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Le Rêve de D'Alembert

Publié le 05/04/2011

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alembert

   Je suis donc tel parce qu'il a fallu que je fusse tel. Changez le tout, vous me changez nécessairement, mais le tout change sans cesse... L'homme n'est qu'un effet commun, le monstre qu'un effet rare; tous deux également naturels, également nécessaires, également dans l'ordre universel et général... Et qu'est-ce qu'il y a d'étonnant à cela?    Tous les êtres circulent les uns dans les autres, par conséquent toutes les espèces... tout est en un flux perpétuel... Tout animal est plus ou moins homme ; tout minéral est plus ou moins plante ; toute plante est plus ou moins animal. Il n'y a rien de précis en nature... Le ruban du père Castel... Oui, père Castel, c'est votre ruban et ce n'est que cela. Toute chose est plus ou moins une chose quelconque, plus ou moins terre, plus ou moins eau, plus ou moins air, plus ou moins feu; plus ou moins d'un règne ou d'un autre... donc rien n'est de l'essence d'un être particulier... Non, sans doute, puisqu'il n'y a aucune qualité dont aucun être ne soit participant... et que c'est le rapport plus ou moins grand de cette qualité qui nous la fait attribuer à un être exclusivement à un autre... Et vous parlez d'individus, pauvres philosophes ! Laissez là vos individus; répondez-moi. Y a-t-il un atome en nature rigoureusement semblable à un autre atome ?... Non... ne convenez-vous pas que tout tient en nature et qu'il est impossible qu'il y ait un vide dans la chaîne ? Que voulez-vous donc dire avec vos individus ? Il n'y en a point, non, il n'y en a point... Il n'y a qu'un seul grand individu, c'est le tout. Dans ce tout, comme dans une machine, dans un animal quelconque, il y a une partie que vous appellerez telle ou telle; mais quand vous donnerez le nom d'individu à cette partie du tout, c'est par un concept aussi faux que si, dans un oiseau, vous donniez le nom d'individu à l'aile, à une plume de l'aile... Et vous parlez d'essences, pauvres philosophes ! Laissez là vos essences. Voyez la masse générale, ou si, pour l'embrasser, vous avez l'imagination trop étroite, voyez votre première origine et votre fin dernière... O Archytas ! Vous qui avez mesuré le globe, qu'êtes-vous? un peu de cendre... Qu'est-ce qu'un être?... La somme d'un certain nombre de tendances... Est-ce que je puis être autre chose qu'une tendance ?... non, je vais à un terme... Et les espèces ?.. Les espèces ne sont que des tendances à un terme commun qui leur est propre... Et la vie? La vie, une suite d'actions et de réactions... Vivant, j'agis et je réagis en masse... Mort, j'agis et je réagis en molécules... Je ne meurs donc point?... Non, sans doute, je ne meurs point en ce sens, ni moi, ni quoi que ce soit... Naître, vivre et passer, c'est changer de formes... Et qu'importe une forme ou une autre? Chaque forme a le bonheur et le malheur qui lui est propre. Depuis l'éléphant jusqu'au puceron... depuis le puceron jusqu'à la molécule sensible et vivante, l'origine de tout, pas un point dans la nature entière qui ne souffre ou qui ne jouisse.

Jusqu'en 1749, malgré la hardiesse de ses attaques contre les religions révélées et son enthousiasme pour la nature et les manifestations de son énergie, Diderot avait gardé un certain déisme sentimental qui apparaît notamment dans la Promenade du Sceptique (1747) et les Pensées Philosophiques (1746).    Il avait été ensuite amené à réfuter l'argument déiste prouvé par les merveilles de la nature (.Lettre sur les aveugles, 1749).    C'est à une explication d'un univers sans Dieu, où tous nos actes seraient déterminés et où tous les êtres évolueraient et passeraient constamment de l'un à l'autre sans solution de continuité, qu'il nous convie dans le Rêve de d'Alembert, d'où est extrait le texte à commenter.     

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« Bordeu, un médecin connu par ses travaux sur la circulation sanguine, D'Alembert, l'illustre mathématicien, à qui Diderot prête le délire du philosophe rationnel. Il écrit à Sophie Volland le n septembre 1769: Si j'avais voulu sacrifier la richesse du fond à la noblesse du ton, Démocrite, Hippocrate et Leucippe auraient étémes personnages ; mais la vraisemblance m'aurait enfermé dans les bornes étroites de la philosophie ancienne et j'yaurais trop perdu.

Cela est de la plus haute extravagance, et tout à la fois de la philosophie la plus profonde ; il y aquelque adresse à avoir mis mes idées dans la bouche d'un homme qui rêve : il faut souvent donner à la sagesse l'airde la folie, afin de lui procurer ses entrées. Analyse. A) Du début à général (Les 4 premières phrases) Diderot affirme que... Tout est déterminé nécessairement, et l'homme n'est qu'un effet, c'est-à-dire le résultat, ou, comme disent lesphysiciens, la résultante de forces et de combinaisons. 2° Les combinaisons qui produisent des êtres complets et viables, comme l'Homme, ne sont pas les seules, car il y aaussi des monstres et ces monstres prouvent, puisqu'ils existent, malgré leur rareté, que, dans l'infinité descombinaisons possibles, seules subsistent celles qui réussissent.

L'ordre universel et général n'est donc pas le faitd'une harmonie préétablie, comme l'affirmait Leibniz mais le résultat d'une sélection naturelle. 3° Tout change sans cesse, car les combinaisons ne sont jamais stables et immuables, mais en perpétuelletransformation. B) Depuis « Tous les êtres circulent »...

jusqu'à : « Et vous parlez d'individus », Diderot développe cette idée quetout est en flux perpétuel, et il en tire cette conséquence que les barrières que nous établissons entre les différentsrègnes (végétal, animal et minéral) ne sont que des vues de l'esprit.

Ces règnes ne sont différents qu'en apparenceet momentanément.

Il n'y a pas de transition entre tous les êtres qui forment une chaîne ininterrompue, comparableau ruban du Père Castel (1688-1777), cette machine où les notes étaient représentées par des couleurss'enchaînant progressivement. C) Depuis «Et vous parlez d'individus...

» jusqu'à «une suite d'actions et de réactions ».

Il n'y a ni espèces niindividus.

L'individu n'est pas une unité réelle, car il ne peut y avoir un vide dans la chaîne; ce n'est qu'une parcellepassagère du tout, un ensemble de molécules agrégées provisoirement, mais appelées constamment à se disperseren cendres, fût-on Archytas, ce philosophe grec qui, au IVe siècle, avait mesuré le monde. D) Jusqu'à la fin : il n'y a aucune différence entre la vie et la mort, car tout se ramène à un déplacement demolécules et mourir, c'est changer de forme.

Il demeure évident que la molécule, point de départ de toutes lescombinaisons possibles, est elle-même animée et sensible, sans quoi on ne s'expliquerait pas le passage de lamatière inanimée à la matière vivante. Importance de ce passage. A) Dans la pensée de Diderot. Chacune de ces idées, Diderot a eu ou aura l'occasion de la reprendre, de la préciser ou de la développer dansd'autres ouvrages philosophiques, notamment dans ses Pensées sur l'Interprétation de la nature ou ses Questions dephysiologie.

Il écrit aussi dans une Lettre à Sophie Volland du 15 octobre 1759 où il rappelle une conversation avecle père d'Hoop, au château de Grandval : Concevez-vous bien qu'un être puisse jamais passer de l'état de non vivant à l'état vivant? Un corps s'accroît oudiminue, se meut ou se repose ; mais s'il ne vit pas par lui-même, croyez-vous qu'un changement, quel qu'il soit,puisse lui donner de la vie ? Il n'en est pas de vivre comme de se mouvoir ; c'est autre chose.

Un corps enmouvement frappe un corps en repos, et celui-ci se meut ; mais arrêtez, accélérez un corps non vivant, ajoutez-y,retranchez-en, organisez-le, c'est-à-dire disposez-en les parties comme vous l'imaginerez : si elles sont mortes,elles ne vivront non plus dans une position que dans une autre.

Supposer qu'en mettant à côté d'une particulemorte, une, deux ou trois particules mortes, on en formera un système de corps vivant, c'est avancer, ce mesemble, une absurdité très forte, ou je ne m'y connais pas...

Le sentiment et la vie sont éternels.

Ce qui vit atoujours vécu, et vivra sans fin.

La seule différence que je connaisse entre la mort et la vie, c'est qu'à présent vousvivez en masse, et que, dissous, épars en molécules, dans vingt ans d'ici, vous vivrez en détail. C'est exactement ce qu'il dit à la fin du texte que nous venons d'analyser. B) Dans le mouvement général des idées philosophiques.. »

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