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Le Cousin Pons (Honoré de Balzac), commentaire composé

Publié le 09/04/2011

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balzac

Commentaire composé

Honoré de Balzac, Le Cousin Pons (1847)

Chapitre XII : Spécimen de portier (mâle et femelle)

 

 

            A travers son œuvre La Comédie Humaine, Balzac chercha à dépeindre la société dans laquelle il vivait : il décrivit dans cet ensemble d'ouvrages toutes les couches sociales de son époque, de la même manière que Buffon avait  procédé avec la zoologie. Le Cousin Pons, roman sorti en 1847 et répertorié comme l'un des ouvrages constituant cette œuvre, est classé dans la partie Scènes de la vie parisienne, section les Parents pauvres. Nous étudierons le chapitre XII de ce roman, intitulé Spécimen de portier (mâle et femelle). Comme son nom et la classification du roman dont il est extrait nous l'indique, ce chapitre est dédié à la description de la vie des portiers parisiens : il s'agit ici d'un couple chargé de la gestion d'un ancien hôtel du quartier de l'Europe. Ainsi, nous étudierons dans un premier temps l'aspect informatif et explicatif de cette description puis dans un second temps ses ambitions scientifiques. Enfin, dans une dernière partie, nous nous attarderons sur l'aspect romanesque de ce chapitre.

 

 

 

 

I.   Une description informative et explicative

 

De part ce texte, bien que descriptif pour l'essentiel du couple Cibot, Balzac parvient à nous transmettre de nombreuses informations et explications en ce qui concerne certains quartiers parisiens ainsi que le métier de portier tels qu'il était à l'époque.

En effet, toute la première partie du texte est consacrée à la description du quartier et de la rue où travaille le couple Cibot. L'expression \"on peut se croire en province\" nous indique que nous sommes à Paris, comme nous le prouve  les mentions de \"quartier de l'Europe\" et de \"Marais\", qui sont effectivement deux quartiers de la capitale française. Pour permettre au lecteur de visualiser le style et l'ancienneté des maisons du quartier et expliquer le nom de la \"rue de Normandie\", Balzac se référence à Henry IV : en effet, à l'époque où il a rédigé Le Cousin Pons, les grands travaux effectués sous le Second Empire n'avaient pas encore débuté ; ainsi, le centre de Paris avait à peu de chose près le même aspect qu'à la Renaissance : \"chaque rue portât le nom d'une province, et au centre duquel devait se trouver une belle place dédiée à la France.\"

De plus, nous découvrons, à travers la description du couple Cibot et de ses activités, le métier de portier - ou de \"concierge\" - tel que l'envisageait Balzac, et donc tel qu'il devait l'être à l'époque. Nous discernons alors un métier bien différent, et beaucoup plus prenant, de celui que pratique nos actuels gardiens d'immeubles ou autres concierges. En effet, en plus du ménage des parties communes et du gardiennage des portes, le terme \"gestion\" sous-entend que ce métier incluait également l'encaissement des loyers pour le compte des propriétaires. Pourtant, malgré tous les inconvénients qu'impliquaient l'exercice de ce métier (comme des réveils nocturnes pour ouvrir aux locataires noctambules), il n'était visiblement pas considéré comme fatiguant et par conséquent \"les émoluments\" – autrement dit, le salaire - que touchaient les portiers étaient assez réduits. Leur salaire se composait en partie sur les loyers, comme nous le prouve \"son sou pour livre\", ce qui équivaut à  5% des loyers, mais ils recevaient également une partie de la marchandise adressée aux locataires, tel le bois de chauffage, comme nous l'indique l'expression \"sa bûche prélevée sur chaque voie de bois\". Cependant, leurs revenus ne leur permettant pas de subvenir à tous leurs besoins, nous apprenons qu'ils devaient exercer d'autres activités en parallèle. Ces activités, comme nous le démontre l'industrie de couture dans laquelle s'est lancé Monsieur Cibot, étaient le plus souvent exercées à domicile, dans un souci de compatibilité avec leur activité première de portier. On apprend également que le couple Cibot était l'\"un des plus heureux parmi messieurs les concierges de l'arrondissement\", car ils bénéficiaient d'une \"loge propre et saine\" et \"jouissait du privilège de faire les raccommodages […] de tous les habits dans un périmètre de trois rues\". Ainsi, nous pouvons en déduire que tous les concierges n'étaient pas aussi bien logés que ce couple, et que jouir d'une certaine notoriété dans leur quartier semble être le sommet de la gloire des tailleurs.

 

 

II.              Une description qui a des ambitions scientifiques

 

Lorsque Balzac s'est lancé dans le vaste projet de La Comédie Humaine, son ambition était de décrire toute la société de son époque : toutes les couches sociales ont été dépeintes dans ces quelques 137 ouvrages. Il voulait en effet procéder pour la société de même que Buffon l'avait fait pour la zoologie ; c'est-à-dire classifier et décrire chaque \"Espèce Sociale\", de même qu'on avait pu le faire antérieurement avec les espèces zoologiques. Ainsi, son but premier était avant tout scientifique. Pour y parvenir, il dépeignait des types humains représentatifs de leur milieu de vie ; dans Spécimen de portier (mâle et femelle), c'est un couple de portier, monsieur et madame Cibot, qui sont représentés dans leur lieu de travail, un ancien hôtel parisien. En effet, on remarque que les personnages de ce chapitre du Cousin Pons font de pair avec le milieu dans lequel ils vivent : ils sont relativement âgés pour l'époque, cinquante-huit ans pour monsieur et quarante-huit pour madame, tout comme la devanture de la demeure qui \"avait été bâti lors de la vogue excessive dont a joui le Marais durant le siècle dernier\".

De plus, on remarque que Balzac utilise à plusieurs reprises l'expression de la généralisation, comme avec \"le monde se répète en toute chose partout, même en spéculation\", ou bien \"cinquante-huit ans, c'est le plus bel âge des portiers ; ils se sont faits à leur loge, la loge est devenue pour eux ce qu'est l'écaille pour les huîtres, et ils sont connus dans le quartier.\" ou \"La beauté des femmes du peuple dure peu\", ou encore \"une portière à moustache est une des plus grande garanties d'ordre et de sécurité pour un propriétaire\", bien que cette dernière citation soit d'avantage en relation avec le texte que les précédentes. Ce procédé, caractérisé principalement par l'utilisation du présent de généralisation (en contraste avec le présent et l'imparfait de description également présents dans le texte), permet à l'auteur de rattacher son texte au vaste projet de la Comédie Humaine : autrement dit, cela lui permet de rattacher la situation du couple Cibot et de ce quartier Parisien à tous les autres cas similaires, étendant ainsi le cas de ces deux portiers, de la rue de Normandie et du quartier de l'Europe à tous les autres portiers, concierges et à tous les autres quartiers de Paris et du monde.

            Enfin, on connait Balzac pour être un des précurseurs principaux du mouvement Réaliste. Il était en effet l'un des premiers à dépeindre la réalité sociale et historique à travers ses écrits, et non pas à  rédiger des fictions comme la plupart de ses confrères. Spécimen de portier nous le prouve amplement à travers les allusions aux travaux d'Henry IV lors la Renaissance française, ou encore les nombreux détails qui nous sont apportés sur le métier de portier. De surcroît, les sujets de ce récit (Monsieur et Madame Cibot) font partis de la classe populaire, pas à une classe sociale élevée, ce qui démontre encore une fois le réalisme de ce texte. Nous pouvons ainsi en conclure que Balzac était pris du souci de représenter la réalité des êtres et des choses, les décrivant non pas comme utopiques mais tels qu'ils sont ou pourraient l'être réellement, dans le dessein de concorder à l'ambition de la Comédie Humaine.

 

 

 

III.           Une description romanesque

 

Cependant, malgré son réalisme, ce texte reste un chapitre de roman : les personnages y sont fictifs, bien qu'ils représentent parfaitement l'ensemble des portiers parisiens. Ainsi, nous assistons à un portrait croisé du couple Cibot, concierges parisiens probablement un peu caricaturés par Balzac. Tout d'abord, la phrase \"cette double maison appartenait à monsieur Pilleraut, un octogénaire qui en laissait la gestion à monsieur et madame Cibot, ses portiers depuis vingt-six ans.\" assure la transition entre la description du lieu de travail et la description, ou plutôt la présentation, du couple Cibot. On y apprend leur métier et leur situation, comme nous l'avons déjà étudié antérieurement.

Ensuite nous est décrit monsieur Cibot. Sa description est sommaire et se limite principalement à son aspect physique, replacé dans son environnement : il nous apparait comme un \"petit homme rabougri\", et est également défini par le terme péjoratif \"olivâtre\". Nous relevons aussi quelques détails sur son âge, \"cinquante-huit ans\". Le terme \"l'écaille pour les huîtres\" permet à l'auteur de faire la transition avec le paragraphe suivant, où est décrit madame Cibot comme une \"ancienne belle écaillère\".

            Balzac estimait, dans la préface de la Comédie Humaine, que la femme n'était pas forcément la femelle de l'homme ; ainsi, elle ne devait pas être décrite en seulement quelques phrases comme Buffon l'avait fait avec la lionne. Cela explique la place conséquente que prend la description de madame Cibot, femme différente en tout point de son mari. Dans un premier temps, l'auteur nous expose le passé de cette femme : une \"ancienne belle écaillère\" aux nombreuses aventures amoureuses, qui sont évoquées non sans malice de la part de Balzac comme nous le prouve \"toutes les aventures\", \"sans les  chercher\", \"les bouteilles bus en compagnie des garçons\". Dans un deuxième temps nous découvrons sa description physique, qui est toujours évoqué en relation avec l'histoire du personnage. Nous comprenons effectivement cela à travers les phrases relatives à l'usure rapide de la beauté : \"La beauté des femmes du peuple dure peu, surtout quand elles restent en espalier à la porte d'un restaurant. Les chauds rayons de la cuisine se projettent sur les traits qui durcissent, les restes de bouteilles bus en compagnie des garçons s'infiltrent dans le teint, et nulle fleur ne mûrit plus vite que celle d'une belle écaillère.\". Ces périphrases (\"s'infiltrent dans le teint\" ; \"traits qui durcissent\") nous permettent de conclure à des traits durs et à un visage rougeaud. La dernière partie de sa description apparaît au moment où le roman la concerne : il n'est plus en lien avec son passé. Elle est alors qualifiée de \"grosse dondon\" par la bouche de ses \"rivales\" et l'auteur met un accent sur son embonpoint en mettant en avant la texture de sa chair, comme nous le prouve \"ses tons de chair pouvaient se comparer aux appétissants glacis des mottes de beurre d'Isigny\". Ainsi, madame Cibot ne nous parait pas être très belle : en effet, l'auteur fait mention de sa \"beauté virile\"  et a recours a des références picturales pour qualifier plus précisément le physique de madame Cibot : Rubens, peintre hollandais de l'époque classique, était connu pour peindre des modèles assez dodus. Pour cloturer cette description, Balzac nous donne l'âge du personnage (quarante-huit ans) et se référence à Delacroix en ajoutant le détail, comique, du balais  en attribut de la concierge. Il termine enfin en assimilant, ironiquement, madame Cibot à Bellone, la déesse de la guerre.

 

 

 

 

            Ainsi Balzac parvient, à travers la description romanesque du couple Cibot, portiers parisiens, à nous communiquer de précieuses informations sur le métier qu'ils exerçaient à l'époque ainsi que sur l'histoire de Paris. Malgré cela, ce chapitre du Cousin Pons reste divertissant de part l'absurdité du couple Cibot : on s'interroge sur les tenants et les aboutissants de ce couple, comment deux personnages aussi dissemblables peuvent-ils être associés par le mariage ?

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