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Qu'est-ce qui fait la valeur d'une valeur morale?

Publié le 30/08/2012

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Sur quoi se fonde la morale ? Qu'est-ce qui donne de la valeur à nos valeurs ? Les valeurs peuvent-elles se fonder elles-mêmes ? Ne se heurte-t-on pas à une impasse logique ? Si la morale ne peut se fonder en raison, doit-on dire que nos valeurs ne sont que nos sentiments ou partis pris ?

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« efforçons, nous la voulons, ou aspirons à elle, ou la désirons ».

Si Hobbes accordait la primauté au plaisir – donc à une manifestation de l'influence qu'exerce sur nousun objet, ce qui ancrait encore partiellement le jugement moral dans le domaine de déterminations d'une « objectivité » –, le désir même, dans la pensée de Spinoza,devient fondamental, détermine les qualités que nous accordons aux objets, au monde des réalités qui nous environne, et cette conception semble bien constituer unplein « subjectivisme », selon lequel la valeur n'appartient pas aux entités mêmes – qu'elles soient concrètes ou idéelles, à l'exemple des valeurs, des idées morales –,mais leur est seulement attribuée par l'esprit de l'homme: dans la formulation spinoziste, c'est le désir – ancré dans la sensibilité singulière – qui « engendre » lavaleur.

Il convient de souligner alors qu'un tel subjectivisme n'est guère « créateur »: la valeur ne saurait, une fois même formulée par une conscience, acquérir laréalité de la chose à laquelle elle est attribuée; l'homme ne « crée » pas de valeurs, mais projette à tort sur le monde des qualités que celui-ci ne possède pas en réalité. A une conception des valeurs morales fondée sur la sensibilité, s'oppose dès le premier abord l'argument selon lequel cette dernière peut, sans distinction véritable,conduire à des actions « bonnes » comme à des actions « mauvaises », « justes » ou « injustes », « morales » ou « immorales ».

Désirs, inclinations, aspirations,sentiments, constituants du domaine de la sensibilité, s'opposent en nous à une « raison » qui est faculté d'universalisation, ainsi que le postule Kant dans lesFondements de la métaphysique des mœurs.

Or c'est de la raison même – de la raison « pratique » en tant qu'elle a trait à l'action, et non à la connaissance – querelève la morale.

Kant envisage cette dernière selon un concept d'« obligation », de « devoir », affirmant qu'une action n'est « moralement bonne » que lorsqu'elle estguidée par notre volonté libre d'agir conformément à la « loi morale », au devoir.

La moralité d'une conduite repose alors fondamentalement sur l'intention quil'anime, et non sur son issue; une action mue par le désir, l'intérêt, la recherche du bonheur même est « amorale », quand bien même son issue manifeste uneconformité à la loi morale.

S'effectuant selon le respect de la loi en tant que telle, la détermination de la volonté bonne se définit par un caractère formel et universel,c'est-à-dire par son « autonomie », tandis que la sensibilité – et davantage encore, son aspiration ultime que constitue le bonheur – relèvent de l'« hétéronomie », desparticularités selon lesquelles le monde se conciliera avec nos exigences sensibles, telles qu'elles sont conditionnées par les objets contingents qui se présentent àelles.

De plus, si la réflexion kantienne souligne qu'est « bon moralement » ce qui est « bon sans restriction », c'est-à-dire sans égard pour les conditions intérieures –les sentiments – et extérieures – les résultats – de l'action, c'est une contradiction véritable qui se manifeste entre la valeur morale et la sensibilité, le bonheur érigé enfin suprême: la première est « impérative », son objet est privé de signification, et le prédicat « bon » s'applique à la seule volonté, tandis que la seconde est« optative », ne prenant sens au contraire que relativement à l'objet sur lequel elle porte.

Et de fait, si la condition de la valeur morale est une pleine indépendance àl'égard des circonstances et du contenu « concret » de l'action – ce qui justifie la non considération de l'issue « réelle » de celle-ci –, tout désir apparaissaitexplicitement indissociable du monde environnant par lequel il est déterminé, et le bonheur même repose sur l'importance accordée à de telles circonstances,l'étymologie latine « fatum » rappelant qu'il est avant tout « rencontre favorable ».Chaque individu peut alors estimer le caractère éventuellement moral de son action à travers le critère d'universalisation que suppose l'« impératif catégorique »kantien.

La valeur morale ne peut de fait, selon cette conception, qu'être celle de l'action dont la maxime « pourrait être érigée par [notre] volonté en loi universelle dela nature » (Fondements de la métaphysique des mœurs): c'est par une analogie avec les lois régissant la nature – en tant que celles-ci sont fondamentalementuniverselles, s'appliquant à chaque être, en tous temps et lieux – que se définit la « valeur morale » en tant qu'« obligation » ou « devoir », et à l'impératif catégoriques'oppose un « impératif hypothétique », dans lequel la maxime de l'action est subordonnée à l'intérêt, à un désir particulier du sujet; Kant souligne de fait que, quandbien même une telle aspiration sensible pouvait conduire l'individu à une action en apparence conforme à la loi morale, cette similitude ne serait que contingente, neconstituant pas le fondement absolu et unique de l'action, tout en étant aussi inconstante et variable que le désir sensible.

L'action « véritablement morale » n'admetpas la particularité – je ne peux souhaiter simultanément qu'un précepte soit érigé en loi morale et puisse être invalidé en certaines circonstances –, et la « valeurmorale » acquiert sa portée véritable en tant qu'elle est devoir et obéissance au devoir envisagé en lui-même, indépendamment de l'objet sur lequel il est susceptiblede porter dans la contingence de l'action concrète.

Si cette première expression de l'impératif catégorique selon un concept d'universalité semble poser son essencepropre, deux autres formulations sont proposée par Kant dans les Fondements de la métaphysique des mœurs:Par-delà ces réflexions que la formulation de l'impératif catégorique kantien est susceptible de susciter, c'est sur cette dernière également que se fonde la critiqueproprement métaphysique du philosophe contemporain autrichien Ludwig Wittgenstein, qui dénonce « l'absurdité » de toute morale.

Dans sa Conférence surl'Ethique, celui-ci introduit de fait une distinction entre le langage – ensemble regroupant les sèmes et les préceptes de grammaire – et un « monde » de réalités,constitué par la totalité des faits déjà réalisés ou susceptibles de réalisation.

La « signification » représente alors ce qui effectue le lien entre le langage et le« monde », se définissant comme le fait qui advient lorsque la phrase envisagée est vraie.

Apparaît ainsi un « critère » permettant de déterminer le caractère devéracité, ou au contraire, de fausseté, de toute proposition langagière, critère que Wittgenstein propose d'appliquer au discours moral, tel que le formule notammentl'impératif catégorique de Kant.

Pour déclarer « vraie » ou « fausse » une proposition, celle-ci doit être pourvue de signification, c'est-à-dire que son contenu doitpouvoir être représenté par un fait relevant du seul « monde de réalités »; la considération de l'éventuelle réalisation effective de ce fait permet par la suite de juger dela vérité de la proposition: s'il y a correspondance entre le contenu factuel de la phrase et la réalité effective, cette phrase est « vraie ».

Or l'on constate que laproposition morale ne saurait admettre d'expression en termes purement factuels, en tant que la formulation d'un devoir absolu et universel ne saurait se confondreavec celle d'une prédiction, d'un souhait, d'une habitude de conduite, ou encore du risque d'une sanction, de la promesse d'une récompense, ou enfin d'un ordreémanent d'une autorité hiérarchique.

Si toute tentative d'accorder un sens formel à une proposition morale est vouée à l'échec, celle-ci apparaît de fait « dépourvue designification », donc « absurde ».

Ce constat se fait condamnation de tout discours moral, et par-delà même de toute philosophie morale.

Wittgenstein soulignepourtant que, malgré ce caractère en apparence « absurde » du discours moral, celui-ci possède une importance fondamentale dans les consciences sociétales aussibien qu'individuelles.

Pareillement aux discours poétique et religieux, le discours moral n'admet alors de légitimité qu'en tant que manifestation d'une aspirationinextinguible de l'être humain à dépasser les frontières du langage signifiant, qui, tout en constituant la condition strictement nécessaire de tout discours pourvu desens, pose des restrictions que l'esprit humain ne peut accepter.

Dans la morale tout comme dans la poésie ou au travers des métaphores du discours religieux,l'homme tend à exprimer ce qui se place « en-dehors de l'univers », dont par-delà le « dicible » en tant que signifiant factuel: à l'origine de la morale, des valeursmorales formulées par des impératifs, Wittgenstein situe donc une tendance de l'homme à dire l'ineffable, à « aller au-delà du monde, c'est-à-dire au-delà du langagesignifiant », ainsi que le penseur le souligne dans la Conférence sur l'Ethique.

L'on peut cependant s'interroger si cette esquisse des origines de la morale dans laproximité à celles des discours poétique et religieux ne serait réductrice: si la formulation kantienne de l'impératif moral peut être qualifiée d'« absurde » selon lecritère proposé par Wittgenstein, n'est-elle pas, par-devant même les cadres formels d'une expression langagière, la manifestation d'un « sentiment » moral spontanéet profond de l'être humain? Ce sont les doctrines intuitionnistes qui, en premier lieu, soutiennent l'idée selon laquelle la question mêmes des valeurs est étrangère à l'homme, en tant que leurhiérarchie se révèle à lui de manière immédiate et « spontanée »: l'accès à la portée proprement objective des faits moraux, des valeurs morales, ne relève d'aucunerecherche, mais est accordé à chacun au moyen d'un principe singulier de son esprit, principe qui a pu être pensé comme une faculté intellectuelle, comme une formede sensibilité ou un « sens moral », ou encore comme une conscience associant les fonctions de la raison et du sens.

L'argument intuitionniste fréquemment invoquétend à échapper à la circularité ou à une « régression à l'infini »: en effet, il s'agit d'affirmer initialement qu'aucun énoncé moral ne peut être dérivé d'énoncéspurement non moraux, ou « amoraux »; dès lors, pour qu'un énoncé moral puisse être dérivé d'autres affirmations, celles-ci doivent comprendre des énoncés moraux,c'est-à-dire qu'afin qu'une valeur morale soit justifiée inférentiellement, cette justification doit invoquer d'autres valeurs morales; or ce processus inférentiel doit avoirun terme, sous peine de circularité ou de régression à l'infini; l'on peut ainsi conclure à la nécessaire existence de quelques valeurs morales évidentes par elles-mêmes.Un tel intuitionnisme moral s'offre pourtant aisément à une critique qui soulignerait la fragilité de l'intuition comme mode de connaissance, puisque, en tant quesentiment, elle peut être perçue comme arbitraire, et se voit notamment qualifiée par Bentham de « principe de sympathie ou d'antipathie », voire de « principe decaprice ».

Le penseur qualifie un tel procédé de détermination des valeurs d'« ipse-dixitisme », l'idée d'affirmer qu'une chose est juste étant érigée en conditionsuffisante pour qu'elle le soit de fait, alors même que l'analyse linguistique est portée à démontrer que « savoir par intuition » qu'une chose existe ou possède unequalité donnée, ne signifie guère autre chose que « croire » qu'elle existe ou porte cette qualité.

Et par-delà même l'accusation d'arbitraire portée sur l'intuitionnisme,l'on remarque que si ce dernier offre une « méthode » permettant d'affirmer qu'une entité donnée est pourvue d'une valeur particulière, il ne permet guère d'accéder nià l'origine, ni au contenu, ou au fondement, de cette valeur même.La recherche de « l'origine de la morale » est celle du contexte – tant sociétal que psychologique, lié à des sentiments ou des intérêts particuliers – de formation desidées, ou « valeurs », morales; elle relève d'une investigation à la fois historique, sociologique, et psychologique, voire même physiologique.

C'est une telle rechercheque Nietzsche expose dans La Généalogie de la morale notamment, attribuant de fait à nos jugements moraux une origine complexe aux déterminations multiples.

Lamorale occidentale, dénoncée par le penseur, trouve de fait une origine première dans le sentiment du ressentiment: celui-ci explique la confrontation constante de la« morale des maîtres » et de celle « des esclaves », la première étant présentée par l'auteur comme une « morale de l'action », la seconde, comme une « morale de laréaction » –le « ressentiment », refus emporté de sa propre faiblesse et jalousie face à la force qui la domine, conduit l'homme dominé à définir des valeurs morales. »

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