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Le relativisme: Peut-on dire a chacun sa vérité ?

Publié le 22/02/2012

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Lorsque l'orateur dit : « à chacun sa vérité «, il semble critiquer la tolérance contre le fanatisme, alors qu'en réalité il cherche à imposer son opinion en les privant de tout repère et en manipulant l'esprit des autres. De même, si chaque homme « est la mesure de toute chose «, si toutes les opinions se valent et valent toutes comme vérité, pourquoi écouter Protagoras? S'il dit vrai, il le dit comme vérité universelle, et par là même il dément ce qu'il expose. La formule «à chacun sa vérité« n'est donc pas dépourvue d'équivoque, voire de contradictions. Que signifie-t-elle au juste et que vaut-elle? Peut-on l'accepter? À quelles conditions la vérité semble-t-elle s'effriter en une multiplicité de vérités singulières? Est-il, oui ou non, contradictoire de parler de vérités singulières, plurielles, relatives? Au regard de quelle définition de l'essence de la vérité? Élucidons tout d'abord ce qui peut donner sens à une telle formule, voire la justifier. Cette formule proverbiale de la « sagesse des nations « doit d'abord s'autoriser de l'expérience.


« d'appréhender la vérité, c'est à elle, comme faculté de mesure et faculté des normes, de discerner, le vrai du faux.Or, dire comme Protagoras que la science se réduit à la sensation et que chacun « est mesure de toute chose »,c'est brouiller tous les repères : si tout le monde a raison, alors personne n'a raison.

S'il n'y a plus de communemesure, alors il n'y a plus de mesure du tout.

En effet, mesurer les choses c'est les rapporter par la pensée à desnormes communes.

Dire «à chacun sa vérité» annule donc l'idée que les hommes par leur commune raison puissents'accorder sur quelque chose de vrai.

Pourtant, là encore, la formule s'avère, à l'examen, contradictoire : si desvérités particulières se contredisent, c'est que parmi elles il en est de vraies et de fausses.

En effet, si deuxaffirmations sont contradictoires, elles ne peuvent être ni vraies ni fausses en même temps.

La vérité de l'uneimplique nécessairement la fausseté de l'autre et réciproquement.

Il faut donc départager, trier.

Mais où trouver lecritère de ce départage ? Toute tentative pour transformer une «vérité» particulière en critère universel ne peutque relever de l'arbitraire.

Seule la raison transcendant les «vérités» particulières peut fournir .a norme de cedépartage.

On l'aura compris, ces «vérités» particulières usurpent .e nom de vérité et ne sont au fond que desopinions.

Et l'opinion de chacun est bel et bien insuffisante à déterminer la vérité, car l'opinion est insuffisante àfournir la norme apte à trancher les contradictions qu'elle recèle.

Troisième paradoxe, donc : ce que l'on revendiquele plus fort comme sa vérité, c'est au fond son opinion, son préjugé.

Il est en effet paradoxal que ceux qui neréfléchissent pas de façon personnelle, qui véhiculent à leur insu les idées reçues des autres, qui adhérent sansrecul à une idéologie dominante, persistent à appeler ces pensées dont ils ne sont pas les auteurs «leur» vérité.

Ilss'approprient les vérités des autres, sans chercher a les comprendre ni à les approcher par un effort personnel, etles nomment «leurs» vérités.

Dans ces conditions, «à chacun sa vérité» revient bien à dire «à chacun sespréjugés».

Pourtant la connaissance de la vérité doit être le produit d'un effort personnel.

Et, en toute rigueur, unevérité n'est au contraire ma vérité que lorsque je me suis donné les raisons d'y adhérer, que lorsque je l'ai faitemienne par mon propre effort : c'est par moi et pour moi qu'une démonstration est probante, ou une évidenceLumineuse.

Mais cet effort personnel de pensée a une dimension universelle : tout autre faisant le même effort quemoi peut s'approprier la même vérité.

La formule sophistique « à chacun sa vérité » n'est donc pas acceptable.

Ellel'est d'autant moins qu'elle conduit à des conséquences inquiétantes : si le corps est critère de toute valeur, pourchacun sa sensation devient critère du vrai, son plaisir critère du bien, sa force critère du droit.

Si la vérité n'estpas une et universelle, force et ruse feront la différence.

Tournons-nous alors du côté de ce qui fait l'essence de lavérité : est-elle une et universelle comme notre raison l'exige? Penser la vérité en son essence nous autorise-t-il àinvalider définitivement l'idée d'une vérité qui serait multiple et relative ?Notre raison exige pour la connaissance un objet stable, intelligible, communicable.

Comme le montre avec forcePlaton, à l'aube de la philosophie.

Or si la science se réduit à la sensation, un tel objet d'accord ne peut être trouvé.Il faut donc qu'au-delà des apparences sensibles, et à leur fondement, se trouve un univers d'idées-normes plus réelque l'univers matériel et sensible.

Le dialogue socratique entend montrer pratiquement qu'au-delà de la diversitécontradictoire des opinions particulières, les hommes peuvent communier en une vérité qui leur est intérieure et qui,dans son universalité et son absoluité, transcende leurs points de vue particuliers et relatifs.

Il faut pour autantpasser de la multiplicité sensible à l'unité de l'essence intelligible, comme le font par exemple les participants duBanquet, à propos de l'amour.

Mais ce qui rend possible cet arrachement à la mobilité et relativité de l'opinion, c'estl'appel du Bien, dont l'âme est parente.

Savoir c'est se ressouvenir, connaître, c'est reconnaître.

A-letheia, en grec,signifie ce qui a été arraché à l'occultation de l'oubli (lèthè) et seule la lumière issue du Bien donne à l'intelligible sonplein pouvoir de se dévoiler à l'intelligence, et à l'intelligence son plein pouvoir d'acuité.

La vérité, avant d'êtreacuité du jugement, avant d'être rencontre adéquate de l'âme et de son objet, est ici la pure dimension deluminosité qui rend cette acuité et cette rencontre possibles.

Connaître, c'est voir ce qui est rendu visible à lalumière du principe.Mais si notre raison exige une vérité une et universelle, ne prend-elle pas ses exigences pour des évidences ? Ilserait évidemment satisfaisant et rassurant que le vrai soit ce qui corresponde à nos exigences rationnelles etraisonnables.

Mais ce n'est pas parce qu'elle nous sauve du pire - l'univers sophistique - qu'une doctrine est vraie.Nécessité morale n'est pas nécessité logique, encore moins nécessité ontologique.

Platon semble bien, comme lesoupçonne Nietzsche, avoir hypostasié nos espérances, c'est-à-dire conféré illusoirement une réalité absolue à cequi n'est qu'une fiction relative à nos besoins.

L'idée d'une vérité absolue, universelle ne serait qu'une idole, c'est-à-dire une image prise pour la chose même, parce qu'elle correspond à nos désirs et à nos craintes.

Au fondement dudésir de vérité, on peut en effet voir, avec Nietzsche, l'instinct de crainte à l'½uvre : on veut trouver parmi tout cequ'il y a d'énigmatique et de complexe, quelque chose qui ne soit plus objet d'inquiétude.

Connaître est ainsireconnaître, réduire l'inconnu au connu, l'autre au même, la différence à l'identité.

Ainsi l'essence, identique à elle-même, une, éternelle, nous met-elle à l'abri de tout ce qui nous fait souffrir : les complexes diversités, le multiple, lepérissable.

Pour poétiques qu'elles soient, toutes les métaphores analogiques développées dans la Républiquerelèvent d'une option moralisatrice.Ainsi, ce qu'on appelle la vérité depuis Platon n'est « qu'une multitude mouvante de métaphores, de métonymies,d'anthropomorphismes, bref une somme de relations humaines qui ont été poétiquement [...] transposées»(Nietzsche, Le Livre du philosophe}.

La vérité est construction humaine, trop humaine pour se prétendre le point devue absolu et total qui épuiserait l'être.

Il faut donc penser la vérité comme plurielle et relative, et toutefois donnerà la formule « à chacun sa vérité » une autre dimension, qui ne serait plus sophistique.

Vérité plurielle, car si l'êtreest comme un texte à interpréter, aucune interprétation ne peut prétendre épuiser sa riche équivocité : il faut voirle monde par « cent yeux », multiplier les perspectives, pour éviter les pires faux sens et contresens dupragmatisme vital et de l'erreur utile.

Vérité relative, car la connaissance est, comme l'a montré Kant, par définitionrelation : loin que dans la connaissance le sujet s'approprie un en-soi absolu, c'est le sujet qui construit laconnaissance en lui donnant la forme :e sa subjectivité.

Mais vérités plurielles et relatives ne signifie pas iciscepticisme paresseux ou relativisme démissionnaire.

D'abord, parce que le texte du monde est, et ne se résout pasen une poussière d'interprétations subjectives.

L'interprétation a affaire à un être complexe, certes, mais qu'elle necrée pas.

Ensuite, parce que toutes les interprétations ne se valent pas : valent davantage celles qui sont. »

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