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Pouvons-nous dire ce que nous voulons dire ?

Publié le 26/07/2009

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Nous avons tous déjà éprouvé l'indicible. Seul ou face à autrui, trouver ses mots n'est pas toujours facile… Et les malentendus abondent tandis que les mots semblent fuir. Cela implique-t-il qu'il est impossible de tout dire ? Pouvons-nous dire ce que nous voulons dire ? A priori oui, puisque notre langage est infini, puisque notre pensée est faite de mots et est structurée par eux. Comment justifier alors toutes ces situations où l'ineffable s'impose, où je ne peux dire ce qui me vient à l'esprit, où l'ineffable intervient dans notre communication ? Il faut donc admettre dans un deuxième temps qu'il existe des choses que l'on ne peut dire, limité que nous sommes par nos mots, notre entourage ou nous-même, car certaines sensations ou descriptions échappent à notre langage. Mais faut-il pour autant nous croire condamnés à manquer de mots ? Ne pouvons nous pas envisager qu'il existe des moyens permettant de dire ce que nous voulons dire ?

 

Dans un premier temps, le langage que nous utilisons semble nous permettre de dire tout ce que nous voulons dire. En effet, il est infini, il forme est structure mes pensées, ce qui ferait a priori de l'ineffable un impossible.

« condamnés à voir le monde » explique G.

Mounin dans son ouvrage Clefs pur la linguistique .

Ainsi, mes rapports avec autrui et le monde, mes idées et mes perceptions, sont conditionnés par la langue que je parle.

Si je parle français,chinois ou arabe, ma vision du monde variera considérablement car « nous pensons un univers que notre langue ad'abord modelé » comme le veut Emile Benveniste.

C'est à travers les mots que se structure la perception du mondedans lequel nous vivons.

Nous pouvons alors tout dire puisque tout est, pour nous, justement cette conception dumonde qui est impliquée dans une langue.

Ainsi, tout ce que je perçois, je crois, je veux, m'apparaît avec lepenchant de ma langue, sa vision, son analyse.

Car, « les limites de mon langage signifient les limites de monmonde » proclame Ludwig Wittgenstein dans Tractatus logico-philosophicus .

On pourrait y rajouter : les limites de ce que je veux dire car ce sont les limites de ce que je peux dire.

Je suis donc ce que ma langue me fait être.

Jepense donc ce que ma langue me laisse penser, et je ne chercherais pas à dire ce que ma langue ne me permet pasde dire, car si elle ne me permet pas de le dire, alors elle ne me permet pratiquement pas d'y penser.

Ainsi, on peut,en théorie, dire tout ce que nous voulons dire.

Mais, est-ce réellement et pratiquement le cas ? Comment expliquerles expériences de l'indicible que nous avons tous déjà éprouvé ? Il faut bien envisager que certaines « choses » ne sauraient être dites.

Quelles sont donc les limites concrètes dulangage ? D'une part, le langage ne parvient jamais à décrire le réel, à le dire.

Premièrement, le réel est l'innommable car il estsingularité pure.

Ainsi, le langage tente toujours de décrire un réel qui lui échappe.

Et, même s'il parvenait à ledécrire vraiment, c'est-à-dire si chaque chose portait un mot spécifique puisque aucune chose n'est vraimentidentique à une autre, alors il y aurait tant de noms propres, un pour chaque arbre, chaque pierre, chaque feuille,que l'on ne pourrait plus se comprendre.

Le langage perdrait alors sa fonction : celle de nous permettre decommuniquer.

Le langage est donc, par définition, infidèle au réel, comme le soutient Henri Bergson.

Nietzsche est,lui aussi, très critique vers le langage, et l'attaque sur sa généralité.

Ainsi, ce que nous appelons identique n'est enréalité que ressemblance.

Notre langage est donc myope, car il voit le contour des choses, mais ne s'attarde par surle détail.

De même, le langage oublie la spécificité de chaque être, de chaque chose, car « c'est l'omission del'individuel et du réel » dit Nietzsche dans Le Livre du philosophe .

Bergson, quant à lui, affirme dans Le Rire que « le mot […] ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect le plus banal ».

Le langage ne peutdonc plus nous servir pour dire le réel, pour décrire totalement les êtres et les choses, puisqu'il ne sait dire uneréalité qui est insaisissable, inaccessible.

Mais, si le langage est mensonger puisqu'il oublie les spécificités dechacun, il l'est aussi à l'endroit du réel quand il oublie qu'il n'existe pas de coupure nette dans la nature, par rapportà certains concepts, comme par exemple les parfums, les sonorités ou encore les couleurs.

Ainsi, il n'existe pas dedistinction réelle et naturelle entre deux couleurs, mais tout un dégradé de couleurs qui mène de l'une vers l'autre,en passant par une infinité de couleurs.

Or, nous ne possédons qu'un nombre fini de mots désignant les couleursalors que la réalité, elle, est infinie : elle est continue.

En effet, nous traitons les couleurs comme si elles étaientune réalité homogène, alors qu'il ne s'agit en réalité que d'un dégradé continu.

Ainsi, nous ne savons dire vraimentles couleurs, ni les odeurs, ni les sons.

Témoins du réel, combien de fois sommes nous incapable de le décrire ? D'autre part, le langage est théoriquement efficace quand il s'agit de dire des pensées, mais en est-il de même avecles perceptions ? Comment dire ce qui n'est pas rationnel ? Comment traduire à un interlocuteur externe tous lesmouvements internes qui m'habitent ? Quotidiennement, il est assez difficile de dire vraiment ce que nousressentons.

Nous sommes habitués à dire des pensées, des idées, des concepts rationnels, mais au moment dedécrire une sensation plus intime, toute verbalisation se complique.

Pour Bergson, par exemple, les mots sontinaptes à exprimer l'authentique richesse spirituelle.

Aussi les mots traduisent-ils très imparfaitement la vraie vie del'âme.

Les paroles sont, sans doute, un instrument efficace et pratique dans la vie quotidienne, mais elles nepeuvent représenter pleinement la vie intérieure, durée pure, réalité concrète et fluide.

Ainsi, « il y a assurément del'inexprimable.

Celui-ci se montre, il est l'élément mystique » soutient Ludwig Wittgenstein.

Par ailleurs, il y aurait,pour Bergson, un au-delà du langage, un ineffable objet d'intuition.

Et notre vraie vie spirituelle serait de cettefaçon déformée par les mots.

Ainsi, expliquer sa foi, son espoir, ses croyances, ses intuitions, est quasimentimpossible car le langage récuse la singularité pour donner une ‘ vue d'ensemble '.

Les mots sont généraux,universels, communs.

Nos sensations et sentiments, bien au contraire, sont personnels, intimes, singuliers.

Il n'yaurait donc pas de mots pour les décrire.

On pourrait alors tous en inventer pour dire ce que l'on ressent, mais,puisqu'on ne sait pleinement les expliquer, les néologismes crées, eux-mêmes, n'auront pas de sens.

A ce propos,Nietzsche dire, dans le Crépuscule des idoles , que « le langage semble-t-il n'a été inventé que pour les choses médiocres, moyennes, communicables ».

Tout ce qui est plus complexe, plus intime, plus élaboré, devient ainsiintraductible en mots.

Le poète Victor Hugo lui-même proclame que « les mots manquent aux émotions ».

Car lasensation d'amour que nous sentons est-elle vraiment traduite par la phrase « je t'aime » ? Pas vraiment, non.

Laphrase semble figer l'émotion, tandis que celle-ci est en réalité´ E un mouvement, une agitation de la vie interne. Mais, outre les limites linguistiques du langage, d'autres limites s'imposent, plus pratiques.

Premièrement, lescontraintes sociales peuvent nous empêcher de dire ce que nous voulons dire.

Ainsi, il existe certaines règlessociales, morales ou éthiques face auxquelles on ne sait comment s'exprimer totalement.

Ethiquement, certainesfonctions sociales peuvent nous limiter : le prêtre ne peut révéler ce qui lui a été confié au sein d'une confession ;le médecin ou le juge doivent eux aussi garder un silence professionnel.

De cette façon, la cohésion sociale estbâtie sur certains silences, certains tabous, et nous ne pourrions dire tout ce que nous voulons dire si nous nous. »

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