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Promenades Philosophiques

Publié le 10/04/2011

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Apporter en physique (au sens aristotélicien) et en psychologie — c'est-à-dire partout, — l'exactitude : qualité rare. Remy de Gourmont, nous montre une fois de plus qu'il la possède. Elle est inscrite virtuellement sur toutes les pages de son nouveau Livre, 3e série de ses Promenades Philosophiques, comme elle était sur son précédent, paru également en 1909, la 3° série des Promenades littéraires.

D'autre part, ce titre « Promenades » renferme, par rapport à l'auteur, les idées de délassement, d'hygiène intellectuelle, de besoin et en même temps de plaisir ; par rapport à l'œuvre, celles de clarté, de familiarité, d'aisance. Et ces bonnes promesses sont tenues encore une fois.

La science n'a pas besoin d'être rébarbative. Cette affirmation que Remy de Gourmont aime répéter, il l'a établie expérimentalement à plusieurs reprises. Esthétique de la Langue Française, Physique de l'Amour, quelle belle littérature que cette science ! Elle vérifie le mot de Renan : « La pensée n'est complète que quand elle est arrivée à une forme irréprochable, même sous le rapport de l'harmonie et il n'y a pas d'exagération à dire qu'une phrase mal agencée correspond toujours à une pensée inexacte. » Renan, cette fois-là, pensait à la morale et à la politique. Mais avec un écrivain comme lui la règle prend un caractère général. Or, Remy de Gourmont serait plus renanien que Renan lui-même, s'il ne ressemblait pas tellement à Taine et à quelques autres qui n'ont pas beaucoup de semblables : « Je suis fâché qu'on ait tant pensé avant moi. J'ai l'air d'un reflet » dit la dernière page de son livre. Et quelques pages plus haut, après avoir écrit de Nietzsche :

« Nietzsche nous éclipse tous, nous qui avons voulu penser d'après nous-mêmes avec ingéniosité et avec contradiction. Il a pensé plus fort ; il était d'une nature plus opulente... »

Il ajoute :

« Mais qu'on n'aille pas chercher dans Nietzsche tout ce qu'il y a de nietzschéen dans notre littérature depuis dix ans, car sa grandeur est précisément que sa pensée était pensée à côté de lui-même. »

Oui, la grandeur de Renan, de Taine, de Nietzsche c'est qu'il est difficile aujourd'hui de dire une chose qu'ils n'aient point dite. Et celle de l'auteur des « Promenades » aussi. — Curieuse époque, tout de même, où ce sont les esprits les plus individuels, les plus différents qui dégagent le plus de solidarité ! On est obligé, et l'obligation est douce, de voir dans ce phénomène une preuve de l'élévation du niveau intellectuel commun. Quant au mot de Renan, il est solide, il est souple, mais il ne faudrait pas trop tirer dessus. Si certains savants nous instruisent en nous procurant, par surcroît, des jouissances esthétiques, d'autres nous instruisent, sans plus. Et cela est encore assez. Gourmont ne dit pas : la science ne doit pas être rébarbative. Il dit : la science n'a pas besoin. Un savant a le droit de mal écrire. Mais l'exemple de ce philologue et de cet ethologiste-ci est contre les gens de science, nombreux, qui persistent à penser que la recherche de l'expression nuit à l'expression de la vérité. Non seulement elle ne lui nuit pas, mais elle la sert.

Pourquoi cette distinction des Promenades en littéraires et philosophiques ? Le promeneur va toujours des mêmes pas et porte les mêmes besace et bâton. La différence est-elle dans les livres qu'il lit en marchant ? Si l'on veut. Il y a, en effet, plus de littérateurs étudiés dans la première catégorie, plus de philosophes dans la seconde. Mais l'avantage de ces six volumes, c'est qu'ils renferment autant de littérature que de philosophie et presque autant de science (au sens, bien entendu, concret). Disons presque, pour que l'on ne nous fasse pas observer que si, dans le volume actuel, il apporte autant de facilité à nous entretenir de Giard et de Lamarck qu'il en a mis dans le précédent à parler de Chateaubriand et d'Huysmans, Remy de Gourmont est tout de même plus littérateur que biologiste ou même qu'ethologiste. Mais qu'on n'exagère point la valeur de ce presque. Le vrai, c'est que — en laissant de côté ces coins de la botanique et de la zoologie, où il est savant véritable — aucun savant contemporain n'a parcouru en littérature la moitié, le quart du chemin que ce littérateur-là a fait dans le domaine scientifique.

Et je demanderai même si (hors toute question de littérature) il existe aujourd'hui quelqu'un qui sache aussi bien que lui : d'une part, exposer l'état de la science ; d'autre part, dégager de ses résultats plus de sages et utilisables réflexions. Y a-t-il, aujourd'hui, un philosophe des sciences analogue ? Vous objectez que Le Dantec, Poincaré, Le Bon existent et aussi Bonnier. A qui le dites-vous ! Mais ils philosophent surtout avec leur science. Biologie, mathématique, physique, botanique... deinde philosophari. Ils sont, par définition, orfèvres... Lisez donc les Promenades, avant de répondre.

Oui, Gourmont, c'est probablement le type accompli du philosophe des sciences. Et il a donné le modèle de la philosophie scientifique avec Une loi de constance intellectuelle (Promenades Philosophiques, 2e série). Un modèle, en tous cas, dans un genre qui n'en compte pas beaucoup, car le genre est assez nouveau et c'est le plus beau cadeau, ce genre, que nous ait fait notre temps. C'est même à se demander si l'auteur des Promenades ne l'a pas rencontré le premier. Voulez-vous que j'exprime ma pensée d'une autre façon ? Supposons qu'il vous faille mettre une préface à une encyclopédie scientifique idéale et par son caractère d'œuvre complète et par son caractère d'œuvre actuelle. Connaissez-vous quelque chose qui irait, qu'on me passe l'expression : qui « collerait » mieux qu' « Une loi de constance Intellectuelle » ? Et je soupçonne qu'elle « collera » longtemps, tant ses précautions sont bien prises. Tout est possible. Peut-être, tandis que j'écris ces lignes, un philosophe inconnu prépare une œuvre qui pourra dire à cette « Loi » : Ote-toi de là, que je m'y mette. Tout est possible et je ne veux pas pousser l'admiration plus loin qu'elle doit aller. Mais il faudra que cet usurpateur possède une rude plume, indépendamment de ses autres dons.

Le problème scientifique qui intéresse le plus et depuis le plus de temps notre philosophe, c'est celui que M. Le Dantec ne cesse lui aussi d'étudier et autour duquel lamarckiens et darwiniens se battent. Les sous-titres des combattants peuvent se modifier, leur ardeur ne fait que croître. Il y avait hier les évolutionnistes purs et les transformistes ; il y a maintenant les transformistes purs et les mutationnistes. C'est une guerre que le plus pacifiste des hommes souhaite de voir durer. Il suffit qu'il y ait un arbitre pour nous dire de temps en temps où nous en sommes. Gourmont arbitre fort bien... au dire des mutationnistes. Les autres l'accusent de jeter de l'huile sur le feu. Non content d'avoir produit au grand jour philosophique les théories de Quinton, n'a-t-il, pas concilié Quinton et de Vries et adapté « l'insurrection du vertébré » et les aberrations de l'Œnothera Lamarkiana à la pensée nietzschéenne ! La 2e série des Promenades Philosophiques (1908) se compose beaucoup de cela. Dans ce nouveau volume il rappelle et précise quelques-uns de ses points de vue avec notamment : « La fin du transformisme ? » et « le Génie de Lamarck ». Le premier de ces chapitres répond à une récente lamentation de Le Dantec navré de voir le transformisme méconnu « au moment (dit-il) où je croyais qu'il avait conquis le monde ». Réponse conçue en termes qui ne sont point pour déplaire aux admirateurs,

Au nombre desquels je me range

du grand Lamarckien, ni à ces ultra-Lamarckiens que sont quelques physiologistes dernier cri. L'éloquente protestation de Le Dantec est, elle-même, une réponse à l'ouvrage de l'un de ces derniers : M. Georges Bohn : « La Naissance de l'Intelligence. » L'on sait, ici, que M. Bohn, sans prendre l'entière responsabilité des prétentions mutationnistes en est, en quelque sorte, le héraut, et l'auteur des Promenades ne cache pas plus qu'il ne dissimule ses autres dettes (c'est en philosophie surtout que l'on ne prête qu'aux riches) qu'il lui a facilité les rapports avec certains laboratoires. Il aide donc M. Bohn à se défendre et à le défendre contre Le Dantec et leurs efforts semblent être parvenus à lui arracher quelques bonnes pièces de son trésor, je veux dire certaines idées de la Philosophie zoologique, puisqu'il paraît que l'ouvrage de Lamarck serait la Bible le dantecienne. Gourmont apporte dans cette campagne un heureux mélange de vigueur et de courtoisie et je suis convaincu que ce disputeur qu'est M. Le Dantec voudrait avoir beaucoup d'adversaires de cette taille.

Avec Alfred Giard, auquel les Promenades (pp. 52 et s.), font une digne oraison funèbre nous redevenons à la fois lamarckiens et darwiniens et c'est merveille de voir comment notre philosophe je ne dirai pas concilie les contraires — ce qu'il faut laisser aux sophistes — mais prouve que certaines contradictions de la biologie n'ont rien que de relatif. Il est difficile de répandre autant de lumière, sur des questions complexes et peu connues. Le même savoir apparaît dans les études à propos de la génération spontanée, de l'Orpheus de M. Salomon Reinach, des « Paradis laïques » de M. Sageret, du « Régime des Castes » dans l'Inde, de M. Bougré, d'une biographie de Ruskin...

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