Les poètes maudits
Publié le 15/07/2011
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Qui étaient les poètes maudits ? Baudelaire, Rimbaud, Verlaine.
Vie marginale, procès, condamnation... Mais surtout l'invention de la modernité.
«
l'habitude d'effacer inquiétudesetchagrins dans la boisson. Cette tendance ne fera que s'accentueret occasionnera de fréquents accès
deviolence meurtrière contre ses proches- ainsi, en1869, sous
l'emprisede l'alcool, il tente à plusieurs reprises de tuer sa mère.Verlaine fréquente les cercles littéraires parisiens, notamment les poètesparnassiens qui se retrouventdanslesalon mondain de Nina de Villard. Ses deux premiers recueils révèlent une âmetourmentée, hantéepar toutes sortes de fantômes.
OmbresLesPoèmes saturniens (1866) explorent
un sentiment que Baudelaireaurait
nommé « spleen » : une quarantaine
decompositions, répartiesen
quatre séquences («Melancholia »,
« Eaux-fortes », « Paysages tristes», « Caprices») encadrées d'un prologueet d'un épilogue, et placéessous le
signede Saturne, planète crépusculaire
et vénéneuse.
Touty est teinté d'une
couleursombre, parfois
morbide, qui suscite des sentiments detrouble, delassitude, voired'angoisse, adoucis par lamusicalité de la voix naissante
et déjà singulièredu poète, comme
dans la « Chanson d'automne » : «Lessanglotslongs Des violons Del'automneBlessent mon cœur D'une langueur monotone.
» j m LesFêtes •jsjL *galantes(1869)
déploient en
vingt poèmesundécorapparemmentplus séduisant,
où régnent les
plaisirsde la
fête etdes sens. En réalité, le décor tient surtoutdumirage :Verlaine rêve un paysageà la manière des peintres du xvm" siècle Watteau ou Fragonard, etles personnagesqui le hantentsont moins des êtres incarnés que d'étrangesfantômessurgissantdelacomédie italienne (Pierrot,Colombine,Scaramouche) ou de vieilles pastorales françaises (les plaintifs bergers Tircis ouClitandre, lesvolages Aminte ou Chloris). Ce qui s'annonçait comme
une rêverie musicale («Votreâme est
un paysage choisi/Que vont charmantmasques et bergamasques/Jouantdu luth,et dansant, et quasi/Tristes sous leurs déguisements fantasques ») finit par se dissiper dans la solitude
glacée d'un vieux parc que hantent
deux spectres nostalgiques.
Lumières :mariage, apaisement En juin 1869, Verlaine rencontre la jeune Mathilde Mauté deFeurville, seulement âgée de seize ans, dontils'éprend sur-le-champ. Lemariage est célébré un an plus tard.
Cetteunion marque une embellie dans
la vie du poète, un moment de
sérénité dont témoigne le recueil
LaBonne Chanson (1870). Ses vingt
et un textes sont l'offrande nuptiale
de Verlaine à la femme aimée inspiratrice, dont la présencesolaire et quasisaintecrée une atmosphère de bonheur, de suavité et d'harmonie:« Un vaste ettendre ApaisementSemble descendre DufirmamentQuel'astre irise...C'est l'heure exquise.
»
Rimbaud :ducoup defoudre aucoup defeu Enseptembre 1871, Verlaine reçoitdeux
lettresd'un jeune Ardennais, Arthur Rimbaud, accompagnées de poèmes.
Il l'invite aussitôt à Paris, où l'adolescents'installequelque temps chez le jeuneménage. L'ambiance sedétériore vite. Verlaine s'emporte, menace sa femme, déserte le domicile conjugal. Enavril 1874, unjugement deséparation de corps sera prononcé. Arraché à la paix
du ménage, Verlaine vitdeux ans
de vagabondagespassionnés avec Rimbaud. Lesdeux poètes, partagés entre leur désir de liberté, leur soifde poésie et d'écriture,leur goût dela bohème, ne cessent de se quereller,se quittant pour se retrouver, au gréde leurspérégrinations (Belgique, Angleterre...).
Durant l'été 1873, à Bruxelles, Verlaine blesselégèrement Rimbaudd'un coup de revolver; sonattitude menaçante conduit à sonincarcération et à sa condamnation à deux ans de prison.
Ilest enfermé
à Mons jusqu'en janvier 1875. Lesvingt-trois poèmes des Romances sans paroles (1874) sont marqués par
la rencontre et le compagnonnage
avec Rimbaud Lestrois ,.-,séquences («Ariettes 'fï? oubliées », « Paysages
fbe|ses». 1.' ; ; k « Aquarelles »,
^•âi ~^ïf avec unp°ème isolé « Birds in thenight») dessinentl'errance inquiète d'une sensibilitémenacée parl'égarement, l'échec, l'incohérence.L'accent est mis sur ce qui est
transitoire, bouge, s'échappe ; l'âme s'épanche, douloureuse
mais sans éclats de voix : « Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville. Quelle est cette langueurQui pénètre mon cœur ? »
Après Rimbaud Verlaine rencontre une dernière fois Rimbaud àStuttgart, en1875. Il tente
de le convertir à la foi catholique avec laquelle il a renoué durant son
emprisonnement.
Puis il va mener
une existence d'enseignantentre l'Angleterre etRethel, enBelgique. La conversion religieuseet morales'exprimedans le dernier des grandsrecueils poétiques: Sagesse (1880).
Leclimat y est apaisé,chargé d'images contemplatives et de références mystiques:
« La mer est plus belle
Que les cathédrales,Nourrice fidèle,
Berceuses de râles,
Lamer sur qui prie
LaVierge Marie ! » Revenu en 1885 à Paris, Verlaineentame une fin de vie assez chaotique :ilmultiplie leslongues hospitalisations, lesdébauches et les soûleries avec des amants de passageou avecles deuxfemmes entre lesquellesilse partage,
Philomène Boudin etEugénie Krantz. Curieusement, c'est au moment où ildéfinitle mieuxson art poétique et ceque, pour schématiser, on nommera son « impressionnisme » quel'inspiration devient plus inégale : « De la musique avant toute chose,Etpour cela préfère l'Impair, Plus vague et plus soluble dans l'air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
»Lesrecueils des années 1880-1890 (Jadis et Naguère, 1884; Amour, 1888; Parallèlement, 1889;Bonheur etChansons pour Elle, 1891) traduisent unaffaiblissement de la puissance
créatrice.Cependant, les dernières
années sont une consécration : en 1893, Verlaine multiplie lesconférences, connaît une certaine gloire, pose sa candidature à l'Académiefrançaise...Enaoût 1894, il est élu par ses pairs « princedes poètes ». Enoctobre 1895, il rédigela Préface des Poésies complètes d'Arthur Rimbaud. Une congestion pulmonaire l'emporte
le 8 janvier 1896.
ARTHUR RIMBAUD
Enfance ArthurRimbaudnaît en octobre 1854
à Charleville-
Mézières.
Son père estcapitained'infanterie,samère vient d'un milieu de propriétairesruraux.
Entréau collègede Charleville en1865, Arthur sesignale par des dons littéraires et une maturité d'esprit exceptionnels.
En 1869, un journal
scolaire publie trois de ses textes
composés en vers latins.
En mai 1870,il est couronné de prix(latin,grec,histoire...). Mais, derrièrel'apparence du brillant« premier de la classe », il y a le Rimbaud plus secret - rebelle, solitaire, fugueur.
Premiers pas poétiques d'un propice Sous l'influence de son jeune
professeur Georges Izambard, Rimbaud litRabelais, Victor Hugo, les poètes
parnassiens - il admire Gautier,
Leconte deLisle etBanville, à qui il adresse, en mai 1870, trois poèmes, dont «Sensation » : « Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les [sentiers, Picoté par les blés,foulerl'herbe menue : Rêveur, j'en sentirai la fraîcheurà mes [pieds. Jelaisserai le vent baigner ma tête nue.
» Lespoèmesde 1870, lavingtaine de piècesdu Recueil Demeny où figurent les célèbres sonnets
«LeDormeur duval » et « Ma bohème », montrentpar-delàlesinfluencesune grande virtuosité, un sens aigu de l'ironie, de la parodie grinçante et de la provocation. Lespremiersessais poétiquescoïncident avec les premièresfugues : à la fin du mois d'août, Arthur s'enfuità Paris ; en octobre, ilfugue à nouveau,vers laBelgique ; sa troisième escapade en février-mars 1871 le reconduit à Paris.
Le« Voyant » En mai 1871, Rimbaud adresse à Izambard et à Demeny deux lettres,
dites « lettres du Voyant », où il expose avec une virulence étonnante ses principes esthétiqueset sa méthode créative : « Je veux être poète, et jetravailleà me rendre voyant : vousnecomprendrez pas du tout, et je ne
saurais presque vous expliquer. Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglementdetous les sens.
Lessouffrances sont énormes, mais il faut être fort, être népoète, et je me suis reconnu poète.
»Cette volonté de vivrel'écriture comme aventureextrêmetransparaît dansLeBateau ivre, dernier poème écrit
à Charleville avant le départ pour Paris, en septembre 1871. L'accueil que lui réservel'entouragede Verlaine est enthousiaste et consacre le poète adolescent.
Uni saison inenfer Ecrit durant l'été 1873 et publiéen
octobre par les soins deRimbaud, cerécit-poème témoignedu lien,
autant spirituel que charnel,avec Verlaine - la parole lui est donnée
dans la séquence intitulée «Délires I. Vierge folle ».
Lecaractère halluciné du récit, la frénésie incantatoiredu ton confèrentà ce livre, pastichant constamment letexte des Évangiles, un caractère à la fois païen et sacré,
sans équivalent dans la littérature
française.
LesIiwminationsC'est Verlaine qui, en 1886,prit en charge la publication de ce recueil (titre comme composition).
On supposeque les textes- des poèmes en prose-ont étéécrits entre 1872 et 1874. Illuminations est un titre ambigu.
Il a le sens anglais de « gravures
colorées », « enluminures » : les textesfont largement appel au principe du
tableau (cadres urbains de « Villes I », « Villes II», « Ponts », « Ouvriers » ;décors naturels de « Marine », « Aube »,
« Promontoire »).
Mais, en français,
le mot est chargé d'abstractionetdereligiosité :l'illumination est aussi
une lumière jaillissantbrutalement
dans l'esprit. Rimbaud levoyant, levisionnaire, s'efforce de créer par la seule puissance du verbe un monde singulier, inouï, avecses paysages, sespeuples, sesmouvements. Mais cesont làdes visions aussi éclatantes qu'instables et fugaces.
Le chaos,
la fragmentation menacent, et nous
voici placésdans un fragile équilibre
entre des mondes qui s'effondrent
et des architectures somptueusement
artificielles, chargéesdes images
glanées lors des séjours à Londres oudes traversées maritimes.
Rimbaud après Rimbaud Apartir de1875, Rimbaud, quia atteint lamajorité civile, sedésintéresse de la littérature pour tenter l'aventure : il devient celui que Verlaine surnomme «l'homme auxsemelles de vent ».
En 1876, ils'engagedans l'armée coloniale hollandaise, rejoint Batavia avant de déserter, quelques semaines plustard, et derentrer en France à bord d'unvoilier anglais. En1877, ilvoyage en Allemagne et en Scandinavie avant
de réaliserson rêve - gagnerl'Orient :
il part pour Alexandrie en1878 et séjourne àChypre. Malade, ilrevient en Franceen 1879pour repartir l'annéesuivanteà Chypre, où il dirigeun chantier de construction.
Puis ce sont Alexandrie et les ports de la mer Rouge. Engagé comme agentd'une maison faisant le commerce de peaux et de
café, Rimbaud prend en charge la succursale deHarar, enEthiopie. C'est dans cette région qu'il faitdésormais carrière, agissant comme marchand d'armes (1885) puisfondantsa propre
agence commerciale (1888). Il rentre en France au printemps 1891 pour se faire soigner une jambe, à Marseille ;
amputé, souffrant d'un cancer généralisé, il meurtle 10 novembre.
POETES ETMUSICIENS
Des compositeurs importants de la fin duxix*siècle et du xx"siècle ont été tentés de mettre en musique destextesde nos trois « poètes maudits ». Baudelairea inspiré à Henri Duparc(1848-1933) deux mélodies qui comptent parmi les chefs-d'œuvrede lamusiquepour voix et piano : L'Invitation auvoyage(1870) et La Vie antérieure (1876). Claude Debussy (mi ma) a restitué
avec un pareil
bonheur ses iimpressionsdelecture des Fleurs du mal, retenant cinq poèmes : « Le Balcon », « Harmonie du soir »,« Le Jet d'eau », « Recueillement» et« La Mort des amants » (1887-1889). Lemême Debussy a puisé à plusieurs repriseschez Verlaine, dans Fêtes galantes, dont il retient cinqpoèmes (1882-1904),et dans Romances sans paroles,où il choisitsix « Ariettes oubliées ».
Maisle plus fidèle à Verlaine est Gabriel Fauré (1845-1924), qui
commence par mettre en musique
«Clair de lune » (1887), puis compose deux grands cycles, Cing Mélodies de Venise (1891, op.
58), extraites desFêtes galantes, puis La Bonne Chanson (1895,op.
61 ; neuf poèmes ont été
retenus).
Autre compositeurque
Verlaine inspire, Reynaldo Hahn (1875-1947) : après avoir composésur deux poèmes isolés («Mandoline » et « D'une prison »), il écrit en 1893 un cyclede sept mélodies sur des textes de Verlaine, qu'il intitule Chansons grises. Rimbaud s'est révélé plus « rebelle» à la
mise en musique.La plus belle réussite revient à l'Anglais Benjamin Britten (1913-1976). Àpartir dedixpoèmes en prose des Illuminations (1939, op.18), il élabore une somptueuse partition pour voix élevée (sopranoou ténor) etorchestre à cordes..
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