité de l'âme, du plus beau miroir des choses humaines ; et c'est ainsi que nous pourrions le mieux nous voir et nous connaître nous-mêmes. ALCIBIADE : Oui [...] SOCRATE : Or se connaître soi-même, ne convenons-nous pas que c'est là ce qui constitue la sagesse  ? ALCIBIADE : Parfaitement. [...]PLATON

« Connais-toi toi-même « : c’est cette formule dont il est allusivement question au début du texte qui est l’enjeu de la discussion entre Socrate et Alcibiade. En effet, tout leur échange tourne autour des moyens adéquats de la connaissance de soi même. Celle-ci n’est pas recherchée pour des motifs intrinsèques, elle n’est pas une fin en soi (se connaître soi même par narcissisme, ou par un désir absolutisé de connaissance) mais le moyen d’autre chose qu’elle-même, à savoir la sagesse. Si Socrate recherche les moyens appropriés de la connaissance de soi, c’est bien pour obtenir cette qualité de l’esprit qui consiste en une disposition singulière aux évènements de l’existence, où l’acceptation de la nécessité voisine avec une compréhension des causes véritables des actions humaines. En ce sens, l’interlocuteur de Socrate est particulièrement bien choisi, puisque Alcibiade, personnage historique, est l’homme que Timon d’Athènes a félicité pour son ambition démesurée, ambition destinée à faire le malheur de ses concitoyens : c'est-à-dire un homme aux passions tumultueuses, bien éloigné de la sagesse.

Le problème au cœur de ce texte que nous analyserons sera de savoir par quels moyens adéquats l’homme peut parvenir à la connaissance de lui-même, et dans quel but.

Nous suivrons l’argumentation en deux temps de ce passage : tout d’abord, nous étudierons la valeur et les enjeux de l’analogie du « connais-toi toi-même « avec la perception visuelle. Puis nous verrons en quoi consiste la connaissance adéquate de soi-même, ses valeurs et ses enjeux.

 

platon

« regard, comme à un homme, que l'inscription s'adressât en lui donnant ce conseil : « Regarde-toi toi-même » ;comment comprendrions-nous le sens de cet avis ? Ne serait-ce pas destiner l'œil à porter son regard sur un objetdans lequel il se verrait lui-même ? ALCIBIADE : C'est clair.

SOCRATE : Demandons donc quel est, parmi les objets,celui sur lequel il faut diriger notre regard pour voir en même temps cet objet et nous-mêmes ? ALCIBIADE : Àl'évidence, Socrate, un miroir ou un objet du même type ? SOCRATE : C'est juste.

Mais l'œil, moyen de notre vision,ne renferme-t-il pas quelque chose semblable à un miroir ? ALCIBIADE : Absolument ».

Il faut bien remarquer que,ici, Socrate prépare une distinction qui lui sera utile dans la suite du passage : une distinction entre le moyen de laconnaissance de soi même, et la caractéristique principale de ce moyen pour parvenir à la connaissance de soi.

Eneffet, avec l'analogie de la perception visuelle, Socrate montre que l'œil se connait lui-même au moyen d'un miroir.La suite du texte complète la métaphore : « SOCRATE : Tu as sans doute remarqué, qu'en portant son regard surl'œil de quelqu'un qui nous fait face, notre visage se réfléchit dans ce qu'on appelle aussi sa pupille, comme en unmiroir ; celui qui porte ainsi son regard, y voit son image.

ALCIBIADE : Tu dis vrai.

SOCRATE : Ainsi donc, un œilcontemplant un autre œil et dirigeant son regard sur ce qu'il y a de meilleur en lui, c'est-à-dire vers cette pupille quiest le moyen de sa vision, peut ainsi se voir lui-même.

ALCIBIADE : Évidemment.

SOCRATE : Mais s'il venait à jeterson regard sur quelque autre partie du corps de l'homme, ou sur quelque autre objet, sauf celui auquel l'œil setrouve être semblable il ne se verrait nullement lui-même ».

Nous devons en effet remarquer que dans son analogiede la connaissance de soi et de la perception visuelle, Socrate distingue une partie adéquate pour que l'œil seconnaisse lui-même : à savoir la pupille.

De même que la perception visuelle doit choisir une cible adéquate pour quel'œil se voie lui-même (la pupille, et non un corps opaque quelconque) l'âme devra choisir une qualité singulière del'âme pour se connaître elle-même.

Cette précision, loin d'être gratuite, prépare au contraire l'argumentation dusecond mouvement du texte.

Le premier s'achève sur une sorte de récapitulatif énoncé par Socrate à propos de laperception visuelle : « Il en résulte que si l'œil veut se voir lui-même, c'est sur un œil qu'il doit porter son regard etsur cette partie de l'œil où se trouve sa capacité propre, c'est-à-dire, je pense, la vision ? ».

Métaphoriquement,Socrate énonce deux critères de la connaissance de soi même : la connaissance de soi même est un effort réflexif(semblable à l'œil qui a besoin d'un autre œil pour se voir, l'âme, nous le verrons, requiert une autre âme pour seconnaître) et un effort ciblé (de même que l'œil doit se tourner vers la pupille, l'âme doit se tourner vers le divin).

II.

En quoi consiste la connaissance adéquate de soi-même, ses valeurs et ses enjeux ? Il faut lire le second mouvement du texte comme l'exact symétrique du premier : en effet, Socrate nous y livre laclef de son analogie de la perception visuelle et de la connaissance de soi.

« Eh bien, cher Alcibiade, l'âme à sontour, si elle veut se connaître elle-même, n'est-ce pas vers une âme qu'elle doit regarder et surtout vers cettepartie de l'âme en laquelle réside la capacité propre d'une âme, la sagesse, ou encore vers telle autre partie qui luiest semblable ? ALCIBIADE : C'est bien mon sentiment, Socrate.

SOCRATE : Or, sommes-nous à même de dire qu'il yait dans l'âme quelque réalité plus divine que celle qui se rattache à la connaissance et à la pensée ? ALCIBIADE :Nous n'en sommes pas capables ».

Nous comprenons à présent que, de même que l'œil doit se tourner vers un autreœil et une partie précise de sa surface (la pupille) l'âme doit faire de même pour se connaître : c'est-à-dire setourner vers une autre âme et sa capacité la plus propre (c'est-à-dire, celle qui la définit le mieux intrinsèquementet relativement à toutes les autres choses, qui elles ne disposent pas de cette capacité) si elle veut se connaître.Tout le reste du texte énonce un mouvement de particularisation : vers quelle âme, et quelle particularité de cetteâme, l'âme d'un individu doit se tourner dans un effort réflexif pour se connaître ? Socrate affirme que cette réalitéintrinsèque à l'âme, la réalité la plus divine vers laquelle elle doit se tourner, est la connaissance et la pensée, c'est-à-dire les facultés intellectives de l'individu.

Cependant, ce ne sont pas vers ces facultés que l'âme doit se tournerdéfinitivement, mais vers Dieu lui-même, comme le montre la suite du passage : « C'est donc au Divin que ressemblecette capacité de l'âme, et quand on jette le regard vers elle et que l'on reconnaît tout ce qu'elle a de divin, Dieu etla pensée, c'est alors qu'on est bien prêt de se connaître parfaitement soi-même.

ALCIBIADE : Sans aucun doute.SOCRATE : Sans doute, parce que, comme les miroirs sont plus clairs, plus purs et plus éclatants de lumière que lemiroir de l'œil, de même Dieu se trouve être aussi plus pur et plus éclatant de lumière que ce qu'il y a de meilleur ennotre âme ».

Avec ce passage, nous arrivons au terme de l'argumentation et aux ultimes conséquences de l'analogieavec la perception visuelle.

En effet, Socrate affirme que l'objet vers lequel une âme doit se tourner en définitivepour se connaître est le Divin, et ce, parce que les facultés propres de l'âme (la connaissance et la pensée) sontdes images du divin lui-même.

Dans le cas de la perception visuelle, nous pouvions tracer ce schéma :Œil un autre œil (pupille, en tant que faculté propre de l'œil)Dans le cas de l'âme, le chemin vers la connaissance de soi est plus complexe, médiatisé qu'il est par une autre âmedans le trajet vers le divin :Âme une autre âme (connaissance et pensée, en tant que faculté propre de l'âme)Divin (en tant que la connaissance et la pensée sont l'image du divin).La fin du texte présente un nouveau récapitulatif, parallèle à celui de la perception visuelle, qui précède l'explicationdes enjeux de la connaissance de soi même : « Il semble bien que oui, Socrate.

SOCRATE : C'est donc en dirigeantnos regards vers Dieu, que nous userions, selon la capacité de l'âme, du plus beau miroir des choses humaines ; etc'est ainsi que nous pourrions le mieux nous voir et nous connaître nous-mêmes.

ALCIBIADE : Oui [...] SOCRATE : Orse connaître soi-même, ne convenons-nous pas que c'est là ce qui constitue la sagesse ? ALCIBIADE :Parfaitement.

[...] ».

Pour se connaître soi même, l'âme doit se tourner vers le divin, car les facultés propres del'âme humaine (connaissance et pensée) sont l'image du divin lui-même.

L'enjeu de cette démarche de connaissancen'est autre que la sagesse, ou, pour le dire d'une manière plus exacte, la sagesse se confond avec la connaissancede soi même.Conclusion :Dans ce texte, Socrate passe par le détour d'une analogie entre la perception visuelle et la connaissance de soimême pour définir les moyens adéquats de cette dernière : de même que l'œil a besoin d'un autre œil, et plus. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles