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[Les retrouvailles] CANDIDE DE VOLTAIRE (lecture analytique du chapitre XXIX)

Publié le 05/07/2011

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voltaire

Les premiers objets qui se présentèrent furent Cunégonde et la vieille, qui étendaient des serviettes sur des ficelles pour les faire sécher. Le baron pâlit à cette vue. Le tendre amant Candide, en voyant sa belle Cunégonde rembrunie, les yeux éraillés, la gorge sèche, les joues ridées, les bras rouges et écaillés, recula de trois pas, saisi d'horreur, et avança ensuite par bon procédé. Elle embrassa Candide et son frère; on embrassa la vieille : Candide les racheta toutes deux. Il y avait une petite métairie dans le voisinage; la vieille proposa à Candide de s'en accommoder, en attendant que toute la troupe eût une meilleure destinée. Cunégonde ne savait pas qu'elle était enlaidie, personne ne l'en avait avertie; elle fit souvenir à Candide de ses promesses avec un ton si absolu que le bon Candide n'osa pas la refuser. Il signifia donc au baron qu'il allait se marier avec sa sœur. «Je ne souffrirai jamais, dit le baron, une telle bassesse de sa part, et une telle insolence de la vôtre; cette infamie ne me sera jamais reprochée : les enfants de ma sœur ne pourraient entrer dans les chapitres d'Allemagne. Non, jamais ma sœur n'épousera qu'un baron de l'Empire.« Cunégonde se jeta à ses pieds, et les baigna de larmes; il fut inflexible. «Maître fou, lui dit Candide, je t'ai réchappé des galères, j'ai payé ta rançon, j'ai payé celle de ta sœur; elle lavait ici des écuelles, elle est laide, j'ai la bonté d'en faire ma femme; et tu prétends encore t'y opposer! Je te retuerais si j'en croyais ma colère. - Tu peux me tuer encore, dit le baron, mais tu n'épouseras pas ma sœur de mon vivant. «

Après un séjour en France, Candide arrive à Venise. Il y poursuit son enquête sur l'homme par une visite chez le riche Pococurante qui, sous une apparence de bonheur, cache un cœur sceptique et blasé. Après l'optimisme et le pessimisme, Candide découvre le scepticisme, qui consiste, devant l'absurdité de l'existence, à douter de toutes les valeurs. Mais Pocorurante (nom qui signifie en italien : «qui se soucie peu des choses«) à force de tout remettre en question ne s'intéresse plus à rien. Dans son riche palais vénitien, il traîne son ennui de vivre et un dégoût généralisé. Comme l'optimisme aveugle ou le pessimisme radical, le scepticisme absolu conduit donc au malheur.   

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« • Le registre réalisteLe langage réaliste représente crûment le côté matériel des choses.

Il s'oppose au raffinement de la langue desromans sentimentaux où les aspects grossiers de la vie sont toujours voilés.

L'expression «la vieille» (l.

10) pourdésigner une personne âgée est familière et peu respectueuse.

«Étendre des serviettes sur des ficelles pour les fairesécher» (l.

2-3) ou «laver des écuelles» (l.

28) ne sont pas des actions qui conviennent à la dignité d'une héroïneuniquement préoccupée de son amour.

Cunégonde n'a d'ailleurs plus rien de l'amante idéale, «elle est laide» (l.

28-29) et inspire «l'horreur» (l.

8).

Son portrait est d'un réalisme anatomique et sans pitié (l.

5-7).

«Rembrunie» (l.

5)veut dire que la jeune femme a un teint qui tire sur le brun; or, au dix-huitième siècle, avoir la peau hâlée est unepreuve qu'on n'appartient pas au grand monde.

Avoir «les yeux éraillés» (l.

6) signifie avoir les yeux injectés desang.

«Écaillés» (l.

7) dans l'expression «bras (...) écaillés» suggère que les bras ont été pelés sous l'action du soleilou desquamés à la suite d'une maladie.«Maître fou» (l.

26) est une expression du langage familier et bas : elle veut dire qu'on est fou au dernier degré.

Laformule : «je t'ai réchappé» (l.

26-27) dans le sens de «je t'ai soustrait à», est rare et inusitée; elle appartient aussiau langage populaire.

Quant à «retuer» dans la phrase «je te retuerais» (l.

30), il s'agit d'un néologisme [créationd'un mot nouveau] qui exprime d'une façon agressive et directe la colère de Candide.Ce vocabulaire réaliste mêlé au langage soutenu des romans sentimentaux produit un effet comique.

Notons quel'opposition des deux registres recouvre le conflit du baron et de Candide : la grandiloquence du noble est battue enbrèche par le langage familier et cru du roturier [personne qui est de condition inférieure sous l'Ancien Régime]. Étude des thèmes • Le thème de l'amourIl est un des moteurs de l'action.

Les pérégrinations de Candide sont en effet animées par le désir de «revoirmademoiselle Cunégonde».

Mais celle pour laquelle il a parcouru le monde est devenue une créature «enlaidie» (l.15) et repoussante: «Candide, en voyant sa belle Cunégonde...

recula de trois pas, saisi d'horreur» (l.

5-8).

Auchapitre VIII, encore aveuglé par son désir, il l'aimait passionnément, malgré la vie grossière et avilissante qu'ellemenait.

Maintenant son rêve d'amour est bien fini : il avance vers elle seulement «par bon procédé» (l.

8), et il nedécide de l'épouser que pour tenir «ses promesses» (l.

16).

Il a donc vécu dans l'illusion pour un être qui necorrespondait nullement à l'image pure et parfaite qu'il se faisait de l'amour.

Cunégonde étendant du linge (l.

2) oulavant des écuelles (l.

28) le met enfin devant une réalité irréfutable.La conclusion à laquelle nous invite Voltaire est que l'amour romanesque est une illusion complète qui ne peut menerqu'au malheur, car elle préexiste à l'expérience.

Le roman s'est attaché à ruiner à travers le personnage deCunégonde cette fausse conception de l'amour.

Mais cette entreprise destructrice n'est pas entièrement négative.Malgré sa répulsion, Candide épouse Cunégonde.

Cela veut dire que commencent entre eux des relations peut-êtredérisoires, mais qui correspondent à la vérité des faits.

Si donc l'amour existe, il ne doit pas être la projection sur lavie d'une vision romanesque de la passion, vision inévitable quand on est jeune, mais l'acceptation lucide de laréalité avec ses imperfections.

On ne peut cependant aboutir à cette sagesse qu'après avoir beaucoup souffertcomme Candide. • Le thème du pouvoirCe texte marque la fin du règne nobiliaire incarné par le baron de Thunder-ten-tronckh et la conquête du pouvoirpar Candide.

Il n'est plus l'enfant docile qui acceptait l'ordre établi, mais un homme mûr qui tient tête à l'arrogancede son ancien maître.

Le tutoiement dont il use pour lui parler et la fermeté du ton de ses propos (l.

26 à 31)montrent que le rapport de supériorité s'est inversé en sa faveur et qu'il a désormais l'initiative et le contrôle de lasituation.Cela n'empêche d'ailleurs pas le baron de camper obstinément sur ses positions : «Tu peux me tuer encore (...) maistu n'épouseras pas ma sœur de mon vivant» (l.

31-33).

Voltaire apporte ici une conclusion à sa critique de lanoblesse à laquelle il reproche son immobilisme et sa prétention.

Grâce aux derniers diamants d'Eldorado, Candidepossède un pouvoir objectif, mais le baron s'acharne à vouloir conserver l'autorité, bien qu'il soit devenu un galérienpauvre et asservi.

Depuis le début du roman, il n'a pas varié sur la question du mariage de sa sœur avec Candide.Cet immobilisme et cet aveuglement sont pour Voltaire caractéristiques de la noblesse en cette seconde moitié dudix-huitième siècle.

Elle s'accroche coûte que coûte à ses privilèges sans voir que la bourgeoisie, enrichie par letravail, a un pouvoir grandissant.

La Révolution de 1789 ne fera que confirmer sur le plan politique une situation déjàmûre économiquement.Il est intéressant à cet égard de souligner dans notre texte le rôle de l'argent qui transforme la condition sociale deCandide et lui permet de contrôler la situation.

Il «rachète» (l.

10) Cunégonde et la vieille; il achète «une petitemétairie» (l.

11) pour accueillir ses compagnons; il ne manque pas enfin de rappeler au baron sa supérioritéfinancière : «J'ai payé ta rançon, j'ai payé celle de ta sœur» (l.

27-28).

Le transfert des richesses a donc changé lerapport social : parce qu'il est riche et le baron pauvre, Candide peut prétendre épouser Cunégonde.

Son autoriténouvelle se fonde donc sur un pouvoir économique. Étude du style. »

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