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Le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel

Publié le 28/03/2011

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claudel

 

Publié en 2007, le Rapport de Brodeck est un livre de Philippe Claudel qui a valu à ce-dernier le Prix Goncourt des Lycéens. « Le Rapport de Brodeck est une parabole sur la Shoah, mais surtout sur la culpabilité et la destruction de l'homme par l'homme.« explique Claudel. Il traite en effet avec une remarquable habileté la faiblesse de l’homme et les blessures de l’âme, sur un fond historique qu’il ne nomme jamais. Il nous livre ainsi un témoignage vibrant sur la difficile condition humaine…

                Voici un avis rédigé à propos de cet ouvrage :

 « Voici un livre qu'on lit au bord des larmes, ravagé d'horreur et de tendresse.

Un livre qu'on a envie de relire perversement pour sentir la lame aiguisée du couteau s'enfoncer plus profond, pour s'enfoncer.

Un livre qu'on a envie de relire désespérément pour sentir la lumière qui caractérise les plaies vous surprendre, pour trouver sinon des raisons d'exister du moins des questions existentielles. Un livre qu'on a du mal à quitter tels les contes de notre enfance: « on trouve parfois tellement de choses bizarres dans les livres «.  «

                Nous allons expliquer en quoi cet avis est juste, en l’étayant à l’aide d’éléments précis du texte.

 

 

I. Un livre qui suscite des émotions opposées inspirées par des thèmes antithétiques

               

                1. D’une part, l’horreur et la douleur

 

                Le Rapport de Brodeck nous montre le pire visage des Hommes. Il nous révèle toutes les horreurs dont l’humain est capable et nous dévoile au fil des pages la banalité et l’omniprésence du Mal. Brodeck est un personnage à l’âme pure et différente, et est victime ou témoin toute sa vie durant de la cruauté de ceux qui l’entourent. Il se retrouve tout d’abord orphelin et voit son village réduit en cendres, alors qu’il n’est encore qu’un jeune enfant. Quelques années plus tard, la guerre vient de nouveau troubler sa vie et faire « triompher le médiocre «. Il est trahit par des hommes de son village et son nom est inscrit sur la liste des juifs en partance pour les camps. Parmi ceux qui le dénoncent figure Diodème, un de ses plus proches amis avec qui il s’entend pourtant « comme un frère «. Brodeck est ainsi envoyé aux camps, où il va découvrir l’inhumanité des hommes  dans toute son horreur : après un épuisant voyage sans eau, il est d’abord enfermé dans la büxte, une cage dont la taille ne permet de rester ni debout ni allongé ; vient ensuite l’étape du Scheizeman, durant laquelle il est chargé de vider les latrines à longueur de journée et ce sans protections adaptées ; puis il devient le jouet des gardes et accepte de faire le « Chien Brodeck « pour survivre. Les gardes en charge des prisonniers sont de véritables tortionnaires, capables de mettre en jeu pour se distraire les vies de leurs captifs, qui sont pourtant des hommes au même titre qu’eux ; Brodeck mentionne également la femme du directeur du camp, surnommée « die Zeilenesseniss «, la mangeuse d’âmes, qui défile chaque matin devant les détenus avec un plaisir pervers, son enfant au bras, en exhibant sa beauté inhumaine. Un jour, il reconnait parmi les gardes du camp un homme nommé Ulli Räte avec qui il avait passé « tant de bons moments « lorsqu’ils étudiaient à la Capitale. Les récits du camp prouvent que tout homme, même le plus ordinaire en apparence, peut devenir un bourreau sadique : « l’homme est un loup pour l’homme «. Le lecteur ressent les humiliations infligées à Brodeck, et les déceptions qui sont siennes lorsqu’il s’aperçoit que même ceux qu’il considère comme ses amis sont capables de le trahir et de se comporter avec lâcheté. Pendant l’absence de Brodeck, sa femme Émélia subit un viol terriblement traumatisant dont elle ne se remettra jamais.

 

Aux yeux de (presque) tous, Brodeck doit mourir au camp. Pourtant, il survit : « Mon nom était sur le monument, mais comme je suis revenu, Baerensbourg le cantonnier l’a effacé. «. Après la libération des camps, Brodeck retrouve un monde hostile, dans lequel il n’attire que la curiosité malsaine et la peur : le monde est peuplé par des hommes qui fuient et rejettent la différence, qui traitent leur prochain comme un pestiféré. Dans le livre, on constate que l’animosité et la haine animent constamment un grand nombre d’individus, que ce soit à-travers des gestes sans conséquences graves comme lorsque Göbbler explose sans raison un petit escargot fragile, ou à-travers des crimes bien plus tragiques comme l’assassinat collectif de l’Anderer.

 

                Tout comme Brodeck, l’Anderer (l’autre) est un être différent. Un être trop différent, même. Étranger, d’abord, mais aussi bien trop mystérieux, trop lunaire, trop solitaire, trop attentif à tout ce qui l’entoure, et trop souriant : après avoir attisé la curiosité générale, il déclenche une sourde haine. Elle atteint son paroxysme lorsque cet original expose aux villageois, en guise de cadeau pour leur hospitalité, une série de tableaux représentant chacun d’eux et faisant ressortir leurs « secrets et [leurs] tourments, [leurs] laideurs, [leurs] fautes, [leurs] troubles, [leurs] bassesses. « : une galerie à l’image d’un miroir malvenu, qui renvoie le vrai visage de chaque homme du village. Cet acte ne fait que confirmer la haine et la peur que l’Anderer suscite, et précipite son assassinat : « C’est très curieux la sainteté. Lorsqu’on la rencontre, on la prend souvent pour autre chose, pour tout autre chose, de l’indifférence, de la moquerie, de la conspiration, de la froideur, de l’insolence, du mépris peut-être. On se trompe, et alors on s’emporte. On commet le pire. C’est sans doute pour cela que les saints finissent toujours en martyrs. «.

 

                Brodeck est alors chargé contre son gré de relater les faits, pour justifier cet acte impardonnable qu’il n’a même pas commis. Durant la rédaction de son rapport et des notes qu’il prend parallèlement et en secret, Brodeck est espionné, menacé, traqué.

 

                Témoin passif des comportements ignobles de tous les villageois, le lecteur est un peu plus « ravagé d’horreur « au fur et à mesure qu’il s’enfonce dans le livre et que le livre s’enfonce en lui, à l’image d’un couteau à la lame aiguisée. L’on comprend bien alors comment le curé Peiper a perdu sa foi au fil des années, confronté aux confessions les plus viles de ceux qui l’entourent, et réduit à garder le silence, à jouer « l’homme égout « dans lequel les hommes déversent leurs pires pêchés.

 

                Au-delà de leur rôle de figurants dans le livre, le lecteur pessimiste est forcé de reconnaître dans cet éventail de personnages le mal ambiant qui nous entoure et les différents tourments qui habitent chacun d’entre nous. Brodeck n’a peut-être finalement pas tort lorsqu’il écrit que « nous sommes des plaies qui jamais ne guériront «. Mais le but de la vie n’est-il pas de parvenir à vivre avec nos souffrances, grâce au soutien de ce qui nous entourent ?

 

               

                2. D’autre part, le soulagement et la tendresse

 

                En effet, outre l’horreur qui ravage le lecteur, des sentiments positifs subsistent dans ce texte.

                Brodeck est mené toute sa vie par l’envie de survivre, de vaincre les obstacles qui se dressent en travers de sa route et de poursuivre sa vie pour retrouver ceux qu’il aime. C’est un personnage animé par l’amour qu’il porte à ses « trois trésors « : sa femme Émélia, sa fille Poupchette et la vieille Fédorine. Lorsque Brodeck est persécuté de tout part, leur seule existence lui redonne espoir et lui interdit tout abandon. La reconnaissance qu’il a envers Fédorine, qui a pris soin de lui depuis son enfance, et l’amour qu’il porte à Émélia sont sans borne : ces deux femmes sont des personnages réellement purs qui prouvent que le monde n’abrite pas que des hommes vils. A plusieurs reprises, Brodeck se remémore la femme de sa vie pour se redonner courage, dans de longs paragraphes lyriques qui ne laissent pas le lecteur insensible. Poupchette est quant à elle considérée comme la fille de Brodeck, mais elle est en réalité le fruit du viol d’Émélia, « l’enfant de la souillure « ; elle rappelle l’horreur de la guerre, mais symbolise aussi l’espoir, l’innocence et la vie. Elle parle peu du fait de son jeune âge, mais elle semble constamment joyeuse et transmet sa joie au lecteur qui ne peut réprimer quelques sourires devant certaines répliques ou certaines descriptions de l’enfant.

 

                Moins intense que l’amour mais tout aussi importante, l’amitié qu’entretient Brodeck avec les rares individus qui en sont vraiment dignes l’aide par moments à vaincre l’adversité. Certains personnages se montrent en effet généreux et solidaires. On retient notamment l’épisode du vieil homme qui accueille Brodeck après la libération du camp, alors que tous les autres le fuient et le persécutent ; la mère Pitz fait également preuve de solidarité et de compassion à plusieurs reprises.

 

                Certains personnages n’apportent pas de réel soutient à Brodeck, mais illumine le récit grâce à leur pureté : parmi eux se trouvent Lise, die Keinauge (la sans regard), cousine aveugle et orpheline de l’affreux maire du village qu’il exploite sans scrupule ; le Zungfrost (langue gelée) est également un personnage victime de la méchanceté des autres, mais qui possède un grand cœur : il collecte par exemple de l’argent pour aider Brodeck durant ses études. L’Anderer est lui aussi un personnage pur dont le seul tort a été de révélé aux villageois leurs propres souillures.

 

                A-travers ces différents personnages, le lecteur apprend des notions fondamentales et essentielles pour s’épanouir telles que l’amour, l’amitié, l’espoir, mais aussi le pardon – qui est un acte nécessaire pour avancer, et la solidarité sans laquelle il serait impossible d’évoluer, car nous ne sommes rien sans le soutien des autres. Claudel ranime en nous un fort sentiment de fraternité et nous fait porter un regard plein de tendresse sur ceux qui nous entourent.

 

 

II. Un livre comparable aux contes

 

                1. Une histoire qui laisse place à l’imaginaire

 

                Le Rapport de Brodeck, c'est aussi un conte. L’histoire se déroule dans un village imaginaire qui n’est jamais nommé ni situé, si ce n’est que l’on sait qu’il est « proche de la frontière «. Claudel use de ce flou pour renforcer le côté parabolique du roman, de manière à ce que le lecteur ne s’attache pas à un contexte mais considère avant tout le sujet universel qui y est traité.

                La nature et les monuments qui y font figure d’univers renferment des secrets au même titre que les hommes : les paysages sont d’ailleurs très présents dans l’exposition de l’Anderer.

                Pour renforcer sa parabole, Claudel rythme le récit à force d’analogies avec la nature et la faune. Ces comparaisons entre les humains et les animaux donnent par moment au roman un effet comparable à celui des fables. Il parle par exemple des papillons Rex flammae dont le comportement est finalement extrêmement semblable à celui des hommes : « lorsque tout va bien pour eux, la présence d’un ou de plusieurs individus étrangers à leur groupe ne les dérange pas, peut-être même en profitent-ils d’ailleurs, d’une façon ou d’une autre, mais dès lors qu’un danger se présente, qu’il y va de l’intégrité de leur groupe et de sa survie, ils n’hésitent pas à sacrifier celui qui n’est pas des leurs. « Ce phénomène illustre parfaitement le comportement qu’ont adopté les villageois vis-à-vis de Brodeck lors de la guerre. On peut également citer l’épisode de la mort a priori inexplicable des renards ; cet animal est effectivement une curieuse bête, « qui chasse pour se nourrir « mais est « capable de tuer pour son seul plaisir «. Mais ce sadisme n’est pas le seul trait commun entre le renard et l’homme : Limmat suppose ainsi que, à l’image du nombre affolant d’hommes morts pendant la guerre, les renards se sont peut-être donné la mort pour accomplir une sorte d’imitation macabre des humains.

                L’auteur ponctue également son texte de touches fantastiques. La fin du livre est particulièrement représentative de la magie qui plane autour du village : alors que le chien errant Ohnmeist se transforme en renard, le village disparait derrière Brodeck. On peut interpréter cette fin comme une suggestion de renaissance, de nouveau départ : le mal s’efface et laisse place à de nouveaux horizons…

 

                2. Des personnages proches du mythe

 

                Par ailleurs, le personnage de l’Anderer dans sa globalité semble tout droit sorti d’un conte. Brodeck écrit d’ailleurs qu’il « ne venait réellement de nulle part «, bien qu’il semble parfaitement savoir où il va. Du point de vue de son aspect extérieur, il est « habillé comme pour prendre place dans une vieille fable pleine de poussière et de mots perdus « et exhibe ses jabots, ses souliers brillants, ses redingotes de velours et autres excentricités inappropriées ; il arrive de plus avec un cheval qu’il considère comme son ami, alors qu’au village « on les avait tués depuis longtemps, et mangés. Et depuis la fin de la guerre, on n’avait jamais eu l’idée d’en reprendre. On n’en voulait plus. On leur avait préféré les ânes, et les mules. Des bêtes très bêtes, avec rien d’humain en elles et aucun souvenir sur le dos... «. C’est un homme qui parle très peu, si bien que nul ne connait son nom ; mais s’il n’est pas enclin à se révéler aux autres, il semble capable de lire dans les âmes : il possède un véritable don d’omniscience. C’est donc un personnage on ne peut plus mystérieux, et qui possède de surcroît des dons qui l’excluent du monde réel.

                Brodeck est également un personnage qui se rapproche de la légende : à son retour du camp, il est Orphée revenu des Enfers, guidée par Emélia, sa muette Eurydice. A la fin du livre, il rappelle Énée quittant Troie en feu, son père et son fils sur les épaules.

                Fédorine incarne quant à elle une bonne fée, une mère adoptive qui consacre sa vie entière à protéger ceux qu’elle aime, que ce soit Brodeck depuis son enfance, Émélia après son viol, ou encore la toute jeune Poupchette. Comme dans les récits initiatiques, Claudel met les femmes au centre dans la mesure où ce sont elles qui étoilent les hommes, qui les guident…

 

 

 

III. Un livre qui se vit comme un voyage spirituel

 

                1. Un voyage qui nous plonge au fond des ténèbres, et nous élève vers le rêve

 

                Le Rapport de Brodeck est un voyage sombre au pays de la souffrance et de l’inhumanité dans toute son horreur. Le lecteur ressent par procuration toutes les émotions terribles qui étouffent Brodeck : il accompagne le personnage dans son lent et douloureux voyage vers la désillusion et le désenchantement. Mais si ce livre est capable de ravager quiconque y pénètre, l’auteur revendique que sa littérature est tragique, mais jamais pessimiste : elle montre comment une humanité peut s'orienter vers la lumière, au travers d'une amitié, d'une relation dans laquelle deux êtres isolés peuvent reconstruire quelque chose ensemble, et comment l’amour à lui seul permet de sauver un être du fond des ténèbres pour l’amener vers un futur meilleur.

 

 

                2. Une lecture qui fait réfléchir et amène à des questions essentielles

 

                Plus qu’une critique de l’humanité, il faut voir dans ce livre un appel à la réflexion. Le lecteur est invité à se remettre en question, et à prendre conscience de la valeur de la vie et de l’importance de la tolérance. Le Rapport de Brodeck traite en effet plusieurs questions essentielles.

                Qu’est-ce qui transforme un homme ordinaire en bourreau ? Pour quelles raisons certains hommes sont-ils capables de traiter leur prochain comme le plus vil des animaux ? L’auteur considère notamment ces interrogations dans le cadre de la guerre. On peut alors se demander ce qui pousse certain à l’engendrer, d’autres à collaborer, et d’autres encore à résister et à défendre ce qui leur semble juste. Est-ce la peur qui gouverne le monde, comme le prétend le curé Peiper ? L’homme est-il profondément et définitivement mauvais ? Manifestement non, car s’il existe des hommes cruels et lâches, il existe naturellement  des hommes au cœur pur qui défendent leurs valeurs coûte que coûte. Mais faut-il préférer la sécurité et la facilité en commettant des actes irréparables par lâcheté, ou prendre le risque de se battre pour défendre des idéaux ?

                Se pose également la question de la vérité. Faut-il fermer les yeux pour ne pas risquer de s’attirer des ennuis, ou faut-il au contraire dénoncer haut et fort ce qui nous révolte ? « Ici-bas, mieux vaut ne jamais avoir raison. C’est une chose que l’on vous fait ensuite toujours payer très cher.« déclare Peiper. Faut-il donc malgré tout affronter le passé ou au contraire le balayer pour s’investir dans le présent ? « Qui a raison, de celui qui ne se résout pas à abandonner dans le noir les moments passés, et de celui qui précipite dans l’obscurité tout ce qui ne l’arrange pas « ? « L’Histoire serait-elle une vérité majeure faite de millions de mensonges individuels cousus les uns aux autres « ? « Vivre, continuer à vivre, c’est peut-être décider que le réel ne l’est pas tout à fait, c’est peut-être décider de choisir une autre réalité lorsque celle que nous avons connue devient d’un poids insupportable « ? Mais est-il seulement possible de vivre en ayant commis des gestes irréparables ?

                Vient alors le problème de la culpabilité, des remords et du rôle de la confession. Lorsque le mal est fait, suffit-il de le confesser pour l’effacer ? «  Les hommes sont bizarres. Ils commettent le pire sans trop se poser de questions, mais ensuite, ils ne peuvent plus vivre avec le souvenir de ce qu’ils ont fait. Alors ils s’en débarrassent. « Si la confession peut aider à expier une faute, elle n’a pas le pouvoir d’annuler les crimes à l’infini ni de changer un homme, d’autant plus s’il n’éprouve pas de véritable remords. Certains ont de réels remords, mais comment vivre avec un poids aussi fort ? Une erreur, un geste, un mot, peuvent détruire une vie en une fraction de seconde ; dans certains cas, il n’y a rien qui puisse enlever la culpabilité ressentie par un homme, c’est pourquoi la seule issue envisageable semble la mort, à laquelle s’abandonnent Diodème – après avoir dénoncé son ami Brodeck, ou Kelmar – après avoir causé la mort d’une femme et de son enfant. Comment faut-il alors considérer le suicide ? Faut-il y voir un acte lâche ? Ou au contraire le courage de celui qui se rend compte de ce qu’il a commis et qui décide qu’il ne mérite plus de vivre ?

                A-travers les discussions entre Brodeck et le curé, Claudel aborde aussi le sujet de la religion. Puisque Dieu a crée l’homme, et que cet homme est capable de se comporter en monstre, Dieu existe-t-il  véritablement ? Un être aussi pur et divin aurait-il engendré pareille créature ? Peiper a-t-il raison lorsqu’il dit « qu’Il n’existe pas, ou qu’Il est parti pour toujours, ce qui revient au même : nous sommes seuls, voilà tout « ? Quoiqu’il en soit, Brodeck émet une remarque pertinente : « J’avais alors songé que Dieu, s’il existe encore, était un bien curieux personnage, qui choisit de laisser vivre en toute quiétude des arbres durant des siècles mais qui rend la vie des hommes si brève et si dure. «

                Enfin, sachant tout ce qu’un homme est susceptible d’endurer, l’on peut se poser la question suivante : l’expérience instruit-elle ? La peine, la douleur, la déception ont-elles un rôle ? Sont-elles destinées à prévenir ou à endurcir les hommes ? Il n’existe qu’un moyen de le savoir, et c’est de vivre…

 

 

claudel

« Brodeck est alors chargé contre son gré de relater les faits, pour justifier cet acte impardonnable qu'il n'a même pascommis.

Durant la rédaction de son rapport et des notes qu'il prend parallèlement et en secret, Brodeck est espionné,menacé, traqué.

Témoin passif des comportements ignobles de tous les villageois, le lecteur est un peu plus « ravagé d'horreur » aufur et à mesure qu'il s'enfonce dans le livre et que le livre s'enfonce en lui, à l'image d'un couteau à la lame aiguisée.

L'oncomprend bien alors comment le curé Peiper a perdu sa foi au fil des années, confronté aux confessions les plus viles de ceuxqui l'entourent, et réduit à garder le silence, à jouer « l'homme égout » dans lequel les hommes déversent leurs pires pêchés.

Au-delà de leur rôle de figurants dans le livre, le lecteur pessimiste est forcé de reconnaître dans cet éventail depersonnages le mal ambiant qui nous entoure et les différents tourments qui habitent chacun d'entre nous.

Brodeck n'a peut-être finalement pas tort lorsqu'il écrit que « nous sommes des plaies qui jamais ne guériront ».

Mais le but de la vie n'est-ilpas de parvenir à vivre avec nos souffrances, grâce au soutien de ce qui nous entourent ? 2.

D'autre part, le soulagement et la tendresse En effet, outre l'horreur qui ravage le lecteur, des sentiments positifs subsistent dans ce texte.

Brodeck est mené toute sa vie par l'envie de survivre, de vaincre les obstacles qui se dressent en travers de sa routeet de poursuivre sa vie pour retrouver ceux qu'il aime.

C'est un personnage animé par l'amour qu'il porte à ses « troistrésors » : sa femme Émélia, sa fille Poupchette et la vieille Fédorine.

Lorsque Brodeck est persécuté de tout part, leur seuleexistence lui redonne espoir et lui interdit tout abandon.

La reconnaissance qu'il a envers Fédorine, qui a pris soin de luidepuis son enfance, et l'amour qu'il porte à Émélia sont sans borne : ces deux femmes sont des personnages réellement pursqui prouvent que le monde n'abrite pas que des hommes vils.

A plusieurs reprises, Brodeck se remémore la femme de sa viepour se redonner courage, dans de longs paragraphes lyriques qui ne laissent pas le lecteur insensible.

Poupchette est quantà elle considérée comme la fille de Brodeck, mais elle est en réalité le fruit du viol d'Émélia, « l'enfant de la souillure » ; ellerappelle l'horreur de la guerre, mais symbolise aussi l'espoir, l'innocence et la vie.

Elle parle peu du fait de son jeune âge,mais elle semble constamment joyeuse et transmet sa joie au lecteur qui ne peut réprimer quelques sourires devantcertaines répliques ou certaines descriptions de l'enfant.

Moins intense que l'amour mais tout aussi importante, l'amitié qu'entretient Brodeck avec les rares individus qui ensont vraiment dignes l'aide par moments à vaincre l'adversité.

Certains personnages se montrent en effet généreux etsolidaires.

On retient notamment l'épisode du vieil homme qui accueille Brodeck après la libération du camp, alors que tousles autres le fuient et le persécutent ; la mère Pitz fait également preuve de solidarité et de compassion à plusieurs reprises.

Certains personnages n'apportent pas de réel soutient à Brodeck, mais illumine le récit grâce à leur pureté : parmi euxse trouvent Lise, die Keinauge (la sans regard ), cousine aveugle et orpheline de l'affreux maire du village qu'il exploite sans scrupule ; le Zungfrost (langue gelée ) est également un personnage victime de la méchanceté des autres, mais qui possède un grand cœur : il collecte par exemple de l'argent pour aider Brodeck durant ses études.

L'Anderer est lui aussi un personnagepur dont le seul tort a été de révélé aux villageois leurs propres souillures.

A-travers ces différents personnages, le lecteur apprend des notions fondamentales et essentielles pour s'épanouirtelles que l'amour, l'amitié, l'espoir, mais aussi le pardon – qui est un acte nécessaire pour avancer, et la solidarité sanslaquelle il serait impossible d'évoluer, car nous ne sommes rien sans le soutien des autres.

Claudel ranime en nous un fortsentiment de fraternité et nous fait porter un regard plein de tendresse sur ceux qui nous entourent.

II.

Un livre comparable aux contes 1.

Une histoire qui laisse place à l'imaginaire Le Rapport de Brodeck , c'est aussi un conte.

L'histoire se déroule dans un village imaginaire qui n'est jamais nommé ni situé, si ce n'est que l'on sait qu'il est « proche de la frontière ».

Claudel use de ce flou pour renforcer le côté parabolique duroman, de manière à ce que le lecteur ne s'attache pas à un contexte mais considère avant tout le sujet universel qui y esttraité.

La nature et les monuments qui y font figure d'univers renferment des secrets au même titre que les hommes : lespaysages sont d'ailleurs très présents dans l'exposition de l'Anderer.

Pour renforcer sa parabole, Claudel rythme le récit à force d'analogies avec la nature et la faune.

Ces comparaisonsentre les humains et les animaux donnent par moment au roman un effet comparable à celui des fables.

Il parle par exempledes papillons Rex flammae dont le comportement est finalement extrêmement semblable à celui des hommes : « lorsque tout va bien pour eux, la présence d'un ou de plusieurs individus étrangers à leur groupe ne les dérange pas, peut-être même. »

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