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Puis-je me mettre à la place de l'autre ?

Publié le 27/02/2005

Extrait du document

  Mais justement il semble que des consciences différentes n'attribuent pas la même fonction à un même objet : par exemple, un masque africain à une fonction rituelle en Afrique, et la fonction d'oeuvre d'art dans un musée européen. La coïncidence des consciences n'est donc pas assurée. Pour qu'elle soit possible, il faudrait que nous sachions quelle fonction autrui va attribuer à l'objet, en fonction de sa culture, son éducation, etc.     III - Comprendre autrui pour se mettre à sa place :   Pour comprendre complètement autrui, il faudrait, comme nous l'avons dit, connaître son milieu socioculturel, l'éducation qu'il a reçu, etc., c'est-à-dire, connaître l'ensemble des préjugés à partir desquels il va attribuer, en se rapportant au monde, telle fonction à telle chose. Il faudrait donc, pour comprendre parfaitement autrui, préalable nécessaire à une coïncidence des consciences, connaître toute son histoire.   Référence : Hans-Georg Gadamer, Vérité et méthode   « La naïveté de ce qu'on appelle historicisme consiste à se dérober à une telle réflexion et, en se fiant à la méthodologie de sa démarche, à oublier sa propre historicité. Il faut en appeler ici d'une pensée historique mal comprise à une autre qu'il reste à mieux comprendre. Une pensée vraiment historique doit inclure sa propre historicité. A cette seule condition, elle cessera de poursuivre le fantôme d'un objet historique - objet d'une recherche en progrès - pour discerner dans l'objet l'autre que ce qui nous est propre et par là apprendre à reconnaître aussi bien l'un que l'autre.

Rappelons que la problématique est l'ensemble des problèmes qui gisent sous le sujet, hiérarchisés en vue de leur résolution dans le corps de la dissertation. Si, comme notre intuition nous le laisse pressentir, la coïncidence de soi avec autrui est limitée, il convient de trouver ce qui ne pourra justement jamais coïncider, autrement dit, ce qui appartient en propre à autrui et jamais ne nous appartiendra. Remarquons qu'il ne s'agit que d'une intuition. Notre première direction de recherche prend donc la forme d'une question :

Autrui a-t-il quelque chose qui lui est propre ?

Nous nous demanderons ensuite jusqu'à quel point et comment coïncider avec autrui.

« réciproquement : « L'opération est donc à double sens, non pas seulement en tant qu'elle est aussi bien une opération sur soi que sur l'autre, mais aussi en tant qu'elle est, dans son indivisibilité, aussi bien l'opération de l'une desconsciences de soi que de l'autre.

»Ce mouvement de la conscience de soi trouve une illustration dans la fameuse dialectique du Maître & de l'Esclave – dialectique qui peut se lire comme une reconstitution, sans caractère historique, du déroulement de l'histoireréelle des hommes.Le point de départ de cette dialectique, c'est que toute conscience est désir de reconnaissance, désir qui passe d'abord par la négation de l'autre.

toute conscience poursuit la mort de l'autre, afin de se faire reconnaître et de sereconnaître elle-même au risque de sa propre vie, comme libre et indépendante de toute attache sensible : « C'est seulement par le risque de sa vie qu'on conserve la liberté, qu'on prouve que l'essence de la conscience de soi [...]n'est pas le mode immédiat dans lequel la conscience de soi surgit d'abord, n'est pas son enfoncement dans l'expansion de la vie.

»Autrement dit, il s'agit pour chaque conscience de se prouver qu'elle n'est pas de l'ordre de l'en-soi (mode de l'existence des choses), pure immédiateté, mais qu'elle est seulement un pur être-pour-soi, une personne qui a unevaleur, une dignité : « L'individu qui n'a pas mis sa vie en jeu peut bien être reconnu comme personne, mais il n'a pas atteint la vérité de cette reconnaissance comme reconnaissance d'une conscience de soi indépendante.

» • Mais le « déplacement » (se mettre à la place de) envisagé implique également que les consciences, quelque différentes qu'elles soient ordinairement, ont la possibilité de se rapprocher l'une de l'autre jusqu'à deveniréquivalentes.• Un tel rapprochement n'est concevable que si l'on admet en principe une communauté radicale de toutes les consciences : chaque moi ne dessinerait qu'une « variante » sur un sous-sol commun définissant toute conscience engénéral.• Dans cette optique, « se mettre à la place » de l'autre aboutirait seulement à éprouver comme lui un mode d'être au monde sans caractères distinctifs.

On peut de ce point de vue rappeler que ce que Hegel nomme la « mêmeté», et qui désigne précisément ce que deux consciences ont de semblable, ne constitue encore qu'un « moment abstrait », qui ne peut satisfaire aucune des deux consciences, attachées qu'elles sont l'une et l'autre à ce qui lesparticularise.II.

Ce que sous-entend l'autre comme « humain »• Si l'autre se manifeste d'abord comme corps, je lui prête une conscience «ressemblant » à la mienne en fonction de ma propre expérience : c'est parce que je m'intuitionne comme conscience inscrite dans un corps qu'à partir ducorps qui me fait face, et qui ressemble au mien, je déduis qu'il est également incarnation d'une conscience (cf.

Husserl, Méditations cartésiennes).« Si je me demande comment des corps étrangers comme tels, c'est-à-dire des animaux et d'autres hommes en tant que tels, sont donnés dans mon expérience et comment ils peuvent l'être dans le cadre universelde ma perception du monde, alors la réponse est celle-ci : mon corps propre joue dans ce cadre [...] le rôle du corps primordial dont dérive l'expérience de tous les autres corps ; et ainsi je ne cesse d'être pour moiet mon expérience l'homme primordial dont l'expérience de tous les autres hommes dérive son sens et sa possibilité perceptive [...].

La perception d'un corps organique étranger est perception pour autant que je saisisse précisément l'existence de ce corps comme étant immédiatement là « en personne ».

Et de la même façon l'autrehomme en tant qu'homme est là pour moi dans la perception.

J'exprime en effet sa présence perceptive immédiate en l'accentuant au maximum en disant justement : ici devant moi se trouve donné en chair et enos un homme.

Ce n'est pas une déduction, quelque pensée médiate qui conduit à la position de la corporéité étrangère et de mon semblable [...].

Dans le cas de ce dernier [mon corps propre], nous l'avons vu, le corps organique en tant qu'il est un être physique est perçu de manière originaire mais aussi l'être psychique qui s'y incarne, et tel qu'ils'incarne.

Ce psychisme n'est-il pas le mien propre ? Par contre, le corps psychophysique étranger est sans doute perçu dans mon environnement spatial et de façon tout aussi originaire que le mien ; mais il n'enva pas réellement et proprement donné lui-même mais simplement visé conjointement avec lui par apprésentation.

» Husserl. Je rentre chez moi.

Il est tard.

Je vois un homme dans l'entrée à qui j'adresse un « bonsoir ».

Personne ne me répond et je m'aperçois que ce que j'avais pris pour un homme n'était qu'un portemanteau chargé d'habits.

Descartes nous avait bien dit que seul un échange de paroles pouvait nous donner la certitude de la présence d'autrui.

Husserl reprend cette problématique, mais à un niveau plus primordial : quand j'ai cru reconnaître cet homme dans l'entrée, quelle fut l'opération de conscience qui m'a donné, ne serait-ce qu'un instant, l'évidence d'une présence humaine ? C'est ainsi qu'il examine les présupposés de laperception du corps de l'autre.Le premier mouvement du texte affirme la primauté absolue de mon corps propre dans le processus d'identification du corps de l'autre : je ne peux, dans le domaine de la perception, faire l'expérience d'autrescorps que parce que moi-même je suis un corps vivant.

L'expérience de moi-même comme corps constitue donc un principe primordial à partir duquel je puis affirmer l'existence d'autres corps vivants.La deuxième partie du texte insiste sur le caractère immédiat de cette reconnaissance qui, loin de mettre en jeu des processus intellectuels, ne suppose que la présence physique (l'homme « en chair et en os » de Husserl contre l'homme « de parole » de Descartes ). Enfin, Husserl indique ce qui constitue la spécificité de la perception d'autrui (de l'autre homme, et pas seulement d'un autre corps vivant).

Ce qui m'est donné absolument et immédiatement (dans la perception de mon propre être), ce sont mon corps et mon « psychisme » (mon monde intérieur).

Dans la perception de l'autre (ce que Husserl appelle son « apprésentation »), son corps physique m'est bien donné immédiatement, mais son psychisme m'est seulement annoncé comme ce qui existe, mais ce à quoi je ne pourrai jamais être présent qu'indirectement : je ne pourrai jamais vivre l'intériorité de l'autre. • Cette présence physique de l'autre m'amène en effet, si l'on suit l'analyse de Husserl, à saisir en lui une « vision du monde » qui, sans correspondre à la mienne puisque nous n'avons pas le même point de vue, s'effectue de lamême façon que celle que je connais.

Je me mets ainsi à sa place en tant que producteur d'une perspective sur le monde — mais cela ne signifie aucunement qu'au-delà de notre capacité commune à élaborer cette dernière, jepuisse mentalement coïncider avec ce qu'il construit : il y a communauté de « forme », mais non de contenu." Je n'appréhende pas « l'autre » tout simplement comme mon double.

Je ne l'appréhende ni pourvu de ma sphère originale ou d'une sphère pareille à la mienne, ni pourvu de phénomènes spatiaux qui m'appartiennent en tant queliés à l'«ici» (hic): mais à considérer la chose de plus près avec des phénomènes tels que je pourrais en avoir si j'allais « là-bas » (illic) et si j'y étais.

Ensuite, l'autre est appréhendé dans l'apprésentation comme un « moi » d'unmonde primordial ou une monade.

Pour cette monade, c'est son corps qui est constitué d'une manière originelle et est donné dans le mode d'un « hic absolu », centre fonctionnel de son action.

Par conséquent, le corpsapparaissant dans ma sphère monadique dans le mode de l'illic appréhendé comme l'organisme corporel d'un autre, comme l'organisme de l'alter-ego , l'est en même temps, comme le même corps, dans le mode du « hic », dont« l'autre » a l'expérience dans sa sphère monadique.

Et cela, d'une façon concrète, avec toutes les intentionnalités constitutives que ce mode implique.

" Edmund HUSSERL, Méditations cartésiennes (1929), 5e méditation, Vrinp.99 • Il en va de même pour tout ce qui concerne les relations affectives ou sentimentales avec l'environnement ou l'entourage : s'il m'est à la rigueur possible de comprendre que l'autre aime à partir de ma propre expérience del'amour, il m'est par contre impossible d'aimer exactement comme lui, c'est-à-dire la même personne pour les mêmes raisons.

Si cela était possible, je me retrouverais d'ailleurs en concurrence avec son amour puisquej'aimerais nécessairement la même personne, ressentant à son égard exactement les mêmes effets que l'autre à la place duquel je me serais dans ce cas totalement mis.III.

L'altérité comme différence radicale• Ainsi, malgré tous les espoirs que l'on peut mettre dans cette communication parfaite avec l'autre que constituerait le fait de vivre intimement de la même façon que lui, il apparaît que « se mettre à sa place » de façon aussicomplète n'est pas toujours souhaitable.

La communauté spirituelle n'implique pas une assimilation.

Que l'on songe ici aux dangers de l'amour fusion qu'évoque Sartre. • Aussi peut-on en venir à s'interroger sur les buts qui risquent d'être au moins sous-entendus par toute volonté de « se mettre à la place de l'autre ».

On peut alors déplorer que la recherche de la fusion complète — qui serait lesigne d'un « déplacement » parfait vers l'autre — masque précisément en quoi l'autre est radicalement différent de moi, c'est-à-dire ce qui le constitue bien comme autre : son caractère d'étranger.• Levinas, dans son analyse de l'altérité, affirme ainsi que reconnaître l'autre, c'est affronter précisément cette différence et s'en tenir là.

Toute recherche d'une fusion avec lui fait d'abord intervenir un troisième termerelativement auquel nous nous situons tous les deux : on sort ainsi d'un « face à face » pour s'installer dans une relation latérale, dans laquelle chacun n'a de prix que par son adhésion au but commun (social, politique, familial,idéologique, etc.) et non plus en tant que lui-même.

La prétendue « communauté » se transforme alors en confusion, dont chaque singularité fait les frais : tout est en place pour que s'effacent de plus en plus les différences.• Si l'autre existe face à moi, c'est au contraire par sa différence.

Et l'on sait que l'insistance sur la ressemblance ou l'uniformité fait le jeu du totalitarisme et de l'intolérance.CONCLUSION• Il n'est pas nécessairement souhaitable de se mettre à la place de l'autre, si cela signifie la volonté d'affirmer une stricte équivalence (une interchangeabilité) entre nous.

Si l'autre a de la valeur, c'est au contraire en tant que luiet moi ne sommes pas interchangeables.

Se rapprocher de lui, le « comprendre », cela ne signifie pas que nos trajectoires personnelles puissent ne plus être prises en considération.

Cela doit au contraire avertir que ce qu'ilm'offre, c'est bien l'éventualité d'une tout autre conscience et d'une tout autre perception du monde.. »

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