Devoir de Philosophie

La raison peut-elle vouloir la violence ?

Publié le 21/01/2004

Extrait du document

L'opinion commune et toute la tradition philosophique classique opposent la raison aux passions : ce serait dans ces dernières que s'enracinerait et s'originerait la violence, tandis que la raison serait précisément l'instance chargée d'éliminer la violence en contrôlant et maîtrisant les passions. Cette vue a été remise en cause par certains qui se sont efforcés de montrer que la raison elle-même pouvait être source de violence. Mais il s'agit de savoir si la raison peut être la cause involontaire d'une violence dont elle ne serait alors pas directement responsable, ou si elle peut vouloir la violence.

« SUPPLEMENT: - On peut d'abord opposer violence et raison, à la façon d'Eric Weil : l'homme violent cherche à imposer son discoursindividuel aux autres, quand l'homme raisonnable cherche à constituer avec les autres un discours universel, valable endroit pour tous les hommes. - Mais la raison est aussi violence : il y a une violence dans la raison, au nom de la raison.

D'abord une violence dans laraison : Kant, dans La critique de la raison pure, a montré que la pensée rationnelle est le lieu d'une guerre permanente,guerre des philosophies opposées et dogmatiques (guerre idéologique qui peut devenir guerre politique).

Violence,ensuite, au nom de la raison : on dit qu'on va ramener à la raison, rendre raisonnable; on construit des institutions de laviolence, asiles, prisons, écoles peut-être (dans certains pays, on envoyait les opposants à l'hôpital psychiatrique).

Voiraussi la raison ethnocentriste. - Mais si l'usage dogmatique ou ethnocentriste de la raison peut-être porteur d'une violence encore plus forte, il fautégalement rappeler que, comme le dit Hegel, “le silence de la raison engendre aussi des monstres” - le fanatisme,l'intégrisme, la superstition (voir cours sur l'irrationnel).

C'est alors peut-être le langage et la communication qui peuventfaire de la raison un moyen de faire régresser la violence et triompher la paix. - Platon, le premier, a vu dans le silence l'origine et la fin de la violence.

Le sophiste, c'est celuiqui dénie à la parole et au discours toute prétention à la vérité et qui s'en fait une armelucrative.

Le sophiste dévie la parole de son sens, puisqu'elle n'a plus pour but d'ouvrir ledialogue à la recherche de la vérité, mais de l'enfermer dans une stratégie de domination.Sophistique qui ne cherche pas à convaincre par l'argumentation logique, mais à persuader, etqui s'engage ainsi dans une comédie de dialogue.

La sophistique repose sur un relativismeindividualiste qui, selon Platon, introduit la démesure dans la cité.

Protagoras enseigne, eneffet, que “l'homme est ma mesure de toute chose”, c'est-à-dire que tout est questiond'appréciation individuelle.

Cette question aboutit au cynisme : si l'individu est la mesure detoute chose, il n'y a plus de commune mesure, donc plus de bien public.

Etre le meilleur revientà être le plus fort et le plus rusé, et la justice, comme le pense Calliclès dans Gorgias, est ladomination du fort sur le faible, c'est-à-dire la violence.

La violence est donc ici conçue comme lerésultat d'une utilisation cynique du langage. - Il faut alors réhabiliter le discours et rétablir le dialogue authentique.

Selon Habermas, si lebut du dialogue ne peut être la vérité (son critère est, au XXème siècle, incertain), l'incertitude objective doit être compensée par un accord intersubjectif.

Cet accord prend la forme d'un consensus qui est à la fois lacondition de possibilité du dialogue et sa finalité.

Par consensus, il faut entendre le choix éclairé d'individus dialoguant,l'accord, la communication transparente.

Il y a deux types d'activités rationnelles : celle qui est orientée vers le succès,celle qui obéit à l'intercompréhension.

Dans la première, les individus se concentrent sur les conséquences de leur action.Ou bien ils agissent sur le monde des objets (activité instrumentale) ou bien ils manipulent les autres, en s'efforçant dedétenir une emprise ou d'exercer un pouvoir sur les discussions de ces derniers (activité stratégique).

Activitéinstrumentale et stratégique sont finalisées par les succès, la réussite, l'adaptation à des objectifs déterminés.

Dans laseconde qu'Habermas nomme activité communicationnelle, le succès n'est pas le but de l'acteur, maisl'intercompréhension, l'accord rationnel obtenu au bout d'une discussion critique et désintéressée.

Là, les partenairesprocèdent en argumentant, et cette argumentation présuppose l'impartialité, la responsabilité des interlocuteurs. - En somme, l'authentique discussion est consensuelle et n'a affaire qu'à des raisons, non point à la menace : elle s'appuiesur la force dépourvue de violence du discours argumentatif.

Or c'est ici que la morale trouve son principe.

Toutecommunication est normative : elle présuppose qu'autrui est une personne, que je ne traite pas comme un objet.

Lacommunication annonce le règne éthique, la reconnaissance des personnes au sein de l'horizon de l'universalisation.

Toutecommunication présuppose une entente entre les membres.

La rationalité communicationnelle fournit un étalon permettantde juger de la transparence des processus sociaux.

Elle permet d'envisager la constitution d'un droit qui suppose uneuniversalisation des intérêts.

Dans le droit comme dans la morale, l'Universel apparaît comme une exigence s'actualisant àl'intérieur de la communication. - S'il y a certes, face à la violence, le dialogue, il s'agit d'une condition nécessaire, mais hélas insuffisante de la paix.

Ledialogue, en effet, a une efficacité variable avec l'interlocuteur (du partenaire à l'adversaire).

Parole en l'air face à la brute,qui n'a pas de parole, et au fanatique qui ne connaît que sa parole, le dialogue s'efface derrière la force publique(nationale ou internationale).

Ici c'est le langage de la violence qui parle.

Mais même le violent est forcé au dialogue : lebelligérant, par exemple, parce qu'il est sensible au langage des armes, à la menace armée que ses reniements font pesersur ses propres intérêts, doit tenir compte des réactions des opinions publiques, nationales ou internationales.

La force dudialogue, c'est qu'il est désarmant.

En obligeant les belligérants à parler et à se parler, il les amène à faire taire leursarmes, en vue d'un désarmement, voire de la paix.

Il y parvient peut-être d'autant mieux qu'il peut faire appel à l'arbitrageultime d'une force armée… - Nécessité aussi de contre-pouvoirs, de discussions parallèles aux discours officiels des institutions, afin de lutter contreles formes de violence subtiles difficilement saisissables par la loi (la loi est elle-même un instrument de pouvoir) : comitésd'action, associations de défense des individus (consommateurs, minorités, etc.). - Nécessité peut-être d'un changement radical de société pour éliminer les causes économiques, sociales, culturelles de laviolence.

La fin de la guerre, par exemple, l'instauration d'une paix perpétuelle, ne passe-t-elle pas, comme le pensent lesmarxistes et les anarchistes, par la disparition ou la suppression des Etats ?. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles