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EN QUOI LA MÉMOIRE NOUS LIBÈRE-T-ELLE DE L'EMPRISE DE L'ACTUALITÉ ?

Publié le 13/03/2004

Extrait du document

Un homme sans mémoire ne vivrait que dans l'instant, il serait rivé à la chose qu'il perçoit sans pouvoir s'en détacher d'aucune manière. En l'arrachant à l'actualité qui l'accapare ainsi, la mémoire prépare la libération de l'homme. Cette dernière peut certes devenir illusoire lorsque la mémoire n'est qu'un refuge dans lequel on fuit nostalgique-ment la souffrance d'aujourd'hui. Mais elle peut être réelle lorsque la mémoire nous fait accéder à un plus juste rapport avec le présent. La mémoire apparaît alors comme le paradoxal détour par lequel l'esprit doit s'éloigner de l'actualité pour mieux la retrouver. Nous essaierons de constituer puis d'approfondir ce paradoxe.

  • Parties du programme abordées :

- La mémoire. - Le temps. - Nature et culture. - L'histoire. - La société. - La liberté.

  • Analyse du sujet : Le sujet affirme la fonction libératrice de la mémoire et demande avant tout de préciser le contenu et les formes de cette libération. Pourtant, on peut aussi se demander si ces aspects positifs ne sont pas accompagnés d'une face d'ombre.
  • Conseils pratiques : Comme toujours, précisez avec rigueur le vocabulaire : que faut-il entendre exactement par emprise de l'actualité ? Ne vous bornez pas à réciter votre cours sur la mémoire ; rappelez cependant sa fonction unificatrice -. c'est elle qui permet d'accéder à la réalité de la personne.

Essayez de montrer qu'à l'emprise de l'actualité peut se substituer aussi une emprise du passé.

  • Bibliographie :

Nietzsche, La généalogie de la morale, Gallimard, Folio. Bergson, Matière et mémoire, PUF. Gusdorf, Mémoire et personne, PUF. Chanceux, L'homme neuronal, Fayard.

  • Difficulté du sujet : **
  • Nature du sujet : Pointu.

Introduction

  • I. La mémoire permet de se détacher de l'actualité.

1. La mémoire s'efforce de retenir le cours du temps. 2. La mémoire permet de prendre conscience de l'actualité. 3. La mémoire est un refuge dans lequel on fuit l'actualité.

  • II. La mémoire permet de retrouver l'actualité avec davantage de liberté.

1. La mémoire permet de comprendre l'actualité. 2. La mémoire permet de changer l'actualité. 3. La mémoire, lieu d'identité.

  • III. Approfondissement du paradoxe.

1. La mémoire est soumise à l'emprise de l'actualité. 2. La mémoire est le propre de l'esprit. 3. Les implications morales du paradoxe de la mémoire.

Conclusion

« [Introduction] Un homme sans mémoire ne vivrait que dans l'instant, il serait rivé à la chose qu'il perçoit sans pouvoir s'en détacherd'aucune manière.

En l'arrachant à l'actualité qui l'accapare ainsi, la mémoire prépare la libération de l'homme.

Cettedernière peut certes devenir illusoire lorsque la mémoire n'est qu'un refuge dans lequel on fuit nostalgiquement lasouffrance d'aujourd'hui.

Mais elle peut être réelle lorsque la mémoire nous fait accéder à un plus juste rapport avecle présent.

La mémoire apparaît alors comme le paradoxal détour par lequel l'esprit doit s'éloigner de l'actualité pourmieux la retrouver.

Nous essaierons de constituer puis d'approfondir ce paradoxe. [I.

La mémoire permet de se détacher de l'actualité.] [1.

La mémoire s'efforce de retenir le cours du temps.

]Un être sans mémoire aurait seulement conscience du présent.

Il serait entièrement accaparé par l'actualité c'est-à-dire par l'événement actuellement présent à son esprit.

Il serait en cela semblable à la statue décrite par Condillacdans le Traité des sensations.

Condillac imagine une statue de pierre qu'il suppose dotée d'un seul sens, l'odorat parexemple.

Lorsqu'elle sent une odeur de rose, la statue devient odeur de rose, puis l'instant d'après, elle est odeur denarcisse, odeur de miel..., oubliant à chaque fois ce qu'elle a senti précédemment.

On ne peut même pas dire que sasensation dure : pour nous, c'est bien la même odeur qu'elle sent maintenant et il y a un instant mais pour elle, il n'ya ni avant ni après, elle ne sait donc pas ce que signifie « même » ou « durer »; tout est toujours neuf, seul leprésent existe.La mémoire libère donc de l'emprise de l'actualité en faisant exister le passé.

Le présent, au lieu d'être précipité dansle néant par l'écoulement du temps, se maintient dans un certain degré de réalité en devenant le passé dontquelqu'un se souvient.

La mémoire lutte donc contre la fuite du temps.

Elle essaie de faire échec à la précipitationde toutes choses vers le non-être.

C'est ainsi que l'on s'efforce de maintenir les souvenirs des disparus par desinscriptions funéraires ou des monuments commémoratifs.

L'emprise de l'actualité, c'est la mort, c'est l'éternelledisparition de tout présent chassé par un présent nouveau.

Maintenir dans l'être ce qui n'est plus, c'est tenter des'affranchir de notre condition de mortels.

On pourra penser à l'oeuvre de Marcel Proust, À la recherche du tempsperdu, qui se constitue en victoire sur le temps qui passe et sur la mort : « le temps retrouvé » est le point final dece combat dans lequel la personne du narrateur gagne en intégrité ce qu'elle a par ailleurs perdu en jeunesse. [2.

La mémoire permet de prendre conscience de l'actualité.

]Nous pouvons aller plus loin dans l'analyse du rôle de la mémoire.

La statue de Condillac n'est à vrai dire pasaccaparée par le présent car il n'y a, en toute rigueur, pas de présent pour elle.

L'instant n'est en effet qu'un pointde passage entre le passé et le futur.

Il n'est qu'une fiction logique qui ne peut être éprouvée par la conscience.

Leprésent vécu est plutôt une portion de durée qui retient une part du passé et s'ouvre sur un avenir.

Comme lemontrent les analyses de Bergson (en particulier dans L'Essai sur les données immédiates de la conscience), dans letemps intimement vécu par la conscience (en langage bergsonien, la « durée »), passé, présent et avenirs'interpénètrent.

Ce n'est que par une spatialisation de la durée que le temps devient une ligne où les différentsinstants se succèdent dans un rapport d'extériorité semblable à celui des points géométriques.La mémoire seule permet donc de devenir conscient.

Avant même de faire exister le passé, elle nous libère del'emprise de l'actualité en nous en faisant prendre conscience.

Sans mémoire, nous serions semblables au caillou qui« colle » entièrement à son être actuel.

Il est une masse compacte sans aucun recul vis-à-vis de lui-même.

Laconscience provoque un décollement de l'être, un dédoublement par lequel nous nous savons être, nous détachantainsi du pur et simple fait d'être.

Dans cette prise de distance réside une première libération qui en appelle d'autres :en permettant à la conscience d'exister, la mémoire rend aussi possible toutes les facultés intellectuelles.

Il n'y apas de conceptualisation, de jugement ou de raisonnement pour qui est accaparé par l'actualité, car toutes lesfacultés de l'esprit supposent la comparaison d'états différents. [3.

La mémoire est un refuge dans lequel on fuit l'actualité.

]La mémoire permet un double détachement vis-à-vis de l'actualité : dans la prise de conscience du présent, dans lapossibilité de retenir le temps qui passe.

Le troisième degré de ce détachement sera la substitution du passé auprésent : la conscience peut s'arracher à son existence actuelle et se transporter mentalement dans le passé.

Lamémoire, comme l'imagination, apparaît comme un exutoire à la douleur présente.

Ainsi, les personnes âgées aimentà évoquer des souvenirs de jeunesse.

Ceci est particulièrement intéressant à propos de la littérature.

Les Mémoiresdu Cardinal de Retz fournissent un bon exemple de cette attitude qui consiste à surmonter l'échec présent par uneremémoration méliorative des événements du passé : c'est ainsi que le Cardinal présente longuement les épisodes dela Fronde dans lesquels il avait eu un rôle prépondérant, alors que, à mesure où il s'approche des événementsrécents de sa vie, sa retranscription devient peu fiable pour rester finalement inachevée.Une telle liberté est cependant illusoire puisqu'elle ne permet pas de changer le présent qu'on se contente de fuir.Au contraire, se détourner du présent est la meilleure manière d'en subir l'emprise.

Il convient donc de ne pas limiterla valeur libératrice de la mémoire à celle d'un refuge douillet et illusoire.

Si la mémoire nous détache de l'actualité,c'est pour mieux y revenir.. »

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