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On présente ordinairement Leconte de Lisle comme le poète du pessimisme. Qu'en pensez-vous ?

Publié le 23/02/2010

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de lisle

Poète du pessimisme peut-être, poète intellectuel en tout cas : Leconte de Lisle, en effet, prétend nourrir d'idées sa poésie. « Toute vraie et haute poésie contient une philosophie, quelle qu'elle soit, aspiration, espérance, foi, certitude — ou renoncement réfléchi et définitif au sentiment de notre identité survivant à l'existence terrestre. «

 

  • I. - LE PHILOSOPHE : PESSIMISME

1. Dans les Poèmes Barbares comme dans les Poèmes Antiques Leconte de Lisle montre que le Mal est universel et éternel, qu'il tient à l'essence même de l'univers (cf. Bha-gavat, aux sonorités pascaliennes). Ce Mal ne peut disparaître qu'en même temps que le monde :

« Et les lâches heureux et les races damnées Entendront une voix disant : Satan est mort. Et ce sera ta fin, Œuvre des six Journées. « (La tristesse du diable, P. B.)

L'homme, en proie à une exigence d'éternité, est voué cependant à l'éphémère. Cette contradiction entre la vocation humaine et la situation humaine est exprimée par les plaintes d'Angira, le troisième Sage de Bhagavat. A ces faillites incessantes de l'idéal, à cette misère de l'homme aucun remède. La nation dépasse trop l'homme pour qu'il puisse se réfugier en elle (La Fontaine aux lianes) ; l'amour est une source de déceptions et de souffrances sans cesse renouvelées. Si le poète célèbre parfois la volupté, il considère l'amour comme une fatalité humiliante et souhaite que l'homme l'arrache de son cœur.

 

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« le culte de l'or et la corruption qu'il entraîne, dans Anathème et surtout Aux Modernes.

On a même vu dans certainspoèmes des allusions plus précises : Massacre de Mona ne concerne-t-il pas les démocrates réfugiés en Angleterreaprès le coup d'Etat, et Nurmahal les traîtres à la République qui « collaboraient » avec Napoléon III ? Il chante laLiberté et la Justice, soif généralement, soif d'une façon concrète en se référant à des événements contemporainscomme dans A l'Italie et Soir d'une Bataille : « Ils sont morts, Liberté, ces braves, en ton nom, Béni soit le sang pur qui fume vers ta gloire.» 2.

La présence surprenante de cet optimisme social et politique dans des œuvres que caractérise leur pessimismephilosophique trouve son explication dans deux phrases d'une lettre à Louis Ménard exilé à Londres, écrite aprèsl'échec de 1848 : « Je ne saurais t'exprimer foute la rage qui me brûle le cœur en assistant dans mon impuissance àcet égorgement de la République, qui a été le rêve sacré de toute notre vie...

Le jour où tu auras fait une belleœuvre d'art, tu auras plus prouvé ton amour de la Justice et du Droit qu'en écrivant vingt volumes d'économie.

»Cela indique clairement que, dans la perspective révolutionnaire de Leconte de Lisle, l'Art prend la place de l'Actionet en assure la relève.

Puisque le triomphe du Second Empire empêche désormais de réaliser la République, l'Art, plusfort que la Mort et que le Néant, va la chanter : « Mais la beauté flamboie, et tout renaît en elle Et les mondes encore roulent sous ses pieds blancs.

» (Hypathie, P.A). L'Art devient donc pour le poète un refuge et un alibi.

Pour oublier sa déception de la révolution manquée, il va peindre des époques heureuses : pour lui, comme pour Ménard, le polythéisme antique devient l'image même de ladémocratie et de la liberté.

En se réfugiant ainsi dans les mondes heureux du passé il fait figure de proscrit chantantune patrie perdue.

D'autre part, la poursuite d'une poésie impassible et savante servira d'alibi à sa critique sévère,et souvent violente, de la civilisation bourgeoise et à la célébration de l'idéal républicain. III.

- SIGNIFICATION ET LIMITES DE CE PESSIMISME On ne peut donc parler à propos de Leconte de Lisle de pessimisme sinistre et définitif, pas plus certes qued'optimisme béat.

Son « pessimisme » est orienté, il a une signification positive : le néant du monde, c'est surtoutcelui du monde capitaliste moderne et du Second Empire très chrétien, le néant de l'homme, c'est l'abjection de lasociété bourgeoise et la faiblesse stupide du peuple qui a perdu par sa faute la Révolution de 1848.

Ce pessimisme-là n'est donc pas caractérisé par une perte d'idéal, mais seulement par un transfert d'idéal : optimisme à rebours, ilplace l'avenir rêvé dans le passé, et devient ainsi une forme de l'esprit de résistance à l'Empire. Ce pessimisme orienté et positif connaît cependant des limites car Leconte de Lisle n'est pas un véritable penseur :il n'en a ni le détachement, ni l'esprit logique.

Ses idées ne sont pas personnelles, elles paraissent souvent sansoriginalité, et il les doit, pour beaucoup, à l'influence de Ménard.

Par contre, toutes ont été commandées par sesexpériences personnelles et elles ont été pour lui des valeurs de vie auxquelles il est demeuré passionnément fidèle.S'il y a en elles des contradictions, elles tiennent à l'unité même de sa personne, qui était seulement affective etnon pas logique.

Il se refuse, dit-il, à exalter son moi (cf.

les Montreurs), mais c'est pourtant ce moi qui conditionnesa poésie.

Aussi n'a-t-il pas un système cohérent, mais des impulsions et des répulsions.

Toute son œuvre passepar des hauts et des bas d'espoir en fonction de son tempérament difficile et il met souvent l'accent, avec uneinsistance morbide, sur l'aspect désespéré des conceptions philosophiques auxquelles il s'intéresse. Une remarque importante est à faire ici : les pages d'enthousiasme ou de désespoir sont, poétiquement, les plusvalables.

Certes il ne s'élève pas jusqu'aux mythes comme Victor Hugo : il n'avait pas les dimensions du génie.

Maiscertains de ses poèmes tirent une puissance singulière de leu' pittoresque horrible (force, sauvagerie, atmosphèredramatique) ou de l'éloquence de ses enthousiasmes (interrogations, exclamations, répétitions, effets de rythme).C'est qu'à ces moments-là sa poésie devient sensible, car sous le masque de l'impassibilité se cache une vie secrèteet puissante.

Peut-être fout le drame de Leconte de Lisle est-il là : il était porté vers les valeurs révolutionnairespar sa volonté, mais non par son milieu social, par sa classe.

Comme la sensibilité commandait en ce poèteimpassible, tantôt elle s'associait à sa volonté et l'enthousiasmait pour l'idéal démocratique, tantôt elle s'associait àses origines sociales et à son égocentrisme d'intellectuel, le précipitant alors dans les affres du désespoir. CONCLUSION Le contenu intellectuel des poèmes de Leconte de Lisle présente donc un caractère très particulier.

L'unique termede pessimisme ne saurait convenir pour le définir.

Dans la mesure où il est complété par certains aspects optimistes,ce pessimisme pourrait s'appeler un pessimisme engagé.

Cette épithète permettrait de le différencier du pessimismemystique de Pascal, du pessimisme philosophique de Vigny, et du pessimisme individualiste de Baudelaire.. »

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