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En Quoi L'Introduction D'Un Double Jeu Entre Les Personnages Sur Scène Augmente-t-Elle Intérêt Du Spectateur ?

Publié le 18/09/2010

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Introduction

       Le dramaturge comme le metteur en scène ont toujours à l'esprit le plaisir du public. C'est dans cette optique que sont conçues des scènes de double jeu, que ce soit dans des tragédies classiques, comme Britannicus, des drames romantiques, comme Hernani de Victor Hugo ou encore des pièces contemporaines, comme  les beaux jours de Samuel Beckett. En quoi l'introduction d'un double jeu entre les personnages sur scène aug¬mente-t-elle l'intérêt et le plaisir du spectateur ? Pourquoi met-on en place des situations d'énonciation complexes au théâtre ? Nous verrons que ces scènes font avancer l'intrigue, qu'elles produisent des émotions et qu'elles sont le lieu d'expression de la créativité du scénographe.

 

 

I) Faire avancer l’intrigue

 

Les scènes de double jeu éveillent tout d'abord l'attention du specta¬teur parce qu'elles font progresser l'intrigue.

 

A. Révéler les vraies intentions des personnages

 

         En premier lieu, un témoin caché, dont un des interlocuteurs au moins ignore la présence, peut apprendre les pensées intimes des autres personna¬ges et agir en conséquence. Tartuffe, comédie de Molière, offre un exemple de ce procédé. Orgon fait tellement confiance à Tartuffe qu'il ne parvient pas à croire ce que sa famille dit de lui, qu'il n'est qu'un « cagot de criti¬que «, un faux dévot, qui veut séduire les femmes de la maison et ruiner le chef de famille. Pour le persuader de renvoyer Tartuffe, Elmire décide de dissimuler Orgon, son mari, sous une table et de laisser Tartuffe lui déclarer sa flamme (acte IV scène 4 et 5). C'est ainsi qu'Orgon découvre que son protégé le juge « homme [...] à mener par le nez « ! De même, le Roi don Carlos tic peut être sûr des sentiments de Dona Sol, dont il est épris, qu'en se cachant dans une armoire. C'est ainsi que Hernani, drame de Victor Hugo, s'ouvre sur une scène de contorsion dans laquelle le Roi s'efforce de se glisser dans une « boîte >,. De cette cachette, il entend la femme qu'il aime déclarer à Hernani qu'elle est prête à le suivre et décou-vre ainsi le secret des amants.

 

B. Obliger les personnages à agir

 

En second lieu, le double jeu peut obliger les personnages à agir et donc à mener l'intrigue vers son terme. Perdican, l'un des protagonistes de On ne badine pas avec l'amour, a compris que Camille avait peur de lui avouer qu'elle l'aimait. Les religieuses avec qui elle vit au couvent l'ont en effet persuadée que l'amour représentait un immense danger. Le seul moyen de l'amener à déclarer son amour et à renoncer aux ordres pour se marier avec lui est de la rendre jalouse. Il lui envoie donc un billet qui la convie à se ren¬dre au bord d'une fontaine, où il se rend lui-même avec Rosette. Il dirige et interprète donc taie scène d'amour au bénéfice de Camille, spectatrice privi¬légiée. Désormais, la jeune fille sait qu'elle doit intervenir très vite, avant que Perdican n'épouse Rosette. Le double jeu l'oblige à quitter l'ombre. Scapin, dans Les Fourberies de Scapin, orchestre une scène effrayante, dont Silvestre occupe le rôle principal, car il sait que c'est le seul moyen d'amener Argante à a donner les deux cents pistoles « (l. 49), nécessaires à libérer Zerbinette, dont Léandre, le maître de Scapin, est amoureux.

 

 

Transition

 

          Ainsi, le double jeu peut faire pro¬gresser l'intrigue et ce faisant, il attise l'attention du spectateur. Mais il peut aussi susciter des émotions fortes.

 

II) Produire des émotions

 

   La complexité de la situation d'énonciation au théâtre petit également émouvoir le spectateur dont le plaisir s'en trouvera accru.

 

A. Faire rire

 

         Le dispositif scénique du double jeu peut d'abord faire rire le specta¬teur. En effet, ce dernier connaît en général les tenants et les aboutissants de la scène : il sait qui est caché et pourquoi. La scène 6 de l'acte Il des Fourberies de Scapin est d'autant plus drôle qu'elle est destinée à lutter contre l'avarice d'Argante. Au comique de gestes (Silvestre « met l épée à la main, et pousse de tous les côtés comme s iil  y avait plusieurs personnes devant lui «) et au comique de mots (« morbleu «, «  faquin «), s'ajoute le comi¬que de situation : Silvestre qui est en général timide et peureux se révèle plein d'audace dans ce rôle de composition et le digne Argante s'effraie de cette mascarade ridicule. De même, lorsqu' Orgon se cache sous la table et découvre qui est réellement Tartuffe, il est si choqué qu'il ne parvient pas à s'extraire de sa cachette. Elmire, qui craint les avances de Tartuffe, ne cesse de tousser pour avertir son mari qu'il est temps qu'il intervienne. Le procédé engendre donc un comique de répétition très efficace.

 

B. Emouvoir

 

 

             Mais le motif du témoin caché peut également émouvoir le spectateur. Britannicus fait preuve de naïveté et de fragilité dans la scène 6 de l'acte II de la tragédie qui porte son nom. Les paroles à double entente prononcées par Junie, qui cherche désespérément à lui faire comprendre que Néron les écoute (« Et jamais l'Empereur n'est absent de ces lieux «, v. 30), ne sont pas comprises par Britannicus (« Nous sommes seuls «, v. 25). De plus, il se condamne en révélant son hostilité à l'Empereur et en suggérant qu'il pourrait prendre sa place (« Chacun semble des yeux approuver mon courroux «, v. 37). Le spectateur s'émeut du sort de ce personnage, qu'il sait désormais vouer à la mort. Rosette excite également la compassion dans la scène 3 de l'acte III de On ne badine pas avec I amour : Perdican est acteur et metteur cri scène, mais elle ignore qu’il joue un rôle et ne devine pas que s'il parle fort, c'est « de manière que Camille I’ entende «. Elle croit être aimée alors qu'on se moque de ses sentiments. Le spectateur ne peut que s'émouvoir de son enthousiasme et appréhender le moment où elle comprendra que l'on s'est joue d'elle.

 

Transition

 

          Ainsi, l'introduction d'un double jeu augmente l'intérêt du spectateur, qui voit l'intrigue progresser et son plaisir augmenter lorsqu'il éprouve des émotions variées. Le plaisir du spectateur réside aussi dans l'inventivité dont doivent faire preuve met¬teurs en scène et scénographes lorsqu'ils montent ces scènes.

 

 III) Varier la scénographie

 

A. Qui montrer ?

 

         Le metteur en scène doit d'abord décider qui il veut montrer au spectateur : doit-il mettre en scène le témoin caché, les personnages qui dialoguent devant ce témoin, ou tous les personnages ? Ne montrer que le témoin permet de mettre en évidence ses réactions. Imaginons que nous ne voyions que le visage de Néron : la psychologie du personnage princi-pal de la pièce s'en trouverait approfondie au fur et à mesure qu'on lirait sur ses traits perversité et colère. Au contraire, si ne sont visibles sur scène que Junie et Britannicus, on petit mieux apprécier les tentatives de la jeune fille de faire comprendre à son amant la présence de son rival : tente-t-elle, par son regard fuyant (« Que vois-je ? Vous craignez de rencontrer mes veux ? «, v. 53), de l'avertir du danger ? Enfin, si tous les protagonistes sont présents sur scène, le spectateur est libre de s'attacher au personnage de son choix, de passer l'un à l'autre ou de s'arrêter sur l'un d'entre eux.

 

B. Comment montrer ?

 

           Le metteur en scène doit également envisager comment mettre en scène un témoin caché, dont un des personnages ignore parfois la pré¬sence, sans que le spectateur l'oublie. Les possibilités sont alors infinies on peut imaginer un découpage de l'espace, un jeu d'éclairage. Ainsi, la scène 7 de l'acte III de Cyrano de Bergerac suggère que Roxane ne voit pas que Cyrano a pris la place de Christian, qui devient le témoin passif de la déclaration d'amour que le poète fait en son nom à Roxane, parce que la scène a lieu la nuit et que la jeune femme ne quitte pas son balcon. Un jeu sur les différents niveaux où se tiennent les acteurs et sur les lumières tamisées permet de représenter le double jeu. D'autres scènes en revanche laissent une plus grande liberté au scénographe. Ainsi, Musset, qui, après ses premiers échecs, ne souhaitait plus qu'on représente ses pièces, ne guide pas le metteur en scène. Celui-ci a donc toute liberté pour mettre en scène la scène 3 de l'acte III de On ne badine pas avec l'amour, et aucune mise en scène ne ressemble à une autre. 

Ainsi, les scènes de double jeu fascinent le spec¬tateur parce qu'elles sont sans cesse renouvelées par l'imagination et le savoir-faire de ceux qui les montent.

 

Conclusion

 

             Pour séduire le spectateur, les dramaturges recourent aux scènes de double jeu qui éveillent l'intérêt et suscitent l'émotion. Les metteurs en scène s'en emparent pour les rendre uniques et surprendre le public. Elles sont donc essentielles au plaisir théâtral ce qui explique leur abondance. Elles rappellent ainsi que le théâtre est un art de la représentation plus que de la lecture.

 

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