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La Satire De La Société Dans Les Faux-Monnayeurs D'andré Gide

Publié le 17/01/2011

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gide

Introduction :

 

André Gide inscrit les Faux-Monnayeurs dans la période d'avant-guerre en mettant en place une satyre de la société. Pour ce faire, il utilise divers procédés : onomastique, inspiration de faits réels et de sujets de société, qui débouchent sur deux thèmes transversaux : la bourgeoisie et l'enfance. L'auteur dresse une critique de la bourgeoisie au sein de laquelle évoluent le milieu littéraire et la justice, tout comme la famille, l'éducation et la religion. Enfin l'auteur critique la psychanalyse à travers le personnage de Sofroniska. 

 

La bourgeoisie :

 

Gide expose deux formes de bourgeoisies : la bourgeoisie traditionnelle, représentée par les familles Profitendieu et Molinier, tous deux magistrats, et la bourgeoisie décadente, du début du 20ème siècle. Nous allons pour commencer aborder la bourgeoisie traditionnelle, car en tant que telle, elle n'est que peu critiquée par Gide, par rapport à la bourgeoisie du comte de Passavant, dite intellectuelle. La bourgeoisie traditionnelle sera surtout mise en relation avec les thèmes de l'éducation et de la famille que nous aborderons un peu plus tard.

 

La bourgeoisie traditionnelle se comporte de façon hiérarchisée, elle est supérieure et le sait, elle tient à sa supériorité sociale. 

p. 21 → « Il n'avait pas à laisser paraître son étonnement devant un subalterne; le sentiment de sa supériorité ne le quittait point «.

C'est ici le passage où Albéric Profitendieu trouve la lettre de départ de Bernard, et qu'il fait alors tout ce qui est en son pouvoir pour paraître tout à fait normal et supérieur devant Antoine, son domestique, bien moins dupe qu'il ne le pense.

→ p. 20 → « Ce fidèle serviteur était dans la maison depuis quinze ans; il avait vu grandir les enfants. Il avait pu voir bien des choses; il en soupçonnait beaucoup d'autres, et faisait mine de ne remarquer rien de ce qu'on prétendait lui cacher «

Il y a une forme de naïveté dans la bourgeoisie traditionnelle, due à son décalage avec la société, elle se croit encore bien supérieure, bien au dessus de tout, ainsi, Gide le montre bien, elle paraît très ridicule lorsqu'elle est mise en difficulté et qu'elle se veut garder son calme.

 

Gide décrit cette bourgeoisie comme bienséante, pleine de faux-semblants. Elle tient, d'autre part, à son luxe, car elle en est dépendante; ses membres sont extrêmement attentifs à leur santé :

p.24 → « (Monsieur Profitendieu) ressentait un petit pincement côté droit, là, sous les côtes; (…) c'était la crise de foie. Y avait-il seulement de l'eau de Vichy à la maison ? (…) Ma petite Cécile voudrais-tu t'assurer qu'il y a de l'eau de Vichy à la maison ? «

 

La bourgeoisie décadente, prétendument intellectuelle est dans le livre de Gide mêlée au milieu littéraire qu'il décrit. Son emblème est le comte Robert de Passavant, dont Gide dresse un triste portrait. La bourgeoisie décadente est noyée dans son argent, si bien qu'elle en perd tout à fait la valeur. Plusieurs images le démontrent : elle baigne dans le luxe, dans l'« inestimable Porto « et les cigarettes russes. Puis une scène, une discussion entre Lady Griffith et Passavant se charge de montrer cette dépréciation de l'argent :

p.52 → « Et... vous lui avez prêté de l'argent ?

Cinq mille francs, je vous l'ai dit – qu'il va de nouveau perdre chez Pedro. «

Passavant offre 5000 francs à Vincent pour le simple plaisir de le voir les perdre au jeu. Le paradoxal est que, si l'argent perd de sa valeur à force d'être dépensé à tort, la bourgeoisie décadence a l'orgueil d'en vouloir toujours plus.

 

Si la bourgeoisie décadente est hypocrite, sans valeur estimable, basée sur de faux rapports et noyée dans son argent, il n'en est pas moins qu'elle l'assume volontiers, avec une attitude faussement philosophique.

p. 53 → « Voulez-vous que je vous dise, mon cher. Vous avez toutes les qualités de l'homme de lettres : vous êtes vaniteux, hypocrite, ambitieux, versatile, égoïste...

Vous me comblez. «

Une des illustrations les plus étendues du caractère superficiel de ces bourgeois intellectuels se présente dans le passage du banquet des Argonautes, où elle est de plus, plongée dans l'ivresse et l'irresponsabilité, dans l'hypocrisie et le faux-semblant. Elle est le monde des apparences, et la lettre qu'Olivier écrit à Bernard, alors que l'un et l'autre sont respectivement en Corse et en Suisse, montre bien quelle influence elle peut avoir sur les jeunes et combien elle est superficielle.

 

Comme on le verra, Gide donne souvent aux noms des lieux et des personnages de son roman, des connotations qui correspondent à leur caractère ou leur situation. Ainsi, Robert de Passavant a un nom qui illustre bien son absence de modestie, son auto-mise-en-valeur, et son orgueil.

De plus, on apprend aussi que l'hôtel particulier que ce personnage occupe, se situe dans la rue de Babylone. Or, ce nom est plein d'une symbolique équivoque : dans la bible, Babylone est la ville où se construit la tour de Babel, c'est la cité et le peuple qui avaient par cette tour prétendu atteindre Dieu et s'élever à sa hauteur, lequel les punit d'un horrible châtiment : l'enfer. En somme, l'image de la rue de Babylone parle de soi, elle illustre tout à fait, ce qui aux yeux de Gide est l'orgueil absolu.

 

On a d'ailleurs dans le livre, une critique directe de Gide, de son point de vue de narrateur et surtout de romancier, donc sans passer par ses personnages ou le journal ou une lettre.

« De tels personnages sont taillés dans une étoffe sans épaisseur. (…) ils font le désespoir du romancier qui n'obtient d'eux que des réactions sans valeurs. «

 

Le personnage de Strouvilhou, par son mépris, démontre la faiblesse de cette bourgeoisie. Il met en valeur son incapacité à se défendre sans passer par des schémas et des attitudes pré-construites quand on l'attaque  : 

p.321 → « A propos, reprit Passavant, je ne vous avais pas, je crois, donné mon livre. Je regrette de n'en avoir plus d'exemplaire de la première édition...

Comme je n'ai pas l'intention de le revendre, cela n'a aucune importance.

Simplement, le tirage est meilleur.

Oh ! Comme je n'ai pas non plus l'intention de le lire... Au revoir. Et si le coeur vous en dit : à votre service. J'ai l'honneur de vous saluer. «

 

On remarque aussi ce caractère de la bourgeoisie décadente dans le passage du Banquet des Argonautes, et lorsque Edouard récupère les affaires d'Olivier chez Passavant.

 

La littérature dans la société :

 

Le milieu de la bourgeoisie intellectuelle ne peut se détacher de la littérature qu'elle produit et affectionne et que Gide présente comme un mauvais fruit. Selon lui, la société conditionne l'état de la littérature, et le problème est qu'elle a tendance à garder la mauvaise littérature et à chasser la bonne. Gide se sert par exemple d'Edouard pour en parler : 

p. 79 → « Pour Passavant, dit Edouard dans son journal. l'oeuvre d'art n'est pas tant un but qu'un moyen. Les convictions artistiques dont il fait montre ne s'affirment si véhémentes que parce qu'elle ne sont pas profondes ; nulle secrète exigence de tempérament ne les commande ; elles répondent à la dictée de l'époque ; leur mot d'ordre est : opportunité. « 

Dans le roman, Passavant est l'image même de l'écrivain de mauvaise littérature. On peut d'ailleurs constater que son livre est en vente dans les bibliothèques de gare, ce qu'Edouard envie, paraissant ainsi ridicule devant le lecteur averti.

 

Gide critique la littérature qui répond au plus grand nombre, qui cherche le succès et l'argent, la reconnaissance, qui bien souvent est éphémère. Il critique la littérature qui n'innove pas, basée sur des idées préconçues, stéréotypées, avec des conventions de style, de création, qu'on a tort de considérer comme ses vraies bases.

→ p.319 : « A vrai dire, mon cher comte, je dois vous avouer que, de toutes les nauséabondes émanations humaines, la littérature est une de celle qui me dégoute le plus. Je n'y vois que complaisances et flatteries. Et j'en viens à douter qu'elle puisse devenir autre chose, du moins tant qu'elle n'aura pas balayé le passé. Nous vivons sur des sentiments admis et que le lecteur s'imagine éprouver parce qu'il croit tout ce qu'on imprime ; l'auteur spécule là-dessus comme sur des conventions qu'il croit les bases de son art. Ces sentiments sonnent faux comme des jetons, mais ils ont cours. Et, comme l'on sait «la mauvaise monnaie chasse la bonne «, celui qui offrirait au public de vraies pièces semblerait nous payer de mots. Dans un monde où chacun triche, c'est l'homme vrai qui fait figure de charlatan. «

 

Il y a d'ailleurs chez Gide, une remise en cause du réalisme et c'est sans doute ce qui le rapproche du Nouveau-Roman, dont on dit qu'il est le précurseur. Selon lui, le roman parce qu'il ne s'écarte volontairement pas assez de la vie ne peut toucher aux idées transcendantes qui ont besoin d'un cadre supérieur pour s'exprimer. 

p. 183 : « Est ce peut être pour cela, se demande Edouard, par peur de cette liberté même (car les artistes qui soupirent le plus après la liberté, sont les plus affolés souvent, dès qu'ils l'obtiennent) que le roman, toujours, s'est si craintivement cramponné à la réalité ? « 

 

C'est dans le journal d'Edouard, qu'on peut alors voir comme une mise en abîme du Journal des Faux-Monnayeurs, que Gide expose ses bonnes idées sur le roman, qui sont celles qu'il mettra en application dans ce livre et qu'un prochain exposé nous décrira surement. 

 

La justice :

 

La justice est liée dans le livre, à la bourgeoisie, à travers les personnages de Albéric Profitendieu, magistrat, et Oscar Molinier, procureur, car ce sont eux, qui à des fins privés, vont étouffer les affaires qui les touchent, afin d'éviter tout scandale. Ainsi Gide nous montre une justice corrompue par la bourgeoisie en décadence.

 

p325 → « En tant que juge d'instruction, reprit-il, j'ai à m'occuper d'une affaire qui m'embarrasse extrêmement. Votre jeune neveu s'était déjà commis précédemment dans une aventure... - que ceci reste entre nous, n'est-ce pas – une aventure assez scandaleuse, où je veux croire, étant donné son très jeune âge, que sa bonne foi, son innocence, aient été surprises; mais qu'il m'a fallu déjà, je l'avoue, quelque habileté pour... circonscrire, sans nuire aux intérêts de la justice. (…) Je doute même s'il est dans l'intérêt de l'enfant de chercher à l'en tirer, malgré tout le désir amical que j'aurais d'épargner ce scandale à votre beau-frère. J'essaierai pourtant; mais j'ai des agents (…) que je ne peux pas toujours retenir. (…)En l'espèce, je prétends parvenir à découvrir les vrais coupables sans recourir aux témoignages de ces mineurs. J'ai donc donné ordre qu'on ne les inquiétât point.«

 

Dans ce passage, Gide fait le récit d'une justice partiale, arbitraire, qui prend en compte les éléments relationnels avant la loi. Les enfants, qui là sont à peine âgés de treize à quatorze ans, sont impliqués en tant que clients dans une affaire de prostitution, que suit de près le procureur Profitendieu, sans qu'ils ne s'en doutent. Profitendieu, comme nous l'avons vu, choisit de ne pas faire arrêter les enfants, pour leur éviter ainsi qu'à son ami Molinier un scandale retentissant. Cependant, les enfants ont par conséquent eut l'impression d'agir en toute impunité, et ont continué à dériver du droit chemin, en se lançant dans l'entreprise des fausses pièces.

 

p.20 → « Monsieur Molinier qui n'avait pour tout bien que son traitement de président de chambre, traitement dérisoire et hors de proportion avec la haute situation qu'il occupait avec une dignité d'autant plus grande qu'elle palliait sa médiocrité. (…)

Faites surveiller la maison, disait Molinier (…) Mais faites attention que, pour peu que vous poussiez un peu trop avant cette enquête, l'affaire vous échappera... Je veux dire qu'elle risque de vous entraîner beaucoup plus loin que vous ne pensiez tout d'abord. (…) Voyons ! Voyons, mon ami; nous savons vous et moi ce que devrait être la justice, et ce qu'elle est. Nous faisons pour le mieux, c'est entendu; mais, si bien que nous fassions, nous ne parvenons à rien que d'approximatif. (…) Sur le cas qui vous occupe aujourd'hui, (...) il y a neuf mineurs. Et certains de ces enfants, vous le savez, sont fils de très honorables familles. C'est pourquoi je considère en l'occurrence le moindre mandat d'arrêt comme une insigne maladresse. «

 

On note un contraste entre la « médiocrité «, la peur (« risque de vous entraîner... «) et les propos de Molinier : « ce que devrait être la justice «, « nous ne parvenons à rien d'approximatif «.

Le discours est contradictoire, on a l'image du juge peureux, incapable et inefficace, mais avec la croyance persistante de sa propre dignité. 

 

La famille et de l'éducation :

 

La famille tient une place primordiale dans les Faux-Monnayeurs, en effet, de nombreuses questions d'éducation sont posées, ainsi que la question de la légitimité des parents dans le futur de leurs enfants; tant de points qui remettent en cause l'univers familial.

 

p.116 → « L'égoïsme familial... à peine un peu moins hideux que l'égoïsme individuel « dans le journal d'Edouard.

Gide critique, à plusieurs reprises dans le livre, les rapports familiaux, basés sur un noyau, par exemple entre la mère et la fille, face au père. L'égoïsme à la majorité contre la minorité. On le voit par exemple avec le récit de La Pérouse à propos de l'éducation de son fils, ou dans la scène racontée par Edouard, de son retour d'Auteuil en train, où une mère dit à sa petite fille, sous les yeux du père : « Toi et moi; moi et toi; les autres, on s'en fout. «

 

L'auteur remet aussi en cause le rapport direct entre le père et la mère, le manque de cohésion. Selon lui, les parents passent plus de temps à s'opposer, qu'à s'occuper réellement de leurs enfants; ils ne font pas la différence entre leur propre relation et celle qu'ils doivent avoir avec leurs enfants pour leur donner un équilibre.

p.223 → « Neuf fois sur dix, le mari qui cède à sa femme, c'est qu'il a quelque chose à se faire pardonner. Une femme vertueuse, mon cher, prend avantage à tout. Que l'homme courbe un instant le dos, elle lui saute sur les épaules. Ah ! mon ami, les pauvres maris sont parfois bien à plaindre. Quand nous sommes jeunes, nous souhaitons de chastes épouses, sans savoir tout ce que nous coûtera leur vertu.  (…) j'en ai connu qui ne se prêtaient à leur mari qu'à contrecoeur, qu'à contre-sens... et qui pourtant s'indignent lorsque le malheureux rebuté va chercher ailleurs sa provende.«

Ici, on voit une certaine lucidité de Molinier, pourtant jugé comme un imbécile par Edouard. Le magistrat assume ici les écarts d'un homme comme une normalité, et sans le vouloir, les rapports de force entre homme et femme, déséquilibrés par la chasteté presque illégitime de la femme. Gide critique les hommes qui considèrent leur femme comme dévouée à eux-mêmes, et qui leur sont d'ailleurs infidèles.

 

En contradiction avec ce témoignage d'Oscar, on trouve celui de Pauline :

« Ce que je vois que je ne puis pas empêcher, je préfère l'accorder de bonne grâce. Oscar, lui, cède toujours; il me cède, à moi aussi. Mais lorsque je crois devoir m'opposer à quelque projet des enfants, leur résister, leur tenir tête, je ne trouve près de lui nul appui. « p.269

Gide dénonce la faiblesse de la femme, face aux enfants, à cause du dilettantisme du mari. Peu avant, p.307, Pauline parle de la tristesse que lui cause Georges, dans lequel elle ne voit qu'insouciance, cynisme et présomption. Pourtant, lorsqu'elle raconte l'histoire du vol des 100 francs, elle explique qu'elle fut incapable de le punir. Gide critique la faiblesse des parents pour éduquer leurs enfants et les maintenir dans le droit chemin. La mère est souvent trop protectrice, a trop peur de perdre leur confiance, et par ce fait, les enfants mentent; le père reste beaucoup trop en retrait et délaisse les enfants d'une autorité paternelle ferme dont ils ont besoin. Et c'est d'ailleurs selon Gide, la cause de la décadence de la jeunesse, que l'on décrira plus loin.

 

Gide dénonce les faux-rapports et l'hypocrisie au sein même de la famille...

p.25 → « « Tu serais gentille d'arrêter un peu ton piano. « (…) Et, par gentillesse, car la souffrance le rend doux : « C'est bien joli ce que tu jouais là. Qu'est-ce que c'est ? «. Mais il sort sans avoir entendu la réponse. «

… le manque de solidarité...

« Gontran de Passavant (…) a compris depuis longtemps qu'il n'avait à attendre de son frère, nulle sympathie, nul appui « 

… l'ignorance, la cécité face à la réalité :

p. 21 → « Dieu merci, ces enfants n'avaient pas de mauvais instincts, non plus que les enfants de Molinier sans doute ; aussi se garaient-ils d'eux-mêmes des mauvaises fréquentations et des mauvaises lectures. «

Si on lisait le livre à l'envers, on pourrait presque croire à de l'ironie, quand on sait que Bernard va fuguer et que le petit Georges Molinier, du haut de ses treize ans, est un habitué du délit.

 

La religion :

 

Il y a dans les Faux-Monnayeurs une forte critique de la religion et de l'éducation qu'elle prétend donner aux jeunes, par un André Gide, qui lui même fut exclu de son école par un certain pasteur Vedel, en raison d'onanisme. 

 

p.104 → « On trouve plus souvent parmi les catholiques une appréciation, parmi les juifs une dépréciation de soi même, dont les protestants, ne me semblent capables que bien rarement. Si les juifs ont le nez trop long, les protestants, eux, ont le nez bouché ; c'est un fait. « 

 

Pour Gide, les protestants n'ont aucune influence, ni aucun intérêt. Ils prétendent donner, à l'image des Vedel, une éducation saine et pieuse, menant dans le droit chemin, à défaut de celle que devrait appliquer les parents, mais sont en fait bien loin de la réalité, comme on le voit en observant Sarah ou Armand, ainsi que les autres pensionnaires de la pension Vedel, à l'image de Georges Molinier.

p.109 → « Nous entrons dans une ère nouvelle de franchise et de sincérité. (Il emploie volontiers plusieurs mots pour dire la même chose – vieille habitude qui lui reste de son temps de pastorat.) On ne gardera pas d'arrière-pensées, de ces vilaines pensées de derrière la tête. On va pouvoir se regarder bien en face, et les yeux dans les yeux. N'est ce pas. C'est convenu. « 

 

Gide tourne en ridicule le pasteur Vedel, il souligne son décalage avec la société. 

Le personnage de Strouvilhou sert aussi de dénonciation. Le pasteur ne parvenait pas en effet à s'opposer fermement à ce personnage qui ne cessait de le persifler et qui pourtant l'influençait bien un peu :

 p.106 → « Il a demandé à Papa, si quand il prêchait, il gardait son veston sous sa robe ?

(…) Lorsque votre père faisait de grands gestes, les manches du vestons réapparaissaient sous la robe et que cela était d'un fâcheux effet sur certains fidèles.

A la suite de quoi ce pauvre papa a prononcé tout un sermon les bras collés au corps et raté tous ses effets d'éloquence. (…) Et le dimanche suivant il est rentré avec un gros rhume, pour avoir dépouillé le veston. «

 

La psychanalyse :

 

Pour Gide, la psychanalyse n'a que la prétention de sauver quiconque serait en pleine détresse et se placerait sur son chemin, comme pour concurrencer l'éducation, la famille et la religion. Mais la psychanalyse est dangereuse selon l'auteur des Faux-Monnayeurs.

 

Le nom du docteur Sophroniska est une référence directe à Eugénie Sokolniska qui a fondé la société psychanalitique de Paris et qui est pionnière de la psychanalyse des enfants.

« Ainsi l'analyste des Faux-Monnayeurs croit avoir guéri le petit Boris de ses pratiques masturbatoires; elle n'a fait que changer le contenu de son cérémonial sexuel, et le nouveau rituel qui le remplacera dans l'imaginaire conduira finalement l'enfant que l'on avait cru sauver et qui se serait probablement sauvé s'il avait continué ses plaisirs solitaires, à la plus impitoyable des morts «.

→ Roger Bastide, in Anatomie d'André Gide

 

Gide est un grand opposant à la psychanalyse, on peut lire dans le journal : « Ah que Freud est gênant ! (…) Que de choses absurdes chez cet imbécile de génie ! «

 

p. 174 → « Je racontai à Sophroniska la conversation que j'avais surpris la veille et d'après laquelle il me paraissait que Boris était loin d'être guéri.

C'est aussi que je suis loin de connaître du passé de Boris tout ce que j'aurais besoin de connaître. Il n'y a pas longtemps que j'ai commencé le traitement. « 

Sophroniska cherche toujours une excuse pour elle, exactement comme la psychanalyse en cherche à ses patients. Ce n'est jamais sa faute.

La psychanalyse est dangereuse pour l'enfant selon Gide, d'ailleurs, les défauts, l'onanisme qu'on accuse chez Boris, rappelons que l'auteur en a été victime étant enfant :

« Sophroniska m'a reparlé de Boris, qu'elle est parvenue, croit-elle, à confesser entièrement. Le pauvre enfant n'a plus en lui le moindre taillis, la moindre touffe où s'abriter des regards de la doctoresse. Il est tout débusqué. Sophroniska étale au grand jour, démontés, les rouages les plus intimes de son organisme mental, comme un horloger les pièces de la pendule qu'il nettoie. «

 

Gide accuse la psychanalyse et ses médecins de ne pas (vouloir) voir ce que tout le monde à l'extérieur peut constater. De plus, selon lui, elle ne fait que « guérir « un problème qu'il est simple d'oublier, par des solutions qui elles-mêmes aboutiront à des problèmes beaucoup plus graves.

 

Le résultat : une jeunesse en proie à la décadence :

 

La jeunesse décadente, dans les Faux-Monnayeurs, c'est sans doute le résultat de ce que critique Gide dans la société. Pour chaque mauvais aspect de la société correspond un des personnages mineurs :

Bernard Profitendieu : il est l'image de la destruction de la structure familiale, à cause d'un seul non-dit, et de la révolte adolescente. Gide laisse entendre que la dissimulation est une des principales causes de l'éclatement familial.

Olivier Molinier : il se laisse entrainer par la bourgeoisie décadente de Passavant et l'image intéressante de l'intellectualisme qu'elle se donne, influencé par l'argent, la puissance, le luxe, tant d'images superficielles et dangereuses, au risque de perdre son ami Bernard et son oncle Edouard.

Sarah et Armand Vedel : ils sont l'antithèse de l'éducation protestante qu'ils ont reçu. Sarah est sans arrêt à la recherche du contact sexuel, tant avec Olivier que Bernard, ou même Passavant lors du banquet des Argonautes, et finira par quitter la France pour l'Angleterre lorsque sa famille décidera de brider son apprentissage de la vie. Armand quant à lui, fait sans cesse preuve d'un cynisme, d'une ironie et d'une méchanceté qui sont sans aucun doute le fruit d'une grande souffrance, d'une incrédulité par rapport à la religion, à cause de l'excès de protestantisme, et qui s'est transmises aux choses de la vie, notamment à l'amour, dans une incapacité à franchir le stade de l'enfance réellement.

Georges Molinier : il illustre le laisser-aller des parents dans leur éducation et les limites qu'ils imposent à leurs enfants; mais aussi la préoccupation tout simplement qu'ils ont de cette éducation, en effet, le petit Georges doit passer par la pension Vedel et c'est notamment là qu'il sera sous la mauvaise influence de ses camarades. Il est aussi le fruit de la partialité de la justice.

Boris : il est pour sa part la manifestation du danger de la psychanalyse. 

 

Conclusion :

 

Dans les Faux-Monnayeurs, le diable circule et s'insinue dans tous les personnages, il est le signe d'une décadence péremptoire. Le thème du diable, dans le roman, c'est la société, qui agit sur tous les protagonistes de l'histoire, en véritable maître à penser, elle conduit jeunes et adultes, à un désoeuvrement profond, où seules surgissent les véritables valeurs telles que l'amour d'Edouard et Olivier, et la prise de conscience de Bernard de son amour et son attachement pour son père adoptif, qu'il va finir par rejoindre.

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