Prométhée enchaîné
Publié le 05/04/2013
Extrait du document
Le personnage de Prométhée n'est pas le seul auquel Eschyle accorde les faveurs d'un jugement positif pour sa lune contre l'autorité: dans L'Orestie, le dramaturge conclut à la légitimité de l'assassinat du roi Agamemnon par son fils Oreste. On a coutume d'opposer le théâtre d'Eschyle à celui d'Euripide, son contemporain. Reprenant les mêmes mythes, Euripide en donne souvent une version burlesque, s'interdisant les jugements et les complaintes dont le choeur se fait écho dans la tragédie eschylienne.
«
Promethée refuse de
révéler son secret à Hermès, l'envoyé de
Zeus
~-- --- -- EXTRAITS
L'ingratitude de Zeus
PROMÉTHÉE.
-( •.• ) Du jour où les dieux
s'abandonnèrent
à la colère et où la dis
corde s'éleva
parmi eux, les uns voulant
chasser Cronos de son trône, afin de le don
ner
à Zeus; les autres, au contraire, luttant
pour empêcher que Zeus régnât jamais sur
les dieux,
je donnai aux Titans, fils
:f}"~ d'Ouranos et de la Terre,
les
plus sages conseils,
mais
je ne réussis pas à les
persuader.
Dédaigant les
moyens de ruse, ils d'ima
ginaient dans l'orgueil de
leur force qu'ils n'auraient
pas de peine à se rendre
les maîtres
par la violen
ce.
Mais, moi, ma mère,
Thémis ou Gaia, forme
unique sous des noms di
vers, m'avait plusieurs fois
prédit comment se réalise
rait l'avenir, et que, sans
re
courir à la force ni à la
violence, c'est
à la ruse que
les vainqueurs devraient
l'empire.
(.
..
) Tels sont les
services que j'ai rendus au
roi des dieux: vous voyez les peines cruelles
dont il m'a payé de
retour.
C'est sans doute
un mal inhérent à la tyrannie, de n'avoir pas
confiance en ses amis.
Quant
à ce que vous
demandez, pour quel motif il me maltraite,
je vais vous /'éclaircir.
Aussitôt qu'il fut assis
sur le trône paternel,
il répartit les privi
lèges entre les différents dieux et fixa les
rangs de son empire.
Mais
il ne fit aucun
compte des malheureux mortels ; il voulait
même en faire naître une nouvelle.
Et per
sonne ne
sy oppposait que moi.
Seul, j'eus
cette audace et j'empêchai que les mortels
mis en pièces ne descendissent dans
/'Hadès.
,
Les malheurs d'Io
IO.
- ( ...
)Sans cesse j'étais hantée par des
visions nocturnes qui venaient dans ma
chambre virginale, qui me flattaient en mots
caressants :
« Ô fortunée jeune fille, pour
quoi restes-tu si longtemps vierge, quand
tu
peux aspirer au plus glorieux hymen ? Car
Zeus a été brûlé
par toi des traits du désir et
veut partager avec toi les plaisirs
de Cypris.
De ton coté, enfant, ne repousse pas l'amour
de
Zeus, mais échappe-toi vers la grasse
prairie de Lerne, vers les troupeaux et les
étables
de ton père, afin de soulager l'œil de
Zeus de son
désir.
» Tels étaient les songes
dont chaque nuit j'étais assaillie pour mon
malheur, tant qu'enfinje pris sur moi de ré
véler
à mon père les visions qui me hantaient
la nuit.
( ...
)Tu as entendu mes aventures.
Si
tu peux m'apprendre les maux que l'avenir
me réserve encore, révèle-les-moi ; mais
n'essaye point par pitié
de me réconforter
par
des mensonges ; car il
n'est pas, selon moi, de
mal plus honteux que
des discours artifi
cieux.
Traduction d'Émile
Chambry
« La terre vacille, tandis
que dans ses profondeurs
mugit la voix
du tonnerre ••• ,.
« Pour Hésiode, Prométhée n'a pas NOTES DE L'EDITEUR
«Or, chez Eschyle, ( ...
)il est rare que
le frisson ou le sentiment de froid qui
saisissent
l'homme devant un malheur déjà
réalisé ne se double pas
d'une secrète
angoisse.
C'est le cas dans Prométhée, ( ...
)
pour la pitié qu'éprouvent les Océanides
devant les maux
de Prométhée : en leur
inspirant de l'horreur, ces maux leur
apprennent aussi à craindre Zeus et à
blâmer la trop grande audace du Titan (on a
ainsi( ...
):" Non, que jamais le maître du
monde, que jamais Zeus
n'ait à faire entrer sa
puissance en lutte avec ma volonté '',
et
( ...
) : "Sans crainte de Zeus, ta volonté
indocile a trop d'égards pour les mortels,
Prométhée
").
Plus loin, dans le même
Prométhée, ( ...
)les souffrances d'Io
inspirent aux mêmes Océanides un
sentiment comparable ;
et la crainte
qu'elles éprouvent pour elles-mêmes, en
tant que créatures soumises aux dieux,
transparaît ( ...
) en début de strophe.
»
Jacqueline de Romilly, La Crainte et
/'Angoisse dans
le théâtre d'Eschyle, Les
Belles-Lettres, 1971.
" donné " le feu aux hommes ; il le leur a
rendu par ruse, après le leur avoir fait
perdre, en irritant -sans grande raison -
Zeus (chose curieuse, le mythographe
donne ici de la première invention du feu
l'explication rationaliste qui sera celle
d'un
Lucrèce et d'un Buffon: l'utilisation des
arbres enflammés par la foudre ; mais pour
lui, cette
" fulmination " est un don de Zeus
qu'il lui est loisible de retirer).
»Raphaël
Dreyfus, Tragiques grecs : Eschyle,
Sophocle,
Gallimard, 1967.
1 buste d'Eschyle, Musée du Capitole, Rome/ photo Alinari-Viollet 2.
3, 4, 5 Bois gravés de Frans Masereel, Éd.
M.
de Romilly, Paris, 1956 / B.N.
ESCHYLE03.
»
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