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Une religion civile

Publié le 31/05/2011

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religion

 

«  [1] Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures; car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. [2] C'est pourquoi celui qui s'oppose à l'autorité résiste à l'ordre que Dieu a établi, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes ». Voici les deux premiers versets du chapitre XIII de l’Epître aux romans de Paul.

Nous traitons ici de la religion civile. Le terme de religion vient du latin religio. Ce terme, à son tour, vient-il de religare, « relier » ou religere, « recueillir de nouveau », « rassembler » ? Il est difficile de trancher. Ces deux postes étymologiques renvoient en tout cas au double aspect de la religion : à la fois piété qui relie les hommes à la divinité, et pratique rituelle institutionnalisée. La religion est ainsi couramment définie comme un ensemble de croyances et de rites comprenant un aspect subjectif (le sentiment religieux ou la foi) et un aspect objectif (des cérémonies, des institutions, éventuellement une Eglise). La religion est un phénomène remarquable à la fois par son universalité et sa diversité. Il existe en effet de multiples formes de religion, dans le temps comme dans l’espace – mais le fait religieux n’en est pas moins universel : il n’est pas une société où l’on ne puisse repérer, sous une forme ou sous une autre, des manifestations de la vie religieuse. Or, nous abordons ici la notion de « religion civile » qui diffère quelque peu de la notion plus générale de religion. La religion civile est la religion instituée par le souverain dans le cadre de l’Etat républicain. Nous pouvons donc nous demander si une religion civile peut exister légitimement.

 

 

            Dans une première partie, nous abordons la notion de religion civile instituée par Jean-Jacques Rousseau dès 1762 dans Du contrat social.

 

Rousseau analyse, dans Du contrat social (1762), les principes du droit politique : qu’est-ce qui peut rendre l’autorité politique légitime, étant donné que les hommes naissent libres et égaux ? Seule une convention fondamentale peut légitimer l’autorité politique. Par celle-ci, conçue comme un pacte d’association, le peuple se constitue comme tel. Il en résulte que seule la volonté générale peut exercer la souveraineté, et que la loi, qui est l’unique pouvoir souverain, en est l’expression directe. Par le contrat social, l’homme naturel abandonne sa liberté primitive : il n’agit plus égoïstement en vue de son intérêt privé, mais il agit désormais en vue de l’intérêt public, en se mettant « sous la suprême direction de la volonté général », à laquelle il doit obéir sans réserve. C’est l’Etat qui forme alors une nouvelle unité, trans-individuelle, un « moi commun ». Comment éviter, dans ces conditions, le despotisme, c'est-à-dire le sacrifice de l’individu à la toute puissance de l’Etat ? Précisément par le fait que la volonté souveraine est générale. De sorte que les hommes, en perdant leur indépendance naturelle, restent aussi libres qu’auparavant puisque, obéissant à la loi publique, ils obéissent à la loi qu’ils se sont eux-mêmes fixée. 

 

Dans le livre IV, le chapitre VIII intitulé « De la religion civile » étaye la thèse de son ouvrage. Rousseau distingue la religion naturelle et religion civile. La religion naturelle, que Rousseau pense sur le modèle stoïcien, repose sur trois dogmes : l’existence d’une première cause qui est origine des mouvements physiques sans lui-même être matériel ; l’intelligence de cette cause qui a agi en suivant des lois ; la croyance en l’immortalité de l’âme. Rousseau ajoute que cette religion naturelle, purement individuelle ou intérieure, est suffisante à l’accomplissement de l’homme. Venons-en à présent à la religion civile. Rousseau souligne dans Le contrat social que pour être bien constitué, un État doit posséder une religion qui soit commune à l’ensemble ou du moins au plus grand nombre des citoyens. Mais si l’on observe ce qu’ont réalisé les Anciens, on remarque que la « religion nationale » ne devient finalement rien d’autre qu’une défense acharnée de la Cité avant même tout souci de conservation. Les religions nationales se définissent ainsi par leur intolérance, elles outrepassent les limites de ce que permet la morale, s’opposent aux dogmes de celles-ci et par conséquent entrent en contradiction avec la religion naturelle que tout homme porte en lui. Pour éviter ce « drame », il faudra énoncer les règles d’une religion civile : chaque citoyen fera ainsi profession de foi civile qui devra permettre d’assurer la sociabilité, l’amour de l’autre, etc. Par conséquent, la religion civile est selon Rousseau, la religion civile est la religion instituée par le souverain dans le cadre de l’Etat républicain. Son objectif est de conférer un caractère sacré à des institutions qui ne le sont pas, puisqu’elles procèdent d’une convention (le « contrat social »). La religion civile comporte un petit nombre de dogmes positifs (c'est-à-dire de prescriptions), simples et précis : croyance en l’existence d’une divinité puissante et bienveillante, châtiment pour les méchants, justice pour les meilleurs… Cette religion imaginaire tolère tous les cultes et ne proscrit rien…, si ce n’est l’intolérance.

 

De plus dans sa démonstration, Rousseau ajoute que les hommes étaient d'abord gouvernés par les Dieux. Les guerres de religion étaient inexistantes, puisque toute l'organisation, toute la vie était régulé par la religion. Mais l'émergence des religions monothéiste a bouleversé cette organisation. Rousseau affirme ici d'ailleurs sa préférence pour le Christianisme «d'Evangile», car elle crée un lien social entre les hommes (ils sont tous frères, fils du même Dieu) et est une religion véritablement spirituelle. Le droit que le pacte social donne au souverain sur les sujets ne passe point, comme je l'ai dit, les bornes de l'utilité publique. Les sujets ne doivent donc compte au souverain de leurs opinions qu'autant que ces opinions importent à la communauté. Or il importe bien à l'État que chaque citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses devoirs; mais les dogmes de cette religion n'intéressent ni l'État ni ses membres qu'autant que ces dogmes se rapportent à la morale et aux devoirs que celui qui la professe est tenu de remplir envers autrui. Chacun peut avoir, au surplus, telles opinions qu'il lui plaît, sans qu'il appartienne au souverain d'en connaître : car, comme il n'a point de compétence dans l'autre monde, quel que soit le sort des sujets dans la vie à venir, ce n'est pas son affaire, pourvu qu'ils soient bons citoyens dans celle-ci. Il y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiments de sociabilité sans lesquels il est impossible d'être bon citoyen ni sujet fidèle. Sans pouvoir obliger personne à les croire, il peut bannir de l'État quiconque ne les croit pas; il peut le bannir, non comme impie, mais comme insociable, comme incapable d'aimer sincèrement les lois, la justice, et d'immoler au besoin sa vie à son devoir. Que si quelqu'un, après avoir reconnu comme ne les croyant pas, qu'il soit puni de mort; il a commis le plus grand des crimes, il a menti devant les lois. Et comme nous l’avons déjà dit, les dogmes de la religion civile doivent être simples, en petit nombre, énoncés avec précision, sans explications ni commentaires

 

Cependant, Rousseau explique  qu'une République  Chrétienne est impensable, car cette religion est une religion d'esclave, car «elle ne prêche que servitude et dépendance». Rousseau rejette donc l'idée d'une religion nationale.

 

 

 

 

Dans une deuxième partie nous étudions les limites de la thèse de Rousseau à la lumière de la thèse de John Locke dans sa Lettre sur la tolérance datant de 1686.

 

« Comment les hommes peuvent-ils vivre ensemble en paix ? » : telle est la grande question qui anime les écrits politiques de Locke – qui, rappelons-le, eut à subir les méfaits de la guerre civile en Angleterre. Locke répond, les hommes possèdent, en tant qu’être raisonnables, une conscience morale fondée en Dieu et qui leur dicte leurs obligations. Chacun est donc directement et individuellement responsable devant Dieu de ce qu’il fait et de ce qu’il croit ; le pouvoir politique ne peut en aucune façon imposer un culte déterminé. Locke prône la tolérance des différentes croyances religieuses ; mais il n’y a pas de tolérance qui vaille pour l’athéisme, car celui-ci, en dispensant de tout engagement et de toute obligation, romprait le lien social. La tolérance est un principe fondé sur l’égale liberté et dignité des convictions, qui exige de ne pas contraindre une opinion lorsqu’elle est contraire à la sienne. Le principe de tolérance s’est développé dans le monde intellectuel européen de la fin du XVIIe siècle et pendant tout le XVIIIe siècle, notamment grâce à Pierre Bayle, Locke et Voltaire, dans le contexte de répression religieuse subie par les protestants depuis la révocation de l’édit de Nantes (1685). La tolérance est un principe de raison qui repose sur l’idée du libre examen en vue de la recherche de la vérité.

 

« Monsieur, Puisque vous jugez à propose de me demander quelle est mon opinion sur la tolérance que les différentes sectes des chrétiens doivent avoir les unes pour les autres, je vous répondrai franchement qu’elle est, à mon avis, le principal caractère de la véritable Eglise ». Se vanter de son titre, de la pompe de son culte extérieur, de la réformation de sa discipline, de l’orthodoxie de sa foi… est pour Locke des preuves de l’envie que les hommes ont de dominer les uns sur les autres  et non des marques de l’Eglise de Jésus-Christ. En effet, pour Locke, le but de la véritable religion est toute autre chose : elle n’est pas instituée pour établir une vaine pompe extérieure, ni pour mettre les hommes en état de parvenir à la domination ecclésiastique, ni pour contraindre par la force ; elle nous est plutôt donnée pour nous engager à vivre suivant les règles de la vertu et de la piété.

A l'inverse de Hobbes qui considérait qu'avoir une unique religion était une condition nécessaire pour une société efficace, Locke considère que la multiplicité des religions est un moyen de prévenir les troubles dans la société. Il considère ainsi que les troubles dans la société naissent de la volonté étatique d'empêcher l'exercice de différentes religions, là où il serait préférable de les tolérer. Ainsi, Locke distingue « ce qui regarde le gouvernement civil, de ce qui appartient à la religion, et de marquer les justes bornes qui séparent les droits de l'un et ceux de l'autre »[]. Il considère que le gouvernement et l'Eglise remplissent des fonctions différentes et ne doivent donc pas être mélangés. « L’Etat, selon mes idées, est une société d’hommes instituée dans la seule vue de l’établissement, de la conservation et de l’avancement de leurs intérêts civils ». Locke avance alors trois arguments pour démontrer que le gouvernement ne doit pas se mêler du salut des âmes. Tout d’abord, il considère que les individus ne peuvent pas déléguer à l'Etat le soin de s'occuper de leur âme. Puis il remarque que l'exercice de la force ne peut pas contraindre les âmes, mais juste amener à l'obéissance. Enfin, Locke montre que même si la coercition pouvait persuader quelqu'un de quelque chose, Dieu ne force pas les individus contre leur volonté. Par le mot d’Eglise il entend une société d’hommes, qui se joignent volontairement ensemble pour servir Dieu en public, et lui rendre le culte qu’ils jugent lui être agréable, et propre à leur faire obtenir le salut.

Cependant, la tolérance de Locke rencontre des limites : les athées. En effet les engagements qui sont la base de toute société n’ont aucun effet sur une athée selon Locke. « Ceux qui nient l’existence d’un Dieu, ne doivent pas être tolérés, parce que les promesses, les contrats, les serments et la bonne foi, qui sont les principaux liens de la société civile, ne sauraient engager un athée à tenir sa parole ». En d’autres termes, pour Locke, les athées n’ont aucun support pour tirer une quelconque morale. Par conséquent, seule une église qui prêche la tolérance peut être autorisée dans une telle société.

 

 

Pour conclure, nous pouvons dire que selon Rousseau,  il y a dans une religion civile légitime une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles comme sentiments de sociabilité sans lesquels il serait impossible d’être bon citoyen ni sujet fidèle. Le seul dogme négatif de la religion civile pour lui légitime, est l’intolérance. Par conséquent, l’intolérance civile et l’intolérance théologique sont inséparables. « il est impossible de vivre en paix avec des gens qu’on croit damnés ; les aimer serait haïr Dieu qui les punit ». Partout où l’intolérance théologique est admise, il est impossible qu’elle n’ait pas quelque effet civil. « Maintenant qu’il n’y a plus et qu’il ne peut plus y avoir de religion nationale exclusive, on doit tolérer celles qui tolèrent les autres, autant que leurs dogmes n’ont rien de contraire aux devoirs du citoyen ». En revanche, Locke réfute la thèse d’une religion unique comme condition d’une société efficace. Il prône alors la tolérance. Une religion civile unique n’est pas alors pas nécessairement légitime.

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