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Rousseau, Du contrat social, livre 1, chapitre III

Publié le 11/04/2012

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rousseau

« Du DROIT DU PLUS FORT

Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir. De là le droit du plus fort; droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe : Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot? La force est une puissance physique; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté; c'est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir?

Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu'il n'en résulte qu'un galimatias inexplicable. Car sitôt que c'est la force qui fait le droit, l'effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu'on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s'agit que de faire en sorte qu'on soit le plus fort. Or qu'est-ce qu'un droit qui périt quand la force cesse? S'il faut obéir par force on n'a pas besoin d'obéir par devoir, et si l'on n'est plus forcé d'obéir on n'y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n'ajoute rien à la force; il ne signifie ici rien du tout.

Obéissez aux puissances. Si cela veut elire cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu, je réponds qu'il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l'avoue; mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu'il soit défendu d'appeler

le médecin? Qu'un brigand me surprenne au coin d'tm bois: non seulement il faut par force donner la bourse, mais quand je pourrais la soustraire suis-je en conscience obligé de la donner? car enfin le pistolet qu'il tient est aussi une puissance.

Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu'on n'est obligé d'obéir qu'aux puissances légitimes. Ainsi ma question primitive revient toujours. «

rousseau

« je l'avoue; mais toute maladie en vient aussi.

Est-ce à dire qu'il soit défendu d'appeler le médecin? Qu 'un brigand me surprenne au coin d'tm bois: non seulement il faut par force donner la bourse, mais quand je pourrais la soustraire suis-je en conscience obligé de la donner? car enfin le pistolet qu'il tient est aussi une puissance.

Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu'on n'est obligé d'obéir qu'aux puissances légitimes.

Ainsi ma question primitive revient toujours.

» «Le droit du plus fort.» Expression cynique, bien propre à une certaine idéologie « libérale », qui compare souvent la vie sociale et économique à une sorte de jeu, avec des gagnants et des perdants.

Mais, au-delà de la force de la formule- que tous les tyrans tendent à faire leur- n'y a-t-il pas une méprise, une contradiction, qu'il suffit d'expliciter pour dissoudre la fausse évidence d'un « droit » qui n'en est pas un? De fait, le« plus fort » ne peut se dire défi­ nitivement établi dans la situation qui l'élève au-dessus du «plus faible».

n n'est que le héros du moment.

Et si la force fait le droit, alors il suffit d'être patient, de ruser.

Viendra bien le moment où le« plus fort» dormira, ou tom­ bera malade.

Revanche du «plus faible »? À vouloir reposer sur la force, le « droit » n'est qu'un malentendu.

L'admirable démonstration par l'absurde de Rousseau montre ce que peut la critique philosophique lorsqu'elle interroge les expressions mal for­ mées mais rarement neutres idéologiquement.

Belle démystification! On pourra la rapprocher de la réfutation par Socrate de l'apologie de la« loi du plus fort» effectuée par son interlocuteur Calliclès, au début de la troisième partie du Gorgias de Platon.. »

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